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études-coloniales
25 mars 2007

la maternité maréchale Lyautey à Rabat

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Rabat, la maternité

 

la maternité maréchale Lyautey

de Rabat

réponse à une question posée par "rakkouch"

 

Sous forme de commentaire à un article de ce site, une question nous a été posée par "rakkouch", le vendredi 23 mars 2007 :

naissance

Marocaine d'origine, je suis née à Rabat entre 1958 et 1960 ??? Je vis dans la région toulousaine. Je voulais vous demander si à Rabat à cette époque là, a existé un hôpital Lyautey et quelle était sa fonction principale. Je vous remercie d'avance de votre réponse qui a beaucoup d'importance pour moi.

Nous remercions Marie-Claire Micouleau-Sicaut, auteur du livre Les médecins français au Maroc, combats en urgence (1912-1956) et d'un article récent ici-même, de bien vouloir répondre à cette question :

 

___________________________________________

 

Bonjour et merci de votre courrier.

Il n'existe pas à ma connaissance d'hôpital Lyautey à Rabat mais bien une MATERNITE MARECHALE LYAUTEY  que la maréchale avait créée dans les années 30 et à laquelle elle avait ajouté un orphelinat mixte (toutes confessions et origines)

L'oeuvre sociale de la Maréchale Lyautey n'est pas très connue et pourtant elle a fait beaucoup développer l'action sanitaire au Maroc, en coordination avec la Direction de la Santé Publique  du Maroc.

Le colonel Geoffroy, qui préside l'association Maréchal Lyautey, sise à Thorey-Lyautey a écrit un article biographique sur cette personnalité peu connue et il est en train d'ouvrir une salle Maréchale Lyautey au château de Thorey qui est devenu le musée Lyautey.

Je vous joins son article qui me parait très intéressant pour faire découvrir cette femme remarquable dont le souvenir est un peu oblitéré par celui de son illustre mari. Je vous joins aussi une photo.

Bien cordialement.

Marie-Claire Micouleau-Sicault

 

 

la_mar_chale_Lyautey
Madame la maréchale Lyautey

 

la Maréchale Lyautey

colonel Pierre GEOFFROY

 

Inès de Bourgoing est née à Paris, le 5 janvier 1862. Elle fut une grande dame et le recul du temps nous permet de mieux mesurer l'étendue de son action généreuse et humaine peu connue en raison de sa grande discrétion. Il est certain qu'elle a fait œuvre de pionnier et a ouvert la voie à bien des évolutions.

Veuve en 1900 du colonel Fortoul, elle a initié au début du siècle des actions qui, dans le domaine humanitaire et social, ont devancé des actions plus structurées du type "Infirmières sans frontières". Après son mariage, en 1909, avec le général Hubert Lyautey, son champ d'activités se trouve élargi. Épouse dévouée autant que femme d'action, elle a harmonieusement complété au Maroc l'œuvre du Résident Général, qui disait volontiers qu'elle était "son meilleur collaborateur".

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Présidente du Comité central des dames de la Croix Rouge Française, cette filleule de l'Impératrice Eugénie fut la première femme à être élevée au grade de Grand Officier de la Légion d'Honneur pour récompenser son œuvre sociale, ainsi qu'au grade de Grand Officier de l'Ordre du Ouissam Alaouite en reconnaissance de son œuvre au Maroc.

Son père, le baron Philippe de Bourgoing (1827-1882), d'une vieille famille du Nivernais, fut, comme officier, le grand écuyer de Napoléon III, avant de devenir Inspecteur du Service des Haras. Il fut élu cinq fois député de la Nièvre. Sa mère, Anne-Marie Dollfus (1837-1917), était d'une ancienne famille noble de la République de Mulhouse, rattachée à la France en 1798. Elle était la petite fille de Johannès Dollfus, dernier bourgmestre de cette ville libre. Dame d'honneur de l'Impératrice Eugénie, elle lui demanda à la naissance d'Inès, la faveur d'être la marraine de l'enfant, dont le frère aîné a été l'aide de camp du Maréchal Canrobert.

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Anne-Marie Dollfus (1837-1917), la mère
d'Inès de Bourgoing

Inès, élevée aux Tuileries, reçut l'éducation très stricte des jeunes filles destinées aux cérémonies de la cour. Elle en garda le sens du devoir, celui qui fait passer au second plan les problèmes personnels et une faculté d'adaptation face aux situations les plus variées et les plus délicates.

En 1880, à l'âge de 18 ans, elle épouse le capitaine d'artillerie Joseph Fortoul, fils du ministre de l'Instruction publique et des Cultes de Napoléon III. Ce jeune officier, entré à l'École Polytechnique en 1867, avait combattu pendant la guerre de 1870, puis avait fait partie de la mission envoyée au Japon pour organiser la nouvelle armée du Mikado. Le temps de suivre à Paris les cours de l'École Supérieure de Guerre, d'épouser Inès de Bourgoing et il partait en Indochine d'où il revient grièvement blessé. À 53 ans, alors qu'il commande le 3ème Régiment d'Artillerie à Castres, il décède subitement, le 1er octobre 1900, d'un accident cardiaque.

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Castres, un régiment d'Artillerie (le 9e, pas le 3e...) au début du siècle

À 39 ans, Inès Fortoul se retrouve veuve avec deux fils déjà adultes. Antoine (1881-1963), aspirant de marine participe à la guerre des Boxers en Chine et Mathieu (1882-1969), sur le point d'entrer à l'École de Cavalerie de Saumur, sert au 3ème Dragons à Nantes. Leur petite soeur, Victoire, était décédée, en août 1888, à l'âge de 20 mois.

Portée vers le service des autres, elle va désormais leur consacrer tout son temps. Elle songe à aller soulager la misère dans les colonies, mais il lui faut une formation et une expérience. Aussi décide-t-elle de de suivre les cours d'infirmières. Son diplôme acquis en 1901, elle entre à la Société de Secours aux Blessés Militaires (S.S.B.M.), composée uniquement de bénévoles. Après quelques années de service à l'hôpital Beaujon, à Paris, un champ d'action répondant à son attente et à son besoin d'action va s'offrir à elle.
En août 1907, en effet, le détachement du Général Drude a débarqué au Maroc et se maintient difficilement à Casablanca. Dans le domaine sanitaire, tout est à faire. Madame Fortoul, devenue infirmière-major, part à la tête d'une équipe d'nfirmières volontaires expédiée en hâte par la S.S.B.M. Les conditions de vie et de travail sont précaires et le service est particulièrement dur.

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infirmières de la Société de Secours aux Blessés Militaires à Casablanca, 1907-1908

Comme il est difficile de les soigner à Casablanca, les blessés et malades graves, sont évacués par la marine nationale et accompagnés par des infirmières jusqu'à Oran, où le général Lyautey commande la Division. Celui-ci, envoyé en mission au Maroc en octobre 1907, accepte de prendre à bord du torpilleur qui l'emmène trois de ces infirmières C'est au cours de la traversée qu'il va faire la connaissance d'Inès de Bourgoing qui allait devenir sa femme.
Inès, à peine rentrée en France, repart à la tête d'une équipe à Messine où, le 28 décembre 1908, un tremblement de terre a enseveli sous les décombres plus de 80.000 habitants. Leur dévouement et leur compétence font l'admiration du corps de santé italien et leur valent décorations et reconnaissance émue de la Reine et de la Duchesse d'Aoste (princesse Hélène d'Orléans).

Casablanca_Nancy
Ambulance de l'Hôpital de Casablanca. Le brigadier
de Spahis salue une infirmière du Comité de Nancy
qui l'a soigné à Casablanca, 1909

Aprés leur mariage célébré à Paris le 14 octobre 1909, Hubert Lyautey âgé de 55 ans et sa femme Inés, de neuf ans sa cadette, rejoignent l'Algérie où le Général commande toujours la Division d'Oran. Fin 1910, il est promu au commandement du Xème Corps d'Armée à Rennes. En mars 1912, le voici nommé Résident Général de France au Maroc. Tous deux, en parfaite harmonie, vont marquer l'évolution et le développement de ce pays d'une empreinte indélébile.

Au Maroc, le nom de Madame Lyautey demeurera indissolublement lié à la création et à l'organisation de la majorité des œuvres d'assistance à l'enfance : gouttes de lait, pouponnières, crèches, orphelinats, jardins de soleil. La "Maternité Maréchale Lautey", première maternité du Maroc comprend aussi pouponnnière, crèche, garderie, goutte de lait et consultation infantile, un modèle du genre qui a conquis d'éminents maîtres de la puériculture francais et étrangers. C'est à la maréchale Lyautey que l'on doit aussi les premiers dispensaires antituberculeux, les premières colonies de vacances du Maroc ainsi que les écoles d'infirmières.

Douée d'une prodigieuse et inlassable activité, voyant droit et juste, appréciant aussi rapidement les possibilités matérielles que la valeur des collaborations qui s'offrent à elle, la maréchale Lyautey manifeste au Maroc les qualités maîtresses des grandes réalisatrices. Son œuvre sociale ne se limite pas à l'enfance. Fille, femme et mère de militaires, c'est tout naturellement sur la troupe aussi que se penche sa sollicitude, singulièrement sur les merveilleux combattants que furent les Tirailleurs et Spahis marocains, et sur la Légion Étrangère. Avec l'aide de la Croix-Rouge elle fonde la Maison de convalescence de Salé, près de Rabat, aussi plaisante que confortable, destinée aux légionnaires et soldats convalescents privés de famille. En complément, elle leur crée, à la Balme-les-Grottes dans l'Isère, une maison de retraite Elle reçut le titre envié et peu courant de "1ère classe d'honneur de la Légion Étrangère".

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Maison de convalescence de Salé, fondée par la maréchale Lyautey

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Maison de convalescence de Salé, peinte par Tranchant de Lunel, 1913

Rentrée en France avec le Maréchal en octobre 1925, tous deux sont tantôt dans leur château à Thorey où ils ont fait contruire pour le village un dispensaire familial et une maison pour les jeunes, véritable MJC avant la lettre, tantôt à Paris. Elle déploie une inlassable activité et devient, en 1926, présidente du Comité Central des Dames de la Croix Rouge Française.

Après la mort du Maréchal, le 27 juillet 1934, partageant sa vie entre la France et le Maroc elle continue à faire preuve d'un légendaire dévouement. À Paris, la Maréchale, s'intéresse au sort des Marocains, étudiants en particulier, à la vie de l'lnstitut musulman de la Mosquée de Paris, aux malades de l'Hopital musulman de Bobigny. Au Maroc, elle prend part aux travaux de la C.R.F. présidant les Assemblées générales de tous les Comités aux œuvres, aux initiatives desquelles elle ne cesse de s'intéresser. En 1938, elle résilie ses lourdes fonctions à la tête de la Croix Rouge Française pour pouvoir se rendre plus souvent au Maroc.

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entrée de la Maison de l'Asnée (Villiers-les-Nancy)

En 1939 - elle allait sur ses 78 ans -  elle assume, dès la mobilisation, la direction du service de 300 lits pour les grands blessés de la tête et la moëlle à l'hopital militaire de l'Asnée à Nancy, où le professeur Fontaine, médecin-chef, devait dire : "Je considère comme un honneur tout particulier et comme une des plus grandes satisfactions de ma carrière chirurgicale d'avoir eu la joie de pouvoir compter sur une aussi précieuse collaboration »

Aprés l'armistice de juin 1940, elle n'oublie pas "ses chers Marocains", organisant des collectes pour que leurs prisonniers de guerre reçoivent des colis et réconfortant les familles au Maroc où elle se rend régulièrement.
Bloquée en France à partir de l'invasion de la zone libre par les troupes allemandes en novembre 1942, elle pense toujours aux combattants nord-africains et crée à Paris plusieurs ouvres destinées à leur venir en aide, en particulier des foyers où les blessés, les convalescents, les évadés de captivité sont assurés de trouver accueil, aide matérielle et caches pour échapper à l'occupant allemand. Au plus fort de l'hiver 1944, elle n'hésite pas à se rendre dans les Vosges pour apporter aux troupes marocaines qui livrent de rudes combats au sein de la lère Armée Française son réconfort et ses encouragements. La Libération de la France et la Victoire de mai 1945 lui permettent de retourner régulièrement passer plusieurs mois par an au Maroc où elle ne compte que des amis et elle continue malgré son grand âge, à se dévouer pour "servir".

Le 9 février 1953 à la suite d'un de ces accidents que l'âge ne permet guère de réparer la Maréchale Lyautey, qui venait d'avoir 91 ans, décède à Casablanca. Elle reposa à côté du Maréchal au mausolée de Rabat. Lorsque la dépouille du Maréchal fut transférée à Paris sous le Dôme des Invalides le 10 mai 1961, elle fut inhumée au cimetière du village de Thorey - devenu à la demande de ses habitants Thorey-Lyautey - pour conserver le souvenir du Maréchal Lyautey et de son épouse qui, chacun dans leur domaine, ont marqué le XXe siècle.

colonel Pierre Geoffroy

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colonel Pierre Geoffroy (à droite) en discussion avec Mostafa Basso,
ministre plénipotentiaire de l'ambassade du Maroc à Paris
photographie Jeune Pied-Noir ©

 

 

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17 février 2007

L'Afrique suicidaire (Jean-Paul Ngoupandé - 2002)

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L'Afrique suicidaire

Jean-Paul NGOUPANDÉ

 

Le discrédit qui frappe les Africains n'a pas d'équivalent dans l'histoire contemporaine de l'humanité. Pendant les siècles de la traite négrière, nous étions assurément des victimes. Aujourd'hui, nous sommes nous-mêmes les principaux fossoyeurs de notre présent et de notre avenir. Au sortir de l'ère coloniale, nous disposions d'appareils d'État certes embryonnaires et répressifs, mais qui avaient le grand mérite de remplir efficacement les missions élémentaires qui leur étaient dévolues : sécurité, santé publique, éducation nationale, entretien des voies de communication.

Aujourd'hui, les États sont liquéfiés dans la plupart de nos pays, les gardes prétoriennes et les milices politico-ethniques ont supplanté l'armée, la police et la gendarmerie, qui ne sont plus que les ombres d'elles-mêmes. L'insécurité s'est généralisée, nos routes et les rues de nos villes sont devenues des coupe-gorge.

20060816
Milices des "Tribunaux islamiques" en Somalie (source)


La tragédie du sida nous rappelle dramatiquement qu'avec des administrations efficaces et responsables nous aurions pu endiguer le fléau à ses débuts. Au lieu de cela, plus de 20 millions d'Africains, dont une majorité de jeunes et de cadres bien formés, ont déjà été arrachés à la vie, victimes des tergiversations de nos États et d'une ambiance sociale délétère et ludique où le sens de la responsabilité individuelle et collective s'est évaporé. Les crises politico-militaires et les violences de toutes sortes, l'appauvrissement des États pris en otage par des coteries prédatrices, la propension des dirigeants à se préoccuper essentiellement de leur sécurité et des moyens de conserver le pouvoir, tout cela a conduit au fait qu'un secteur aussi décisif pour le présent et l'avenir que l'éducation est naufragé un peu partout.

L'insécurité et le désordre général, la criminalisation rampante d'États de plus en plus contrôlés par des systèmes mafieux, les lourdeurs administratives et l'absence de règles transparentes occasionnées par une corruption endémique font que les investisseurs privés ne se bousculent pas à nos portillons, loin de là. Même les donateurs publics nous considèrent désormais comme des puits sans fond et des cas d'acharnement thérapeutique.

Plus de quarante ans après la vague des indépendances de 1960, nous ne pouvons plus continuer d'imputer la responsabilité exclusive de nos malheurs au colonialisme, au néocolonialisme des grandes puissances, aux Blancs, aux hommes d'affaires étrangers, et je ne sais qui encore. Il faut que nous acceptions désormais d'assumer : nous sommes les principaux coupables.

enfant

Le basculement de nos pays dans la violence, le laxisme dans la gestion des affaires publiques, la prédation sur une vaste échelle, le refus de nous accepter entre ethnies et régions, tout cela a des causes principalement endogènes. L'admettre sera le début de la prise de conscience, et donc de la sagesse.

On me dira que c'est dédouaner trop facilement la responsabilité de l'extérieur. Mais les accusations de ce type, nous n'avons fait que les proférer depuis quarante ans, surtout nous, les intellectuels. Le problème aujourd'hui, c'est que les accusés ne prêtent plus la moindre attention à nos réquisitoires qui ont, soit dit en passant, pris un bon coup de vieux, parce que le monde dont nous parlons n'est plus le leur.

Nos jérémiades, nos gesticulations ne touchent plus personne outre-Méditerranée et outre-Atlantique. Je crains en réalité que nous ne nous trompions de planète. Depuis la fin du conflit idéologique entre l'Est et l'Ouest, nous ne sommes plus un enjeu parce que nous ne pesons plus dans la nouvelle compétition, celle de la conquête de marchés porteurs.

Un et demi pour cent des échanges commerciaux dans le monde (dont 40 % pour le pays de Mandela) : voilà ce que représente l'Afrique subsaharienne sur le nouvel échiquier de notre planète. Autrement dit, nous ne sommes rien, et nous n'avons pas voix au chapitre. Cela se constate aisément, pour peu que nous prêtions attention aux préoccupations des grands décideurs, aux flux commerciaux et aux centres d'intérêt des médias.

Il y a donc pour nous, en ce début de IIIe millénaire, une urgence absolue : nous préoccuper de ce que nous avons à faire nous-mêmes pour tourner le dos à la logique de l'autodestruction, tenter de nous réinsérer dans l'économie mondiale, et tout essayer pour en finir avec la marginalisation.

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Le premier signe attendu de nous par les rares bonnes volontés qui s'expriment encore en faveur de l'Afrique est que nous commencions enfin à pointer du doigt la racine du mal africain : nous-mêmes, autrement dit nos dirigeants, nos élites, et même nos populations dont la résignation parfois désarmante laisse le champ libre aux seigneurs de la guerre et offre une masse de manœuvre aux gouvernements tribalistes et prévaricateurs. Un début de visibilité de notre prise de conscience plaiderait en notre faveur et encouragerait ceux qui croient qu'il n'est pas raisonnable de gommer du jeu mondial plus de 700 millions d'Africains subsahariens.

Car là est l'autre facette du débat sur l'Afrique : c'est le sens qu'il convient de donner à l'afro-pessimisme radical. Sous prétexte qu'il y a des blocages entretenus par les Africains eux-mêmes et qui créent des problèmes apparemment insolubles, le point de vue qui se répand de plus en plus dans les pays développés est qu'il faut ignorer définitivement le continent noir puisqu'il se révèle congénitalement incapable de se prendre en charge. Donc, l'Afrique, ça n'existe plus, c'est perdu pour le développement, et cela devient même problématique pour l'assistance humanitaire, la dernière chose que l'on puisse y faire.

Incroyable myopie ! Ce continent jouxte l'Europe : une quinzaine de kilomètres par le détroit de Gibraltar, et environ 200 kilomètres séparant le cap Bon de la Sicile. La décomposition d'un continent si proche ne peut pas ne pas poser de problèmes au nord de la Méditerranée. Le 11 septembre 2001 nous enseigne que l'interdépendance est plus que jamais la règle sur notre planète, et que les problèmes sont bien plus partagés qu'on ne le pense généralement. Il n'y a pas de cloisonnement étanche.

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À l'occasion du sommet qu'il a organisé à Dakar le 17 octobre dernier, et qui n'a malheureusement pas mobilisé beaucoup de dirigeants africains, le président Abdoulaye Wade a eu cette formule tout à fait pertinente : l'Afrique est devenue une vaste passoire pour toutes sortes de trafics. Il suffit d'observer la "sécurité" dans nos aéroports et à nos frontières terrestres et maritimes, la facilité avec laquelle des étrangers peu recommandables peuvent se procurer nos passeports diplomatiques, les valises tout aussi "diplomatiques" servant à faire passer en fraude diamants, or, devises (y compris de la fausse monnaie), drogue et toutes sortes d'objets délictueux.

D'accord donc pour que nos amis français nous interpellent fermement quant au délitement de nos pays, dont nous portons la responsabilité principale. Il ne faut pas qu'ils aient peur de nous dire la vérité en face. Le complexe du colonisateur n'a plus lieu d'être : l'amitié doit désormais se nourrir de vérités, y compris les vérités crues.

Les pires pour nous, ce sont ceux qui jouent à nous caresser dans le sens du poil. La tape sur l'épaule est certes un geste amical, à condition qu'elle ne nous conforte pas dans l'idée infantilisante selon laquelle nous sommes les gentilles et innocentes victimes d'un complot international contre l'Afrique. Il ne faut plus nous flatter. Quant à nous, nous gagnerons en crédibilité à partir du moment où nous serons capables de nous regarder en face, pour reconnaître enfin que tout ce qui nous arrive est d'abord de notre faute. Nous serons plus crédibles pour dire à tous ceux qui considèrent l'Afrique comme un continent perdu qu'ils ont tort.

Elle est certes en panne, mais décréter sa mise hors jeu définitive ne règle aucun problème. Entre la condescendance, qui signifie mépris et infantilisation, et l'abandon qui ne dit pas son nom et qui est une forme de politique de l'autruche, il y a place pour un regard responsable sur la crise africaine.

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Un tel regard commence d'abord par s'éloigner des idées reçues, en particulier les généralisations hâtives et les conclusions radicales. L'Afrique est un continent. C'est le premier rappel élémentaire à formuler. Sur 53 États, il s'en trouvera bien 2, 3 ou 4 pour prendre le chemin du sérieux. Seule une observation attentive et non dogmatique permettra de les identifier. Dans cette hypothèse, l'intérêt de l'Afrique, de l'Europe et du monde commanderait qu'ils soient franchement appuyés, au lieu du saupoudrage qui n'a jamais induit un cycle de développement. Un appui franc et massif accordé à des pays manifestant clairement une volonté de s'en sortir par le sérieux et le travail acharné servirait le contre-exemple pour les mauvais gestionnaires.

C'est d'ailleurs ce qu'avait indiqué le président Mitterrand lors du 16e sommet des chefs d'Etat de France et d'Afrique en 1990. Erik Orsenna était à ses côtés et aurait, dit-on, fortement inspiré le désormais célèbre discours de La Baule. L'attention excessivement concentrée sur les seigneurs de la guerre est, de ce point de vue, un autre piège qui guette le continent. Aujourd'hui, mieux vaut être un chef rebelle ou un président casseur pour retenir l'attention de la communauté internationale, plutôt qu'un gestionnaire sérieux et discret.

Jean-Paul Ngoupandé
ancien premier ministre centrafricain,
député d'opposition en exil.
Le Monde, 18 mai 2002

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27 avril 2007

Je récuse absolument le terme de repentance (Catherine Coquery-Vidrovitch)

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Je récuse absolument le terme

de repentance

Catherine COQUERY-VIDROVITCH *

 

- compte rendu du livre de Daniel Lefeuvre, Pour en finir avec la repentance, Flammarion, 2006.


11393510En qualité d'historienne, je récuse absolument ce terme de repentance, qui n'a été utilisé par aucun historien sinon pour en attaquer d'autres et qui est injurieux à l'égard de collègues dont la conscience professionnelle est indéniable mais dont, pour des raisons diverses, à mon avis essentiellement politiques (mais qu'il est de bon ton d'appeler «idéologiques») on ne partage pas certaines des interprétations 1.

De la part d'un polémiste, on peut tout attendre, et les colères peuvent avoir leurs raisons et leurs effets, voire leurs enseignements. Mais de la part d'un historien, l'ouvrage de Daniel Lefeuvre est surprenant.

D'abord les règles élémentaires d'un historien ne sont pas respectées. À qui s'adressent les critiques de l'auteur, et qu'est-ce qu'un «Repentant» ? Apparemment, celui qui n'est pas d'accord avec lui sur son interprétation de l'histoire coloniale. L'ouvrage de Lefeuvre ne viserait donc pas les historiens, car l'histoire est affaire de savoir et non de morale : je parle d'historiens de métier et de conscience, qui appliquent avec le plus de rigueur possible les méthodes des sciences sociales. Celles-ci, par définition, ne peuvent pas non plus éviter une certaine subjectivité, celle du point de vue auquel on se place ou plutôt où l'on est placé par les hasards du temps et de l'espace.

Comme tous les historiens, l'historien de la colonisation examine les faits, les restitue dans leur réalité la plus probable, et surtout les interprète, cherche à en comprendre les raisons, le fonctionnement toujours complexe et les effets. Il peut exister de bons ou de mauvais historiens ; j'aurais tendance à penser qu'un mauvais historien n'est pas un historien du tout, s'il se laisse guider par sa subjectivité au lieu de la connaître et donc de la contrôler. En tous les cas, la repentance n'a pas place dans cet effort. Or, à regarder de plus près à qui s'adressent les attaques de l'auteur, c'est à quelques collègues. L'adversaire d'abord privilégié n'est d'ailleurs pas historien mais politiste, Olivier Le Cour Grandmaison 2 ; les adversaires secondaires sont des historiens non universitaires (ce qui n'est pas de ma part un reproche mais un constat) ; l'un, Gilles Manceron, est auteur de plusieurs livres originaux et utiles et par ailleurs vice-président de la Ligue des Droits de l'Homme ; l'autre, Pascal Blanchard, est un historien entrepreneur, plein d'idées neuves mais parfois, effectivement, un peu rapide ou provocateur.

Sont écornés par ailleurs, de façon plus légère, plusieurs autres collègues, parmi lesquels Nicolas Bancel, Sandrine Lemaire ou (incidemment) Claude Liauzu ou moi-même. Alors, historiens ou pas historiens ? Car on y retrouve aussi, bizarrement ... Tariq Ramadan (p. 163). Ce sont les seuls nommément désignés à la vindicte de l'auteur. La confusion demeure donc totale, le reste concernant de façon indistincte31 probablement les médias (?), ou bien tout bonnement «on» («on disait alors», «on refait l'histoire», on ne les compte plus, ces «on» constamment appelés à la rescousse !) ; il y a même des expressions aussi précises que «contrairement à une légende tenace» (p. 146). Le tout est constitué en un adversaire imaginaire collectif désormais intitulé : «les Repentants» voire, pire encore, «la propagande repentante» (p. 157) - sans plus de précision ni référence, sinon que «la mythologie de la repentance» (p. 199) entend vouloir «à tout prix prouver que seuls les coloniaux sont stigmatisés» (p. 210). Cela est gênant, particulièrement de la part d'un historien dont la règle devrait être de citer chaque fois précisément ses sources, quelque peu obscures lorsqu'il vise «le prêche des sectateurs de la repentance coloniale [qui] repose sur une suite d'ignorances, d'occultations et d'erreurs, voire de contre vérités» (p. 12) : ou l'invective à défaut de raisonnement...

 

erreurs et occultations

À propos d'ignorances, d'occultations et d'erreurs, Daniel Lefeuvre aurait pu éviter quelques bourdes, en affirmant par exemple que l'«islamophobie ... n'est en rien la survivance d'une culture coloniale plutôt islamophile... à la manière d'un Augustin Berque qui faisait preuve de curiosité humaniste. Sa construction, au contraire, est récente» (p. 228). Augustin Berque comme porte parole de l'opinion publique française en matière d'islam ? Je renvoie, entre autres, à la thèse d'État de Jean-Louis Triaud, au titre pourtant évocateur, démonstration majeure de la construction de l'islamophobie coloniale française pendant plus d'un siècle 3. D'ailleurs c'est contre l'islamophobie qu'avait déjà voulu réagir Napoléon III et son «royaume arabe». Et je rappelle aussi les multiples développements coloniaux du XIXe et du XXe siècle, étudiés entre autres par Charles-Robert Ageron, opposant le «mythe» des Berbères ou Kabyles civilisables aux Arabes («plus musulmans») qui ne le seraient guère 4.

amina3Bien sûr, nous assistons aujourd'hui à de nouvelles constructions de l'islamophobie (qui le nie ?) mais il ne s'agit pas de génération spontanée... Autre erreur choquante : «un pays, le Nigeria, applique la charia» (p. 228). Eh non, «le Nigeria» n'applique pas la charia 5. Le Nigeria, composé de 36 États, est un État fédéral laïc, ce qui, entre autres, lui interdit la lapidation des femmes adultères : certes, deux ou trois provinces du Nord très majoritairement musulmanes font mine de l'appliquer et prononce même des sentences, ce qui est très grave ; mais c'est une manoeuvre éminemment politique qui vise à embarrasser le gouvernement central et, jusqu'à plus ample informé, fort heureusement, aucune condamnation n'a pu être exécutée.

Lefeuvre n'hésite pas non plus à se contredire à deux pages d'intervalle : p. 158, il récuse l'argument de Pascal Blanchard selon lequel, «si l'État favorise cette venue de Nord-Africains en métropole [il veut dire Algériens], ce serait sous la pression du patronat». Or p. 159 il précise lui-même «ainsi, la direction des Charbonnages de France envoie-t-elle des recruteurs sillonner l'Anti-Atlas où elle embauche 30 000 mineurs [marocains] entre 1945 et 1979 » : alors ? Il faudrait savoir ? ou bien les Marocains ne seraient-ils pas «nord-africains» ?

Enfin l'ouvrage déforme outrageusement la pensée de ses «adversaires» lorsque, par exemple, il accuse Le Livre noir du colonialisme de présenter le nazisme comme un héritage colonial : Marc Ferro a simplement rappelé, dans son introduction, qu'Hannah Arendt répertoriait non pas deux totalitarismes (nazisme et communisme), mais trois au XXe siècle. Or c'est au nom de cette invention de filiation, cette fois-ci sans 507citation et pour cause, que Lefeuvre dénigre l'ouvrage sans autre forme de procès : «C'est tout le but [sic !] du Livre noir du colonialisme, publié en 2003, de nous convaincre de cette filiation» [avec Hitler] (p.10). Par ailleurs, il pense faire de l'esprit (par une allusion à une utile édition de sources récemment publiée par Manceron 6) en faisant mine de croire que celui-ci (dont la citation donnée est malicieusemment interprétée) présente Hitler comme le «fils spirituel de Gambetta ou de Ferry» (p. 10 encore) ; mais Hitler utilisateur des constructions racistes «scientifiques» de la fin du XIXe siècle, au demeurant opportunes pour les «expansionnistes coloniaux» de l'époque, cela, il se garde de le rappeler : ou de l'usage du sarcasme pour déformer la pensée d'autrui...

 

statistiques

Un premier étonnement de la part d'un historien économiste distingué : faut-il consacrer le tiers de son ouvrage (pp. 95-140) à expliquer, à partir de la seule Algérie, que la colonisation française fut globalement une mauvaise affaire pour la métropole, ce qui est connu et explicité depuis près d'un demi siècle par tous les historiens de la colonisation, dont le premier fut Henri Brunschwig en 1960, avec son Mythes et réalités de l'impérialisme français, qui demeure un chef d'oeuvre en la matière ?

Faut-il rappeler à notre historien économiste 1. que l'on peut faire dire aux statistiques ce que l'on veut, en particulier lorsqu'il s'agit de moyennes générales, en fonction de la façon dont on les utilise ? Et 2. qu'il vaut mieux éviter, en historien, de valser entre les périodes sans crier gare ? C'est du moins ce que nous sommes chargés d'enseigner à nos étudiants. Absurde donc de se réfugier derrière la pureté des chiffres («voyons donc, pour la conquête d'Alger, ce que nous disent les chiffres», p. 24) : les chiffres sont certes utiles, mais à l'historien de les faire parler, et eux nous diraient plutôt ce que nous voulons entendre.

Ainsi, affirmer tout de go, et sans autre précision, que «de 1900 à 1962 le solde commercial des colonies avec la métropole n'a été excédentaire qu'une année sur trois» (p. 123) ne signifie pas grand chose sur la rentabilité très diffférenciée de territoires variés et étendus dont, selon les lieux et les époques, les uns furent des gouffres et les autres des pactoles (au moins pour quelques investisseurs privés chanceux ). Notre auteur assène des vérités implacables sans aucune référence : «les deux tiers du temps [quel temps ?], les colonies [lesquelles ?] vivent à découvert parce qu'un tuteur généreux, l'État français, assure leurs fins de mois» (p. 123) : a-t-il seulement lu l'article de l'historien économiste F. Bobrie, qui a démontré que l'Indochine entre 1890 et 1914 a été si rentable (à l'opposé de l'AEF) qu'elle a, entre autres profits, remboursé à l'État français la totalité des dépenses de conquête qui en ce cas ne furent pas minces, et dont il en trouvera le détail quantifié ? 7.

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vers 1930 (source)

Certes, ce qu'il expose vaut (en partie) pour l'après seconde guerre mondiale, mais seulement pour l'Afrique noire puisque l'Indochine est perdue et l'Algérie en guerre : c'est précisément la raison pour laquelle les indépendances africaines ont été si faciles à obtenir puisque, à partir du moment où le Code du travail français était promulgué en AOF (1952), l'Afrique s'était mise à coûter trop cher notamment en charges sociales. En répétant ces données bien connues pendant un demi chapitre (pp. 130-134), Lefeuvre ne nous apprend vraiment rien de neuf : qui le nie, chez les historiens s'entend ? En revanche, pourquoi a-t-il omis de rappeler que, de 1900 à 1946, la loi d'autonomie financière des colonies avait stipulé que les colonies ne devaient dépenser qu'en fonction de leurs recettes propres (impôts et droits de douane), ce qui a considérablement et fort longtemps freiné la «générosité» de l'État français ? Le durable non investissement français outre-mer (à la différence de la Grande Bretagne en Afrique du sud, par exemple) ou, quand ils ont eu lieu, les graves errements de ces investissements pourtant largement étudiés (dans le cas de l'office du Niger), de cet héritage l'auteur n'en dit pas un mot.

Enfin, l'exploitation des colonies s'est révélée être un «tonneau des Danaïdes» (titre du chapitre 7, p. 117). Ce fut donc un drame pour l'État colonial comme pour les colonisés. Personne n'y a trouvé avantage. Lefeuvre fournit ainsi des arguments de poids à ceux qu'il veut exécuter : si l'on suit son raisonnement, en effet, les gouvernants et les homme d'affaires français n'étant pas tous des imbéciles, on peut quand même se poser quelques questions sur le bien-fondé d'une aventure coloniale si continuement et si profondément catastrophique, et se demander innocemment dans ces conditions s'il n'y aurait pas quelque repentance à avoir d'avoir si gravement fauté pendant si longtemps ? À quoi bon défendre une entreprise à ce point condamnée ? Je me moque, évidemment, mais c'est pour mieux montrer la faiblesse du raisonnement strictement quantitatif présenté comme infaillible...

Omission plus grave : à trois reprises, il qualifie improprement les Algériens de «Français» (p. 150, 152 et 197). Or sous la colonisation ils étaient indifféremment «Arabes» ou «Musulmans» (la dénomination d'Algériens étant alors réservée aux Français d'Algérie). Certes, il utilise à deux reprises des expressions plus conformes à la réalité en les qualifiant de «partie intégrante de la main d'oeuvre nationale» (p. 150) et en précisant que notables_2sur «le marché français du travail» ils jouissaient de l'«égalité des droits» : du travail, s'entend, et ce exclusivement en France.

L'honnêteté historique exigeait qu'il rappelât en revanche que les «Musulmans», certes, vivaient dans trois départements français, mais qu'ils n'y étaient pas français : c'est précisément en Algérie que fut d'abord adopté en 1894 (avant d'être généralisé ailleurs) le régime dit de l'«Indigénat». Les droits du citoyen français ne furent même pas accordés à une poignée d'évolués, malgré les efforts du député Viollette, pourtant cité, dont la proposition de loi en ce sens (dite loi Blum-Viollette) contribua à faire tomber le gouvernement du Front populaire. Enfin, la constitution de 1946 ne parlait que de citoyenneté impériale, et la citoyenneté française stipulée par la loi Lamine Gueye (1946) ne fut pas appliquée en droit politique. D'où l'inexactitude (le mot est faible) d'affirmer sans nuance et sans date que les Algériens étaient français ? Tout au plus furent-ils étiquetés sur le tard «Français Musulmans» -, au lieu de reconnaître une lapalissade : il n'y aurait pas eu d' «Indigènes de la République»... s'il n'y avait pas eu l'Indigénat ; que celui-ci fût en principe supprimé après la Seconde Guerre mondiale ne l'a pas rayé des mémoires.

 

exemples et citations

Daniel Lefeuvre a beau jeu de reprocher à ses «adversaires» de tronquer les citations, je le cite : «deux citations isolées de leur contexte et tout est dit» (p. 221). Or il fait exactement pareil, ce qui est, je luia_agricole accorde volontiers, de la malhonnêteté intellectuelle. Ainsi m'épingle-t-il parce que j'ai écrit :

«C'est entre les deux guerres que le Maghreb allait à son tour remplir les caisses de l'État, et surtout des colons et des industriels intéressés, grâce aux vins et au blé d'Algérie, et aux phosphates du Maroc». Il a pris soin de taire la phrase suivante : «Mais, comme l'a montré Jacques Marseille, ce soutien fut de bout en bout un leurre. Car, comme on l'a suggéré plus haut, l'économie coloniale, toujours prônée par les gouvernements successifs, eut pour effet majeur de protéger l'économie française de façon malthusienne


Si l'effet majeur fut d'entraver l'économie française, c'est bien que ce n'était pas «rentable». Lefeuvre fait mine de prendre l'expression au pied de la lettre, et me fait donc passer pour une idiote, comme si toutes les recettes françaises venaient d'Afrique du nord ; j'espère pour sa culture historienne qu'il sait que c'est avec Jacques Marseille et sous ma houlette (prenant la suite de Jean Bouvier) que nous avons mené, de 1973 à 1979, une enquête quantitative aussi exhaustive que possible sur la rentabilité détaillée des différents territoires de l'empire, colonie par colonie 8. Cette enquête a servi à Jacques Marseille de premier support pour élaborer son grand livre ; je répète donc ici ce que j'ai toujours expliqué (y compris dans le paragraphe précédant la citation épinglée) : les seules affaires rentables le furent au profit d'entreprises coloniales qui représentaient une part minime du capital français, en Indochine avant la guerre de 1914, au Maghreb entre les deux guerres et en Afrique noire au début des trente glorieuses... Lefeuvre a dû se donner du mal pour trouver à exploiter quelque part une expression trop rapide qui contredirait la totalité des résultats de ma thèse d'État ! 9. Cela n'est guère digne d'un collègue sérieux.

Si j'ai décrit en détail cette anecdote, c'est que le livre de Daniel Lefeuvre procède exactement comme il le reproche aux autres : l'un de ses tics récurrents est de procéder à coup d'exemples pris pour le tout ; le procédé est particulièrement frappant p. 160-162, où il fait bon marché des «très nombreuses déclarations d'Algériens assurant s'être rendus en France après avoir été contactés... par des agents patronaux», mais les réfutent (sans les avoir analysés) par l'énumération de ... six cas censés prouver le contraire : une note du préfet de la Nièvre en octobre 1923, du directeur de la Co des Mines de houille de Marles en 1937, un entrefilet de la Dépêche de Constantine en 1949, un compte-rendu d'un inspecteur des Renseignements généraux à Bougie en 1949, un article du Bulletin du CNPF en 1952, et à nouveau une étude patronale de 1953 : belle démonstration, vraiment ! N'enseigne-t-on pas aux étudiants qu'exemples ne font pas preuve ? (je ne discute pas ici le fond, mais la méthode).

Le deuxième procédé, systématique, est d'extraire les citations de leur contexte pour mieux les ridiculiser. N'accuse-t-il pas Claude Liauzu d'appuyer son assertions de profits parfois immenses de sociétés coloniales «tout en n'en donnant que deux exemples... et à une seule date, 1913» (p. 128) ? Et l'enquête dont je viens de parler, il ne la connaît pas ? Algérie, Tunisie et Maroc ont eu leurs données dépouillées annuellement de la fin du XIXe siècle (et si je me souviens bien, pour l'Algérie, depuis 1830) ; les plusieurs centaines de sociétés commerciales d'outre mer cotées en bourse étudiées sur un demi siècle par Jacques Marseille, alors qu'il les cite à la page suivante, tout à coup il les a oubliées ? C'est du mensonge par omission ou je ne m'y connais pas...

 

positivisme simplificateur

Ce qui est surtout désarmant dans ce livre, c'est son positivisme simplificateur. Manifestement, la complexité des facteurs historiques est une dimension qui lui échappe. Il s'escrime à discuter à l'unité près le nombre de morts provoqués par la conquête de l'Algérie stricto sensu : c'est à peu près aussi intéressant que de calculer le nombre de tués par balle lors des expéditions des conquistadores en Amérique latine ! Tout le monde sait que ce ne sont pas les guerres de conquête qui ont fait disparaître les 9/10e de la population amérindienne, mais les épidémies, les crises de subsistance, et la désorganisation profonde des structures politiques et sociales préexistantes (même si les expropriations de terres, compte tenu du petit nombre relatif de colons espagnols et portugais concernés, ont été proportionnellement (du moins au XVIe siècle, le seul concerné ici) bien inférieures à celles provoquées par les vagues successives de colons en Algérie (expropriations dont Lefeuvre ne dit mot).

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Alger, cimetière arabe (carte postale ancienne)

Au lieu de cela, nous avons droit à un raisonnement désarmant : ou bien, ou bien ; si le nombre de tués par la guerre a été faible, la colonisation n'y est pour rien : le seul responsable de la baisse effroyable de la population algérienne dans la seconde moitié du XIXe siècle est intégralement due à la crise climatique (chapitre 3. «Les années de misère»). Et la conjonction des facteurs, cela n'existe pas ? Je renvoie pour cette analyse notre auteur à la formidable étude historico-géographique, d'une grande érudition, publiée au début des années 60 par Yves Lacoste, André Nouschi et André Prenant sur l'Algérie, passé et présent 10.

Au-delà du seul cas algérien, on remarque que nombre d'entreprises coloniales dans l'histoire se sont accompagnées d'une chute très nette des populations colonisées : en Amérique latine déjà citée, en Algérie et en Afrique du Sud exactement à la même époque et pour les mêmes raisons, et un demi-siècle plus tard (1885-1920) en Afrique noire où les historiens les plus sérieux s'accordent pour estimer entre un tiers et la moitié, selon les régions, la chute de la population. Cette coïncidence renouvelée ne peut qu'interpeller l'historien. Certes, s'il n'y avait eu, chaque fois, des crises parallèles de pluviométrie et de subsistance accentuées par les retombées des crises économiques des métropoles, on peut espérer que les pertes démographiques auraient été inférieures. Mais ce n'est en aucun cas «ou bien», «ou bien» : lorsqu'il y a une telle redondance des effets démographiques, on ne peut que s'interroger sur les modalités entrecroisées des facteurs explicatifs dont la combinaison a pu s'avérer dramatique, même s'il n'y avait pas préméditation !

 

migrations et racismes

Même étroitesse d'esprit à propos de l'historique, pourtant précisément rappelé, des migrations du travail en : France (chap. 10) : en 1951, il y a 160 000 Maghrébins (et non pas «coloniaux»), en France, soit «moins de 1% de la population active». (p. 155). C'est très faible, mais cela ne signifie pas grand chose, tout dépend des catégories socio-professionnelles concernées. Lefeuvre ne le nie pas, mais comme il est facile de biaiser un commentaire ! Il remarque p. 225 que, en 1996, «42% des Français estiment que tous les êtres humains font partie de la même race» et il en paraît content. Mais plus de la moitié des Français croient donc encore que le concept de race est acceptable, et au total près de 20% affirment que ces races sont inégales entre elles, et il trouve cela plutôt rassurant ?

Moi je trouve cela inquiétant, 3/4 de siècle après que la génétique ait démontré le contraire, et trente ans après que Jacquard ait commencé à se donner tant de mal pour en populariser les résultats 11 : ce qui prouve à tout le moins que nos subjectivités sont différentes... De même, chez Renault, les 4/5 des ouvriers non qualifiés, écrit-il, ne sont pas maghrébins et, par conséquent, le rôle des travailleurs colonisés dans la reconstruction française est «marginal» et largement surfait ; l'interprétation ne serait-elle pas modifiée s'il disait exactement la même chose en sens inverse : 20 % de travailleurs maghrébins, tous dans les emplois non qualifiés chez Renault, ce n'est pas rien. Une fois de plus, les chiffres disent surtout ... ce que l'on veut leur faire dire. Alors cela justifie-t-il cet excès attribué à tous les «Repentants»: «Affirmer que [la main d'oeuvre algérienne] a joué un rôle décisif [dans la reconstruction] n'est pas seulement excessif. À ce niveau d'exagération, c'est de fable ? ou de mensonge ? qu'il faut parler» (p. 157). Or, pour justifier sa colère, mystérieusement, les «Repentants» cités se réduisent en fin de compte... à une déclaration de Tariq Ramadan sur France 3 selon laquelle les travailleurs d'Afrique du Nord «ont reconstruit la France» (p. 163).

Bien entendu, Lefeuvre a raison de rappeler qu'il ne faut pas non plus s'obnubiler sur un pan de l'histoire au détriment des autres, et que le «racisme» anti-maghrébin n'a rien à envier à ce qu'il est advenu avant eux aux immmigrés pauvres arrivant en masse : Polonais des houillères, Italiens du bâtiment, etc. Les guerres saintBarthelemycoloniales ont été atroces, mais il a raison de rappeler que beaucoup d'autres guerres aussi ; son long développement sur les massacres vendéens ou sur les camisards (on aurait pu y ajouter les Cathares) renforce bien cette idée-force : les guerres les plus meurtrières et les plus aveugles sont les guerres civiles, car ce sont celles qui, quasi par définition, confondent les civils et les militaires (de même qu'il n'y a jamais eu de guerre sans viols souvent massifs des femmes). D'où la justesse du rapprochement. Le petit Lavisse d'autrefois ne faisait pas autrement, qui enseignait aussi bien les dragonnades de Louis XIV que les enfumades de Bugeaud (est-ce la peine de vouloir minimiser celles-ci (pp. 50-53) ? Bien sûr, comme Lefeuvre l'argumente, si les insurgés s'étaient rendus au lieu de se réfugier dans des grottes, ils n'auraient pas été enfumés : c'est donc «leur faute» ?) Une enfumade est une enfumade et ce ne fut pas la seule, j'en connais au moins une autre assez terrible en Centrafrique - Oubangui-Chari d'alors - en 1931.

Il n'empêche : les hommes d'aujourd'hui ne sont pas tous des historiens, beaucoup ont aussi oublié ou tout simplement ignorent que, depuis toujours, les guerres de religions, quelles qu'elles soient, ont compté parmi les pires. Ce qui demeure dans la mémoire des gens, ce qui a formé à la guerre de guerrilla, et ce qui a justifié la torture (voir Aussaresses), ce sont les guerres françaises les plus récentes, et celles-ci ont été les guerres coloniales... On ne peut nier l'influence de cet héritage dans l'«idée de guerre» en France aujourd'hui. Ce qui apparaît aussi, c'est que les moins intégrés à la France jacobine sont les immigrés les plus récents, et que parmi ces immigrés récents, un nombre très élevé est issu des anciennes colonies (pas tous, il y a aussi les gens d'Europe de l'Est, et les Roumains ne sont guère aimés non plus que le «plombier polonais»). Ceci dit, en moyenne, les immigrés les moins intégrés ne sont plus les Maghrébins : ce sont les gens qui se déversent d'Afrique noire, et comme Lefeuvre ne nous parle que de l'Algérie, cela entâche son raisonnement devenu de ce fait en partie obsolète.

postcolonialité

Enfin, ce que prouve ce pamphlet, c'est l'inculture de son auteur concernant la postcolonialité. Il feint de croire qu'il s'agit de démontrer la continuité chronologique entre périodes coloniale et postcoloniale (entre autres exemples : «la mythologie de la repentance... sert à justifier le continuum entre la période coloniale et aujourd'hui», p. 199). Pour comprendre la pensée postcoloniale, renvoyons à quelques lectures de culture, par exemple le numéro spécial récent de la revue Esprit paru sous ce titre 12. Le postcolonial, ce n'est pas une période : c'est un mode de penser pluriel qui consiste à relire le passé et à le réutiliser, ou à en réutiliser l'imaginaire dans un présent imprégné d'héritages multiples, parmi lesquels l'épisode colonial joue son rôle et a laissé des traces, et qui plus est des traces qui ne sont pas les mêmes pour tous, a fortiori du côté des ex-colonisés et du côté des ex-colonisateurs, bien que les deux soient à la fois contradictoires et inséparables, comme l'a déjà montré Albert Memmi à la fin des années 1940 13. Il est intéressant de noter que Lefeuvre ignore ces termes de «colonisés» et de «colonisateurs» ; les concepts correspondants ne l'intéressent visiblement pas ; il n'utilise, probablement à dessein, que le terme «coloniaux» qui, selon les pages, désigne indifféremment les uns ou les autres. C'est un lissage peu convaincant.

Le dualisme simpliste de Daniel Lefeuvre lui fait penser que «les Repentants» expliquent tout à partir de la colonisation. Bien sûr que non, même si personne n'est parfait, et que des contresens peuvent apparaître parfois. L'histoire - et donc la culture nationale - est cumulative, les différents strates de notre passé se sont entremêlés, produisant chaque fois de nouveaux syncrétismes faits de l'accumulation de toute notre histoire. S'y ajoute, ce qu'il rappelle fort bien (p. 153 à 190), que depuis la seconde guerre mondiale le nombre des immigrés originaires des anciennes colonies s'est démultiplié, pour des raisons diverses. Or, malgré ce contexte culturel métissé, l'héritage colonial a été ignoré, nié ou oublié, alors qu'il est si prégnant que cette attitude de déni et d'oubli nous revient aujourd'hui en boomerang de façon violente et parfois irraisonnable : raison de plus pour ne pas l'escamoter à nouveau au nom de la morale de l'autruche !

Je renvoie pour une analyse autrement plus lucide et fine du processus au chapitre consacré par Jean-Pierre Rioux, dans un ouvrage récent, à la mémoire algérienne contrastée 14. Certes, il s'agit aussi d'un pamphlet, mais qui a le mérite (outre de n'être pas injurieux à longueur de page) d'être un vrai ouvrage de réflexion qui souligne la complexité de ce présent «postcolonial » qu'il a parfaitement le droit de déplorer, même si je ne partage guère les mêmes conclusions. Notre historien économiste devrait se mettre un peu à l'écoute de l'histoire culturelle, autrement plus compliquée que des tableaux chiffrés. L'«histoire sociale est reine», avait coutume d'enseigner Henri Moniot, c'est-à-dire toute l'histoire, dans toutes ses dimensions, économique, sociale, politique, intellectuelle... y compris en histoire coloniale !

Catherine Coquery-Vidrovitch
Professeure émérite à l'Université Paris-7 Denis Diderot
février 2007 - source



Notes

1. En revanche le thème de la «repentance» est utilisé par les hommes politiques (par exemple par le président Bouteflika). Mais les politiques ont souvent des raisonnements qui ne tiennent pas la route, en tous les cas qui n'ont rien de scientifique, et par conséquent ne relèvent pas de l'histoire. Donc il faut savoir à qui s'adresse ce livre : aux politiciens, ou aux historiens ? La confusion est totale.

2. Le fait que Olivier Le Cour Grandmaison ne soit pas historien est important : c'est un spécialiste du présent, qui découvre (et fait donc découvrir) avec un effroi non dénué de naïveté les horreurs d'un passé colonial qu'il ignorait ou négligeait. Il réagit en moraliste et, ma foi, s'il propose quelques bêtises, il rappelle aussi beaucoup de faits fort justes... Les historiens, eux, savent d'une part que le fait colonial a existé depuis les débuts de l'histoire et, côté horreurs de la guerre, ils en ont hélas vues d'autres. Mais ceci n'est pas une raison pour minimiser ce qu'on connaît le mieux au nom de la «concurrence des victimes».

3. Jean-Louis Triaud, La Légende noire de la Sanûsiyya : une confrérie musulmane saharienne sous le regard français, 1840-1930, Paris : Maison des sciences de l'homme, 1995, 2 vol.

4. Voir, entre autres, Charles-Robert Ageron, Les Algériens musulmans et la France 1871-1919, Paris, PUF, 1968, t.1, pp. 267-277, et Politiques coloniales au Maghreb, Paris, PUF, 1972, pp. 110-120. Patricia M.E. Lorcin, Imperial Identities : Stereotyping, Prejudice and Race in Colonial Algeria, Londres, I.B. Tauris, 1995.

5. La constitution du Nigéria (1999) stipule «The Government of the Federation or of a State shall not adopt any religion as State religion» (chapitre 1, section 2, article 10).

6. Gilles Manceron, (introduit par), 1885 : le tournant colonial de la république. Jules Ferry contre Georges Clémenceau, et autres affrontements parlementaires sur la conquête coloniale, Paris, La Découverte, 2006.

7. François Bobrie, «Finances publiques et conquête coloniale : le coût budgétaire de l'expansion coloniale entre 1850 et 1913», Annales ESC, no 6, 1976, pp. 1225-1244.

8. Les bordereaux informatiques de l'enquête n'ont pas été intégralement publiés, mais ils ont abondamment servi à plusieurs thésards, dont Jacques Marseille (qui avait dépouillé tout ce qui concerne l'Indochine), Hélène d'Almeida-Topor (qui a inventorié tout ce qui concerne l'AOF) et plusieurs autres. Une exploitation comparative globale mais limitée dans le temps (1924-1938) a donné lieu à une publication qui fait toujours autorité : «L'Afrique et la crise de 1930», Revue Française d'Histoire d'Outre-Mer, n° 232-233 (parution 1978), Actes du colloque de l'Université Paris-7, 380 p. L'enquête a aussi donné lieu à plusieurs mises au point dont, entre autres, de ma part : «À propos des investissements français outre-Mer : firmes d'Afrique occidentale», in Actes du 2ème Congrès des Historiens économistes français (M. Lévy-Leboyer éd.), La Position internationale de la France, Paris, EHESS éd., 1977, pp. 413-426 ; «Le financement de la "mise en valeur" coloniale. Méthode et premiers résultats», Etudes africaines offertes à Henri Brunschwig, EHESS, 1983, pp. 237-252 ; «Enquête statistique sur le commerce extérieur des territoires francophones d'Afrique de la fin du XIXème siècle à l'Indépendance», in G. Liesëgang, H. Pasch et A. Jones (eds), Figuring African Trade: Proceedings of the Symposium on the Quantification and Structure of the Import and Export and Long Distance Trade in Africa c.1800-1913, Berlin, D. Reimer, 1986, pp.34-45.

9. Mon «amour immodéré de l'Afrique», en sus «troublé par des considérations idéologiques» [lesquelles ?] comme il l'écrit p. 122, m'a en effet incitée à démontrer en quelque 600 pages que l'Afrique équatoriale française fut pour la France un fardeau dont les résultats économiques furent, jusqu'à la seconde guerre mondiale, quasi nuls, si l'on excepte quelques rares compagnies forestières de triste mémoire (dont l'une évoquée par Louis Ferdinand Céline dans Voyage au bout de la nuit sous le nom évocateur de «Compagnie Pordurière» par laquelle il fut employé au Cameroun) : Le «Congo français» au temps des grandes compagnies concessionnaires, 1898-1930, Paris, Mouton, 1972 (rééd. Éditions de l'EHESS, 2001, 2 vol.).

10. Yves Lacoste, André Nouschi et André Prenant, L'Algérie : passé et présent. Le cadre et les étapes de la constitution de l'Algérie actuelle, Paris, Éditions sociales, 1960.

11. Albert Jacquard, Éloge de la différence, la génétique et les hommes, Paris, Seuil, 1978.

12. «Pour comprendre la pensée postcoloniale», Esprit, n° 330, décembre 2006, pp. 76-158.

13. Portrait du colonisé, suivi de Portrait du colonisateur, d'abord publié dans la revue Esprit

15. Jean-Pierre Rioux, La France perd la mémoire. Comment un pays démissionne de son histoire, pp. 126-148, Paris, Perrin, 2006. 

 

* Daniel Lefeuvre répondra prochainement au compte rendu de Catherine Coquery-Vidrovitch

- voir aussi : "Réplique à un argument de Catherine Coquery-Vidrovitch : un historien peut-il faire dire ce qu'il veut aux statistiques ?" (Michel Renard) 

 

__________________

 

la charia dans le nord du Nigéria

- au sujet de l'application de la charia dans le nord du Nigeria, Catherine Coquery-Vidrovitch écrit ci-dessus : "jusqu'à plus ample informé, fort heureusement, aucune condamnation n'a pu être exécutée". Le rapport 2006 d'Amesty International sur le Nigéria précise que, malgré plusieurs condamnations à mort, notamment par les tribunaux "islamiques" du nord du pays, aucune mise à mort n'a eu lieu.

Cependant, d'autres peines sont exécutées. Ainsi,charianiger le 7 février 2002, un reportage de Maryse Burgot et Dominique Bonnet sur France 2 montrait l'amputation de la main droite, effectuée à l'hôpital et sous anesthésie générale, à l'encontre d'un paysan qui avait volé un boeuf ; elle filmait le tribunal dans lequel un juge avait lui aussi condamné un paysan pauvre à l'amputation... (ci-contre, la main coupée du voleur de boeuf...!!).

 

 

- quant à l'avocate nigériane, Hauwa Ibrahim, lauréate du Prix Sakharov en arton91892005, elle expliquait alors "avoir travaillé sur 47 affaires liées à la Charia, les peines prononcées, a-t-elle dit, sont inhumaines, lapidation, fouet, amputation." source

 

 

M.R.

 

 

- retour à l'accueil

26 mars 2007

Ali Boumendjel, un homme dans son temps

Diapositive1

EN COMMEMORATION DU CINQUANTIEME ANNIVERSAIRE DE L’ASSASSINAT DE MAITRE ALI BOUMENDJEL – LE 23 MARS 1957 PENDANT CE QU’ON APPELLE «LA BATAILLE D’ALGER» - SOUS LE REGNE DE LA LOI FRANCAISE PORTANT «LES POUVOIRS SPECIAUX A L’ARMEE FRANCAISE EN ALGERIE»

nous vous présentons le programme du colloque :


Ali Boumendjel

un homme dans son temps


que nous projetons d'organiser à :

L’AUDITORIUM DE LA MAIRIE DE PARIS

le vendredi 30 mars 2007

de 14H30  à   19H00



Il sera présidé par Mme PARIS de BOLLARDIERE (femme du Général Paris de BOLLARDIERE à qui nous voulons ici rendre un vibrant hommage, car par son comportement courageux en ce temps là, il rendait dignité à l’armée républicaine dont il se référait…).

Elle donnera la parole à divers intervenants qui nous ferons des communications sur les sujets qui suivent.

Intervenants :

Malika RAHAL (historienne) - «la biographie de l’homme Ali BOUMENDJEL»,

Benjamin STORA (historien) – La situation politique de la France 54/58

Mohamed HARBI (historien) – La situation politique du Nationalisme algérien 54/58,

Noël MAMERE (député de Gironde au Parlement Français) - le vote et les conséquences de la loi portant «les pouvoirs spéciaux à l’armée coloniale»,

Christiane TAUBIRA (députée de Guyane au Parlement Français) - «le colonialisme français, la décolonisation et ses conséquences de nos jours en France, et dans ses conséquences sur ses relations avec les anciennes colonies…»

Olivier LE COUR GRANDMAISON (politologue) – «…du retour du discours colonial aujourd’hui en France…»

Florence BEAUGÉ (journaliste) – Remémoration de «l’affaire Aussarresses»,

Antoine COMTE (avocat conseil de la Famille BOUMENDJEL) - «la justice française dans la colonisation»

Smaïl GOUMEZIANE (ancien ministre algérien du Commerce) - réflexions sur les «biens faits économiques de la France coloniale»,

Ghazi HIDOUCI (ancien ministre algérien de l’Economie) - Quelles réflexions globales sur hier et pour aujourd’hui….

Conclusions

1957


La famille de Maître Ali BOUMENDJEL, tient, à cette occasion, à rendre un vibrant hommage à des personnalités ou des représentants de personnalités exceptionnelles qui se sont mises debout dès les premières heures douloureuses de ce que fût «la guerre d’Algérie», qui sont souvent restées dans l’ombre après l’indépendance algérienne, et qui ont eu à en pâtir dans leur vie familiale sociale et professionnelle, tout au long de «ces années d’oubli imposé».
Qu’ils n’en attendent pas de l’ingratitude de notre part, comme il est d’usage aujourd’hui, mais par contre, une profonde et sincère reconnaissance….. que leurs prédécesseurs familiaux en soient aujourd’hui honorés….

Avec comme,

Invités d’honneur   M. Hocine AIT AHMED
                               M. Abdelhamid MEHRI
                               M. Olivier PHILIP
                               Mme Marie CAPITANT
                               M. David CAPITANT
                               Mme Alice GADOFFRE

Témoins d’honneur :  Henri ALLEG
                              Josette AUDIN
                              Nicole DREYFUS
                              Francis JEANSON
                              Sadek HADJERES

Que celles et ceux dont nous avons omis la citation ou même l’invitation aujourd’hui, sachent demain nous pardonner nos manquements, sans s’en offusquer….

les organisateurs

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22 janvier 2007

Commentaires sur la "repentance" et le discours de P. Blanchard

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Lamentations, Charles Sprague Pearce, 1877


Commentaire sur la "repentance" et sur

le discours de Pascal Blanchard



- Pour que le débat soit plus visible, nous éditons sous forme d'article ce commentaire à l'interview de Pascal Blanchard dans Africa international.

la repentance de P. Blanchard

Je suis un peu étonné par le contenu du débat actuel sur la repentance, la mémoire, l'histoire, et aussi le révisonnisme. Je suis sans doute un innocent intellectuel, bien que je crois avoir reçu une assez bonne formation universitaire. Ne serions pas retournés vers l'univers des "filles repenties" de notre histoire religieuse ? Je me demande ce que la repentance peut avoir à faire avec l'histoire ? La déontologie des historiens sans doute beaucoup plus, et c'est la véritable question. Et à cet égard, il semble que beaucoup de lectures de l'histoire coloniale soient obsédées par celle de l'Algérie, et M. Blanchard, à ma connaissance, et à la lecture de ses ouvrages, écrits, coécrits ou dirigés, et à ce sujet, ne me parait pas indemne de la critique qu'il fait.

Le même historien répond "C'est une manière de décrédibiliser les travaux. C'est ce qu'on fait quand on n'arrive pas à les contester sur le plan scientifique." Et c'est là toute la question : est-ce que les fameux travaux scientifiques dont il est fait référence, le sont vraiment ?

Est-ce qu'un historien sérieux, déontologiquement parlant, peut énoncer aujourd'hui, dans l'état des recherches historiques, la conclusion d'après laquelle la crise des banlieues trouve sa "généalogie" - terme utilisé par ces historien(ne)s - dans notre histoire coloniale, hors Algérie précisément ? Cette thèse n'est pas démontrée.

Et pour agrémenter notre lecture, et en conclusion, pourquoi ne pas citer le propos éclairant d'un historien, membre de l'équipe Blanchard, M. Bancel, quand il écrit, à propos du scoutisme de l'époque coloniale : "Ici, c'est par la mise en mouvement du corps que se trame l'incorporation des valeurs coloniales." (Culture coloniale, page 189)
Alors effectivement, il faut passer au crible ces discours scientifiques !

posté par jp renaud, lundi 22 janvier 2007 à 10:48

 

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23 février 2007

L'œuvre coloniale de la Troisième République (Ernest Lavisse)

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L'œuvre coloniale

de la Troisième République

Ernest LAVISSE

 

L'œuvre coloniale. – En 1870, la France n'avait qu'une colonie importante, l'Algérie. La Troisième République lui a donné un empire colonial, le second du monde par l'étendue et la population. Elle a ainsi montré que la France s'était relevée des désastres de 1870 et restait une grande nation.

En Asie, Jules Ferry, malgré de violentes critiques, a assuré, au prix d'une guerre avec la Chine, la soumission (1885) de l'Annam et du Tonkin qui, avec la Cochinchine et le Cambodge acquis sous Napoléon III, forment l'Indochine française.

En Afrique, les Français, après avoir colonisé l'Algérie, ont établi leur protectorat sur la Tunisie en 1881 et sur le Maroc en 1912. Ils exercent ainsi leur influence sur toute l'Afrique du Nord. Celle-ci, voisine de la France et habitée par beaucoup de Français, est la plus précieuse de nos colonies.

La France possédait depuis longtemps le Sénégal. Elle a peu à peu occupé et civilisé, de 1879 à 1898, l'immense région tropicale du Soudan qui forme aujourd'hui l'Afrique occidentale française, et les pays situés au nord du Congo, ou Afrique équatoriale française. Entre ces régions et l'Afrique du Nord s'étend le désert du Sahara qui a aussi été occupé par les Français.

Dans l'océan Indien, a été conquise, en 1895, l'île de Madagascar.

L'empire colonial de la France est vingt fois plus vaste qu'elle et compte soixante millions d'habitants. Les Français sont en train de le transformer complètement.

Ils ont partout établi l'ordre et la paix. Ils ont mis fin aux guerres entre tribus dans l'Afrique du Nord, au trafic des marchands d'esclaves dans l'Afrique occidentale et aux brigandages des pirates en Indochine.

Ils ont construit des routes, des chemins de fer et des ports, grâce auxquels le commerce s'est fortement développé, ce qui enrichit à la fois la France et ses colonies. Ils ont aussi créé des hôpitaux et des écoles. Les indigènes, Blancs de l'Afrique du Nord, Noirs de l'Afrique occidentale et de l'Afrique équatoriale, Jaunes de l'Indochine bénéficient ainsi peu à peu, grâce à la France, des bienfaits de la civilisation européenne.

Ernest Lavisse, Histoire de France, manuel de Certificat d'études,
Armand Colin, 1942, p. 318-321.

 

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Ernest Lavisse, Histoire de France, 1942, carte p. 320.

 

_______________________________________________________________________________

 

une critique de Lavisse, par Pierre Nora

- (...) En revanche, Lavisse montrera toujours comment la République, présumée coupable de division, est capable de réussir là même où la monarchie a failli. Ainsi du domaine colonial que Louis XV a dilapidé et que la République a dilaté :

"Nos explorateurs et colonisateurs pénètrent profondément en Afrique. Nous remontons d'abord le fleuve Sénégal... Nous nous emparons du Soudan [actuel Mali]... Nous établirons ensuite la liaison entre le Soudan et l'Afrique du Nord. Nous nous installerons successivement en Guinée, en Côté d'Ivoire et au Dahomey... Nos explorateurs, nos soldats et nos administrateurs ont été les artisans souvent inconnus de cette œuvre admirable."

Ne s'agit-il pas, par la répétition exceptionnelle de cette première personne du pluriel, qui sonne comme un "nous" de majesté, de montrer que la République peut battre la monarchie sur le plan même de l'unité ?
Montrer que la monarchie ne détient pas le monopole de l'unité nationale ne suffit cependant pas. Au nom de la liberté, la Révolution a provoqué le divorce des valeurs morales et politiques. Il faut les réconcilier, donner à la liberté un contenu positif, fonder une nouvelle légitimité.

Pierre Nora, "Lavisse, instituteur national", in Les lieux de mémoire, 1
(1984), éd. "Quarto" Gallimard, 1997, p. 264.

 

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Frédéric Regamay, Les délégués des colonies et Jules Ferry
en novembre 1892
(musée d'Orsay)

 

 

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24 mars 2007

Partis, organisation et travail politique en situation coloniale (29 mars 2007)

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Partis, organisation et travail politique

en situation coloniale

Malika RAHAL, Éric SORIANO

 

Journée d’étude organisée par le GRHISPO et l’IHTP

jeudi 29 mars 2007 de 10h à 17h

à l’IHTP, 59-61 rue Pouchet, 75849 Paris

renseignements :

rahal@ihtp.cnrs.fr
ou
eric.soriano@univ-montp3.fr

 

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meeting de l'U.D.M.A. en 1946

 

Dans les colonies aussi, les années d’après-guerre constituent «l’ère des partis». L'extension progressive du suffrage aux populations colonisées se conjugue à la création spectaculaire de nouvelles organisations (MTLD et UDMA en Algérie, RDA en Afrique de l’ouest…) et à l’apparition de représentants spécifiques au Parlement français. Cette période voit ainsi l’émergence du parti comme forme d’organisation privilégiée de la vie politique pour ceux que la loi Lamine-Gueye a rendu, théoriquement, citoyens – même si la visibilité de certains exemples connus ne doit pas faire conclure trop rapidement à la généralisation du phénomène –.

Pourtant, l'historiographie classique privilégie d'abord des études en termes «d’agitations» ou de «vagues» nationalistes comme pour désigner le caractère simplement réactif, spontané des mobilisations qui prennent corps durant cette période. Elles n'entrevoient pas toujours ou ne rendent pas compte de la dimension organisée, institutionnalisée des mouvements politiques qui se structurent progressivement (tout en n'étant d’ailleurs pas nécessairement nationalistes).

délégitimation des formes de la vie politique des colonisés

En outre, les pratiques et les discours des nouveaux et/ou futurs dirigeants issus des sociétés colonisées contribuent à accentuer l'illisibilité des organisations politiques en formation. En fondant leur organisation sur le parti, les sections, les militants, les adhérents, les sympathisants, leurs activités laissent parfois le sentiment d’une simple «importation» ou «imitation» des formes d’organisation considérés comme légitimes en métropole. Dans bien des cas, ces nouveaux dirigeants sont tentés au contraire de cantonner le politique dans des formes résolument étrangères au colonisateur, afin de se soustraire à son regard (autorités religieuses, néo-traditionnelles, parenté, magie…), voire à exacerber la rupture avec les modes de validation de l'État colonial. Il est dès lors aisé pour leurs adversaires de chercher à les délégitimer par la critique ou la dérision afin de minimiser leur impact sur la société colonisée.

Cette délégitimation des formes de la vie politique des populations colonisées s’exprime de façon particulièrement outrée dans les archives de surveillance administrative et policière, qui constituent une source privilégiée pour l’historien. Mais on en trouve également parfois des traces dans des travaux scientifiques qui, se fondant sur les définitions classiques des partis politiques, se demandent, parfois pesamment, si l’on a affaire, dans les colonies, à de «véritables» activités partisanes. Leurs approches se déclinent souvent en termes d’activités «pré-politiques», ou au moins «pré-partisanes», imposant une vision à la fois développementaliste et culturaliste fondée sur une opposition entre pratiques politiques modernes et survivances de pratiques traditionnelles. Cette vision n’est évidemment pas exempte d’arrière-pensées ou, tout du moins, d’impensés quant aux présupposés qu’elle renferme. Elle recoupe en partie, et à une autre échelle, la perspective par «l'apprentissage de la politique» développée par certains politistes et historiens de la politisation des campagnes françaises au XIXème.

En conséquence, le débat autour du caractère «réellement partisan» ou «réellement politique» des pratiques qui se mettent en place à l'initiative de nouveaux dirigeants et dont la vocation principale est notamment d'assurer la sélection de représentants (ainsi que leur possible professionnalisation), nous semble ici une impasse méthodologique. Nous voudrions plutôt revenir sur le «travail politique» réalisé par des cadres politiques émergeants, souvent issus de nouvelles couches sociales, et consistant notamment à "se construire" une légitimité, entre administration coloniale et sociétés colonisées.

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En effet, l’activité partisane en situation coloniale se heurte à plusieurs contraintes qui en modifient la nature et les évolutions par rapport aux formes identifiées par les historiens et politistes du contexte européen. La première tient à la nature du régime colonial, entendu comme une configuration socio-politique, et qui constitue le cadre du développement de l’activité politique. Souvent considéré comme jouant un rôle dans l’émergence des partis dans les pays occidentaux, l’élargissement du suffrage varie au gré des situations coloniales particulières et des stratégies des administrations locales. Pour autant, la pluralité des situations donne lieu à de multiples usages de cette technologie démocratique, les dirigeants n’hésitant pas à s’emparer des ressources institutionnelles pour créer les conditions d’une mobilisation des populations colonisées.

Limité et surtout contrebalancé par des pratiques antidémocratiques dans certains cas (l'Algérie…), l'activité partisane peut être un lieu de consensus favorisant le contrôle social des populations colonisées dans d'autres situations (la Nouvelle-Calédonie…). Dès lors, si dans certains contextes, les partis doivent se créer et se maintenir, malgré un jeu électoral biaisé et la surveillance constante de l’administration, ils ne sont pas nécessairement perçus comme contradictoire avec l'imposition coloniale dans d'autres. La pluralité des configurations coloniales conditionne, pour partie, la forme donnée aux nouvelles organisations, en favorisant éventuellement le développement de pratiques clandestines ou semi-clandestines.

Par ailleurs, la prégnance d'une lutte contre l'État colonial crée, dans bien des cas, les conditions d'un unanimisme nationaliste qui peut s’opposer au travail de construction d’identités partisanes multiples. Cet unanimisme est d’autant plus puissant qu’il est considéré comme une arme contre un régime colonial refusant la réforme. Le régime de parti unique des post-indépendances peut d’ailleurs être lu comme une victoire de l’unanimisme nationaliste, trempé dans la lutte pour l’indépendance (surtout lorsqu’elle est armée) contre la pluralité des identités partisanes. Dans d'autre cas, ce sont au contraire les mécanismes de l'intégration et/ou de l'imposition coloniale qui jouèrent à plein pour créer les conditions d'une adhésion électorale à l'ensemble français lors du référendum de 1958.

contrainte coloniale et unanimisme nationaliste

La prégnance de ces deux formes de contraintes, contrainte coloniale et unanimisme nationaliste, qui conditionnent également la production des sources nécessaires au travail des historiens, justifie à elle seule une réflexion spécifique autour de plusieurs séries de problématiques :

- Tout d'abord, dans un contexte où apparaissent des formes de citoyenneté limitées et variables d’un territoire à l’autre, comment les acteurs font-ils évoluer les organisations politiques vers une institutionnalisation accrue et vers une forme partisane ? En particulier, peut-on identifier les groupes sociaux porteurs des différents projets partisans ? Si oui, quelles ont été les modalités de leur(s) socialisation(s) politique(s) ? Quels sont les modèles dont ils s’inspirent pour créer et imposer un corps de règles, une discipline militante ?

- Ensuite, afin de mobiliser, le projet partisan «travaille» le tissu social de manière différente selon les lieux et les milieux. Il investit, et se nourrit de dynamiques sociales faites de rapports de parenté, du respect de rituels et de cadres de domination spécifiques. D’autres instances de socialisation, comme l’école, l’association, les syndicats, certaines pratiques religieuses ou formes de sociabilité peuvent préparer le terrain au développement du parti. Les partis se constituent autour du recyclage ces expériences, devenues autant de leviers de la mobilisation politique.

- Dès lors, quelles sont les pratiques qui naissent sur le terrain ? Comment l’organisation partisane parvient-elle à valoriser des réseaux et des pratiques lui préexistent ? Certaines pratiques ou formes d’organisation sociale sont-elles au contraire plus résistantes à l’imposition d’un projet partisan (notamment chefferies traditionnelles, notabilités nouvelles liées à l’administration coloniale, communautés religieuses, associatives, syndicales diverses) ? Il nous semble intéressant d’ouvrir la discussion, même s’il s’agit d’un puits sans fond, sur le politique qui se loge ainsi dans les pratiques associatives, religieuses, magiques ou familiales.

- Au final, dans ce contexte d’émergence des partis politiques, qu’est-ce que faire de la politique en milieu colonial ? Que signifie, pour des adhérents comme pour des dirigeants, de militer, d’appartenir, de s'engager dans un processus de construction partisane ?

Malika RAHAL (IHTP) et Éric SORIANO (CSU)


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Programme de la journée


10h - Introduction de la journée, E. Soriano et M. Rahal.

10h15 - Catherine Atlan (CEMAF) : L'invention de la politique au Sénégal : contrainte coloniale et pratiques partisanes dans les Quatre Communes avant la Seconde guerre mondiale.
10h50 - Estelle Richard (Université de Montpellier) : Une professionnalisation cosmopolite. La trajectoire politique de Marcel Henri dans l'archipel des Comores.
11h30 – Interventions des discutants, Michel Offerlé et Fabrice d’Almeida, et débats.

12h30-14h - Pause déjeuner.

14h - Malika Rahal (IHTP/CERMA) : «L'UDMA a-t-elle existé?» Un projet partisan entre répression coloniale et unanimisme nationaliste (Algérie, 1946-1956).
14h40 - Éric Soriano (CSU) : Un régime de fidélités. Les logiques du recrutement politique mélanésien en Nouvelle Calédonie (1946-1969).
15h20 – Interventions des discutants, Jérôme Heurtaux et Laure Pitti, et débats.

16h20 – Romain Bertrand (CERI) : Conclusion de la journée.


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23 mars 2007

Les entreprises et l’outre-mer français, 1939-1945 (colloque novembre 2008)

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Les entreprises et l’outre-mer français

pendant les années 1939-1945

Appel à communications

pour le IXe colloque du groupement de recherche (GDR)

Les entreprises françaises sous l’Occupation



Organisé à Bordeaux (Gironde)
les jeudi 20 et vendredi 21 novembre 2008

par la Maison des sciences de l’homme d’Aquitaine, le GRETHA-UMR CNRS 5113) (programme Identité & gouvernance des places en économie ouverte sur les outre-mers)-Université Montesquieu Bordeaux IV et l’Université Michel de Montaigne-Bordeaux 3

Responsables scientifiques du colloque :

- Hubert Bonin, professeur à Sciences Po Bordeaux, GRETHA;
h.bonin@sciencespobordeaux.fr

- Christophe Bouneau, directeur de la Maison des sciences de l’homme d’Aquitaine et professeur à l’université Michel de Montaigne-Bordeaux 3-Centre d’études des mondes moderne et contemporain-CEMMC ; christophe.bouneau@msha.fr


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Dans le cadre du programme pluriannuel du GDR Les entreprises françaises sous l’Occupation, il nous est apparu important de consacrer un colloque spécifique à la question de l’activité des entreprises françaises dans l’outre-mer, question qui constitue l’un des six axes affichés en 2002 lors de la création du GDR et qui n’avait pu jusqu’à maintenant qu’être traité dans de trop rares communications isolées.

Le colloque s’attachera à reconstituer la stratégie, les activités et les performances des entreprises françaises insérées dans l’outre-mer impérial, qu’il s’agisse d’entreprises locales, d’entreprises métropolitaines actives en outre-mer ou même d’entreprises étrangères. Les comportements des différents acteurs impliqués, patronaux aussi bien que salariés, et la manière dont ils ont pu être appréciés après la guerre seront également appréhendés.

Le questionnement pourrait notamment porter sur les thèmes suivants :

•    les sources de l’histoire des entreprises outre-mer pendant cette période : évolution et accessibilité ;
•    la stratégie des entreprises face à l’état de guerre ;
•    la stratégie des entreprises face à la division entre métropole et empire ;
•    la stratégie des entreprises au sein de l’empire rattaché à la France libre ;
•   les choix idéologiques, politiques, militaires, personnels, des dirigeants et cadres des entreprises actives outre-mer ;
•    les questions de main-d’œuvre, de politiques de l’emploi et de conditions de travail dans les entreprises d’outre-mer ;
•   les problèmes matériels de liaison entre l’empire et la métropole : navigation, télécommunications, liaisons aériennes, etc. ;
•    le devenir des entreprises allemandes actives en 1939 dans l’outre-mer français ;
•    les débouchés des entreprises impériales coupées de la métropole ;
•    les liens entre les entreprises actives outre-mer et les armées (commandes, etc.) ;
•   les réseaux d’influence des entreprises actives outre-mer au sein de la France libre ou auprès des autorités anglo-américaines, tant en Angleterre que dans les territoires coloniaux libérés ;
•   les relations entre les entreprises françaises et les entreprises étrangères (anglaises, belges, portugaises, espagnoles, etc.) sur les territoires coloniaux : compétition, coordination ?
•   essai de comparaison avec la situation des entreprises étrangères actives dans les autres empires coloniaux pendant la même période ;
•    les circuits de l’argent, du crédit, du change pour les entreprises ultramarines ;
•   le devenir des entreprises actives outre-mer et confinées dans les ports et places métropolitains (quid des problèmes d’approvisionnements et de débouchés ? etc.) ;
•    les activités des ports tournés vers l’empire avant et après la coupure de novembre 1942 (Marseille, Le Havre, notamment) ;
•    Les entreprises de négoce et l’approvisionnement des populations autochtones pendant la guerre ;
•    la préparation de l’après-guerre pour la stratégie des entreprises ultramarines : des plans d’action ? quel empire ? au sein de l’aire économique du Reich ? puis surtout ou sein de l’aire du monde libre ?
•    les Antilles entre métropole vichyste, France libre et monde anglo-américain : quels débouchés ? quels réseaux économiques ?
•    les entreprises en Indochine (et à Shanghai) entre métropole vichyste et occupation japonaise : quel destin ?
•    les entreprises dans l’Afrique et le Proche-Orient libérés : quelles relations avec les Alliés ?
•   les entreprises dans les territoires sous autorité vichyste : quel positionnement politique éventuel ? quelle insertion dans les schémas et projets d’intensification de la «mise en valeur» de l’empire ? quelle place dans l’aire d’influence nazie ?
•    l’évolution des élites et des hommes d’influence au sein du monde des affaires ultramarin pendant et de part et d’autre de la guerre et de Vichy (mutations, continuité ?) ;
•    l’épuration dans le monde des affaires ultramarin.


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Sélection des communications
Les propositions de communication, d'une page au maximum, comprenant les titres et qualités des auteurs et le rappel de leurs récentes publications, seront reçues jusqu'au 1er octobre 2007 à l’adresse électronique
gdr2539@ish-lyon.cnrs.fr

Le comité scientifique fera connaître son avis aux auteurs des propositions au plus tard le 30 novembre 2007.
Les interventions orales seront limitées à vingt minutes. Elles pourront être présentées en français ou en anglais.
Les actes du colloque feront l’objet d’une publication en volume aux Publications de la SFHOM. Les textes définitifs des interventions devront être remis avant le 1er mars 2009.
Les frais engagés par les intervenants au colloque pour assurer leur déplacement et leur hébergement seront pris en charge par les organisateurs.

 

Comité scientifique

- Hélène d’Almeida-Topor, professeure émérite à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne et présidente de la SFHOM ;
- Dominique Barjot, professeur à l’université Paris IV Paris-Sorbonne, Centre Roland Mousnier, membre du conseil scientifique du GDR ;
Catherine Coquery-Vidrovitch, professeure à l’université Paris VII-Denis Diderot, SEDET ;
- Martine Cornède, conservatrice générale du patrimoine, directrice des Archives nationales de la France d’outre-mer, Aix-en-Provence ;
- Hubert Bonin, professeur à Sciences Po Bordeaux et au GRETHA ;
Christophe Bouneau, professeur à l’université Michel de Montaigne-Bordeaux 3, membre du conseil scientifique du GDR ;
- Jacques Frémeaux, professeur à l’université Paris IV Paris-Sorbonne, Centre Roland Mousnier ;
- Patrick Fridenson, directeur d’études à l’EHESS, CRH, membre du conseil scientifique du GDR ;
- Catherine Hodeir-Garcin, enseignante à l’université de Picardie-Jules Verne, Amiens, IDHE ;
- Hervé Joly, chargé de recherche CNRS-LAHRHA-Lyon 2, directeur du GDR ;
- Jean-François Klein, maître de conférences à l’INALCO et Centre Roland Mousnier ;
- Daniel Lefeuvre, professeur à l’université Paris VIII Vincennes-Saint-Denis, IDHE, membre du conseil scientifique du GDR ;
- Michel Margairaz, professeur à l’université Paris VIII Vincennes–Saint-Denis, IDHE, membre du conseil scientifique du GDR ;
- Guy Pervillé, professeur à l’université de Toulouse II-Le Mirail ;
- Philippe Verheyde, maître de conférences à l’université Paris VIII Vincennes Saint-Denis, IDHE, secrétaire général du GDR.

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9 février 2007

Mémoires d'Afrique du Nord (une association)

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Mémoires d'Afrique du Nord

écrire pour vaincre l'oubli

parler pour garder mémoire

 

L'association Mémoire d'Afrique du Nord a été fondée en juin 1994. Elle publie une revue, Mémoire Plurielle. Cahiers d'Afrique du Nord dont 50 numéros sont déjà parus. C'est elle qui a édité l'ouvrage que connaissent bien tous les chercheurs intéressés par l'histoire de l'Algérie : Des chemins et des hommes. La France en Algérie, 1830-1962, éd. Harriet, 1995.

Voici comment elle se présente

 

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De conception originale, elle est essentiellement tournée vers la mémoire et se veut parfaitement apolitique.

Ses objectifs sont d'ordre historique et culturel. Elle s'adresse à tous ceux qui ont vécu en Afrique du Nord, qui l'ont connue et aimée, ou tout simplement qui s'y intéressent. L'histoire est faite par les hommes, la culture permet de mieux apprécier les pays. Il est important de garder trace et de faire connaître ces hommes et ces femmes qui ont marqué la vie de l'Afrique du Nord jusqu'aux indépendances des trois pays : Algérie, Maroc, Tunisie.

Au-delà de toute polémique, de toute rancœur, cette mémoire est riche des nombreuses années vécues en commun avec la France ; il faut la garder vivante. Il faut aussi parler, lire cette mémoire écrite, la faire connaître.

À travers la vie des hommes, c'est la mémoire de leurs actions, des métiers qu'ils ont exercés, c'est renouer un à un les milliers de fils connus, oubliés, parfois occultés, c'est refaire la trame historique de l'Afrique du Nord et lui donner la solidité d'une étoffe, ensemble de points-souvenirs bien serrés.

 

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- liste des Cahiers d'Afrique du Nord, numéros 1 à 50 (1994-2006) édités par l'association Mémoires d'Afrique du Nord

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- ouvrages publiés par l'association Mémoire d'Afrique du Nord

 

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cet ouvrage est disponible auprès de l'association et
sur les sites de vente en ligne de "livres anciens"

 

- lien vers le site Mémoire d'Afrique du Nord

 

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Tigzirt-sur-Mer (Algérie), restaurant - cliquer pour agrandir

 

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14 mars 2007

Mise au point sur les événements de Constantine en 1956 (Gilbert Meynier)

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Pour une histoire critique de l’Algérie

Mise au point factuelle

sur les événements de Constantine,

12 mai 1956 et jours suivants

Gilbert MEYNIER

 

Cette mise au point concerne factuellement les douloureux événements de Constantine de l’ ‘aïd as saghir 1956 – le 12 mai et les jours suivants – que j’ai évoqués dans mon Histoire intérieure du FLN, et qui a les histoire_interieure_du_FLNmois derniers suscité trouble et émotion chez nombre d’humains d’origine constantinoise juive. J’ai pensé un temps que la présente mise au point devrait être faite à l'occasion d'une synthèse historique, qui aurait elle-même valeur de mise au point, faite après analyse et recoupement du plus grand nombre possible de sources, chose que j'ai l'intention de mener à bien, avec l’aide de quelques amis, chercheurs et historiens, et de témoins. Entre autres après avoir pris sérieusement connaissance des travaux sur la question de l’historien israélien Michael Laskier, spécialiste des Juifs dans le monde arabe, avec lequel je suis depuis deux mois en rapport constant. Je voulais évidemment savoir jusqu’à quel point je m’étais ou non trompé sur un fait historique – les événements de mai 1956 de Constantine –, et essayer d'appréhender au plus près la réalité du fait en question. Peut-être ai-je eu tort de ne pas m’être exprimé plus tôt. En tout cas, les  – pressantes – amicales sollicitations de Benjamin Stora m’ont finalement décidé à faire cette mise au point.

J’ai eu tort, en tout cas, de parler à ce sujet de «pogrom», je le reconnais volontiers : ce terme appartient trop à l’histoire de l’Europe centrale et orientale du XIXe siècle pour qu’il puisse être ainsi utilisé innocemment : il n’y eut pas plus de pogrom les 12-13 mai 1956 qu’il n’y en avait eu à Constantine en 1934 : dans les deux cas, furent en jeu, à mon avis, les entrelacs d’un contentieux communuautaire judéo-musulman, à la fois à vif, et en même temps autorisant pour la vie au jour le jour – mais non sans un certain malaise – une cohabitation avérée.

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émeutes de Constantine, 1934

 

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émeutes de Constantine, 1934

J’ai eu tort, aussi, de ne mentionner dans mon livre que le seul point de vue de Anne-Marie Louanchi-Chaulet, qui était alors surveillante au lycée de filles de Constantine. Je la cite dans mon livre au conditionnel, et en précisant «d’après Anne-Marie Louanchi». Cette dernière, qui provenait du mouvement scout catholique, était sœur de Pierre Chaulet, qui représenta, au FLN, la mince cohorte des catholiques s’étant joints au combat du Front. Au FLN, ou parmi les sympathisants du FLN, rappelons qu’il y eut aussi des Juifs, comme en témoigne l’appel du Comité des Juifs pour l’indépendance de l’Algérie. Anne-Marie Louanchi, récemment décédée, dans le livre d’hommage qu’elle a consacré à son mari Salah Louanchi  – qui fut, fin 1956-début 1957, dirigeant de la Fédération de France du FLN – parle, à propos des événements de mai 1956 à Constantine, d’un bilan de 230 victimes. Elle écrit que ce bilan lui aurait été fourni par un commandant de CRS. Là, j’ai bel et bien commis une faute comme historien : j’ai cité une seule source, au lieu d’en rechercher et d’en produire d’autres, je n’ai donc pas procédé au recoupement des sources, dont le recours est une obligation de la recherche historique, et j’ai ainsi manqué à l’esprit critique historien.

Par ailleurs, j’ai, depuis deux mois, conjointement avec des amis, des témoins, et autres historiens, tenté de recueillir témoignages et documents sur ces événements. J'ai eu pendant ce temps une correspondance assidue avec Michael Laskier, dont j’ai lu les livres en anglais qui traitent de ces questions. Il a conclu qu'il y avait eu, certes non pas un «pogrom» ayant fait «230 victimes», mais bel et bien, à la suite d'explosions ayant frappé des cafés juifs, le 12 mai 1956, des réactions de Juifs constantinois, encadrées par des membres de la Misgeret (dont le rôle précis est matière à discussion historique, et là-dessus, ma religion n'est pas vraiment faite), organisation correspondante du Mossad pour l'Afrique du Nord. J'ai dû aussi faire faire le compte-rendu de son article en hébreu sur ce sujet, publié par la revue israélienne Pe'amim en 1998 – malheureusement  je ne lis pas l'hébreu – , par la professeure d'hébreu de l'Ecole normale supérieure- Lettres et Sciences humaines, Mme Dorit Shilo, à qui vont mes remerciements.

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Constantine, pont et porte El-Kantara

Les témoins sollicités, ou bien n’ont pas répondu, ou bien ont déclaré qu’ils n’avaient jamais entendu parler de ces événements, ou encore, s’ils en ont souvenir, le problème est qu’ils ne se rappellent pas tous exactement la même chose, loin de là. Le Constantinois Benjamin Stora m’a écrit (il avait 6 ans à l’époque des faits) qu’il n’en avait jamais entendu parler dans sa famille. M. Bernard Cohen, lui aussi de Constantine, tout en reconnaissant les faits, a estimé que le nombre des victimes n’avait pas dû excéder la dizaine.

Un gestionnaire du cimetière musulman de Constantine s’est rappelé, lui, avoir fait creuser, alors, 130 tombes. Le journal du FLN El Moudjahid, N° 1, a consacré quatre pleines pages aux événements de Constantine, et a produit une liste de 61 victimes – dont il avertit qu’elle n’est pas limitative. Il n’est évidemment pas question pour l’historien d’avaliser purement et simplement de tels points de vue et témoignages : il faut les analyser, les recouper avec d’autres, bref les rendre productifs au sens historique du terme. Mais, à l’inverse, il faut se rappeler que, de notoriété connue, l’amnésie est, aussi, constitutive de mémoire. La consultation de la Dépêche de Constantine – qui met les événements de Constantine sur le compte originel d’un terrorisme algérien fondateur, et qui ne dit pas un mot des Juifs –  et la consultation des cartons des Archives historiques de l’Armée, conservées au fort de Vincennes, consacrés à ces événements (malheureusement consultables seulement sur dérogation), permettront sans doute de mieux préciser les faits.

L’historien israélien Michael Laskier aboutit, lui, au bilan de 26 morts musulmans en deux jours (12 et 13 mai 1956), suite aux actions conduites par des Juifs constantinois qu’il dit liés à la Misgeret – M. Bernard Cohen estime, lui, que M. Laskier exagère le rôle de la Misgeret. Et, dans ses livres en anglais que je me suis procurés, comme dans son article de Pe’amim, Laskier s'appuie sur de solides sources, israéliennes notamment, pour rendre compte d’événements tels que ceux de Constantine.

Dans les échanges directs que je viens d'avoir avec lui, il estime qu'il y a pu y avoir, suite à ces journées des 12 et 13 mai, une répression de la part de l'armée française et d'ultras européens de l'Algérie française, qui a bien pu alourdir le bilan – mais, là, rien de spécifiquement "juif", même si des Juifs ont pu, aussi, se trouver parmi les ultras. Un vieil ami juif originaire de Constantine m'a bien affirmé de son côté que des parents à lui avaient été des activistes de l'OAS. Cela signifierait que, si, en 1956, le bilan a été lourd – chose que l’historien doit s’attacher à déterminer ou à démentir  –, il l’a peut-être bien été dans les jours qui ont suivi le 13 mai 1956, mais cela principalement du fait d’une répression de l’armée française, et non d’éléments «juifs». – il y avait, stationnés  à Constantine, la valeur d’au moins deux régiments, sans compter la gendarmerie et les CRS.

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Constantine, entrée de la Casbah, carte ayant circulé en 1906

Pour expliquer ma légèreté – il ne s’agit pas là d’une excuse, mais d’une explication –,  j'avais été tellement plombé, quand j’ai réalisé mon Histoire intérieure du FLN, par la litanie des horreurs que j'ai eues sous les yeux dans d'innombrables documents, concernant de multiples autres événements la guerre de 1954-62, que je n'ai pas cherché plus avant ; et j'ai eu tort : j’ai été victime d’une manière de banalisation de l’horreur. Et j’avoue que, ayant rencontré et connaissant le frère d’Anne-Marie Louanchi, Pierre Chaulet, ce dernier m’avait fait forte impression ; et je n’ai pour cela sans doute pas, alors, songé à examiner plus avant le témoignage de sa sœur, que je n’ai jamais vue. L’historien, sur un tel sujet, se devrait bien sûr de recueillir, aussi, le témoignage de Pierre Chaulet. Il serait de même indispensable de faire une études comparative, mois par mois, pour l’année 1956, ou au moins pour le premier semestre, des registres de dé-cès de la ville de Constantine.

En un mot comme en cent, tout historien peut être amené, pour une raison ou une autre, à écrire des choses erronées. S’il est honnête, il doit le reconnaître dès qu’il s’en est convaincu. Dans l’air du temps actuel, il est vrai que bien des énormités sont proférées au jour le jour. Il est certain, par exemple, que le terme de «génocide» est mis à toutes les sauces, et qu’il n’y a pas eu, en effet, de «génocide» à Constantine en mai 1956, comme l’a pu affirmer par exemple le journal algérien El Acil. Et les propos du ministre algérien des anciens Moudjahidine Cherif Abbas, porte-parole du Président Bouteflika, au colloque commémoratif de Sétif, le 6 mai 2005, qui assimilaient la colonisation au nazisme et les fours à chaux de Guelma aux fours crématoires d’Auschwitz, représentent une évidente falsification de l’histoire.

Quelque sanglante, à raison de milliers de victimes, qu’ait pu être, par exemple la répression coloniale de mai 1945 dans le Constantinois, elle n’a pas été un «génocide», comme tend à l’alléguer le nom même de la très officielle algérienne «Fondation pour le génocide du 8 mai 1945». Il n’y a pas «génocide» toutes les foispurifier_et_d_truire_couv qu’il y a massacre : le récent livre de Jacques Sémelin, Purifier et détruire ; usages politiques des massacres et des génocides, fournit à ce sujet des critères opératoires plausibles pour désigner la spécificité historique des «génocides». Ces critères n’ont pas, semble-t-il, beaucoup modifié les termes médiatiques simplificateurs du débat actuel. Il faut dire que les contre-vérités produites à Sétif se sont inscrites dans la réaction, symétrique, aux âneries officielles françaises de la loi du 23 février 2005, prétendant faire enseigner les «aspects positifs» de la colonisation française, chose tout aussi inacceptable pour l’historien. Tout historien qui se respecte ne doit relever d’aucune injonction officielle, d’aucun communautarisme, quel qu’ils soient, et n’être complaisant avec aucun d’entre eux.

Les historiens se doivent donc d’étudier patiemment les phénomènes, en se gardant des injonctions mémorielles et victimisantes d’où qu’elles viennent. Aujourd’hui, de part et d’autre de la Méditerranée, mais aussi au sein de l’hexagone, l’historien doit ne pas se mêler des parties de ping pong mémoriels où s’affrontent tels partisans bruyants de la nostalgérie française, et tels anticolonialistes médiatiques de combat de la 25e heure. Et ce n’est pas parce qu’on a établi que l’OAS s’est rendue coupable de crimes qu’on est «antifrançais» Ce n’est pas parce qu’on a démontré que des crimes furent en effet accomplis sous la houlette du FLN –  principalement sur des Algériens  – que l’on est «colonialiste». Et ce n’est pas parce qu’on a mis en évidence que des Juifs ont, en telle ou telle occasion, pu réprimer et tuer, qu’on est pour autant «antisémite». Ou alors il faudrait accuser d’antisémitisme les auteurs israéliens d’un documentaire qui a fait récemment scandale, et qui accuse nommément l’actuel ministre des Infrastructures Benyamin Ben Eliezer d’avoir fait exécuter, lors de la guerre de 1967, 250 prisonniers égyptiens.

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Constantine, quartier arabe, carte postée en 1913

Dans les débats trop souvent frelatés d’aujourd’hui, l’historien ne peut non plus, en toute conscience déontologique, choisir entre les injonctions respectives des dogmatiques d’«Occident» et d’«Islam». D’un côté, l’universitaire idéologue Samuel Huntington parle, comme s’il s’agissait d’essences essentiellement et intemporellement opposées, de «l’Islam» et de «l’Occident», sur fond de commerce émotionnel débile d’un fondamentalisme protestant bien américain, dont George Bush est le représentant de commerce sur le champ de l’impérialisme d’aujourd’hui. De l’autre, les Ben Laden et la cohorte «islamiste» manichéenne qui se reconnaît en lui, énoncent symétriquement la même dichotomie simpliste, et historiquement fausse. L’«Islam» et l’«Occident» : comme s’il s’agissait d’essences une fois pour toutes monolithiques ; comme si l’histoire n’avait pas d’abondance démontré qu’il n’y eut jamais au fond de muraille de Chine entre les deux : des abrutis et des gens ouverts d’esprit se trouvent, et d’un côté, et de l’autre. Comme aimait à le dire plaisamment le regretté, et grand orientaliste Jacques Berque – un Pied noir qui était pénétré de culture arabe –, les imbéciles, même démonstrativement ennemis, sont «unis comme le sont les nénuphars par leurs racines».

 

l'historien ne peut renvoyer dos à dos

toutes les violences

Cela n’empêche pas que l’historien ne peut renvoyer dos à dos, concernant la guerre de 1954-62, toutes les violences : la violence française coloniale y fut industrielle et massive ; la violence algérienne fut artisanale et plus ponctuelle ; elle fut en partie une violence réactionnelle, dans une contexte de domination, de violence (re)conquérante et répressive, de discrimination et de racisme portant la marque du colonial. Personnellement, j’ai été traité de «raciste anti-algérien» et de «colonialiste» d’un côté, et, symétriquement, d’ «agent du FLN» et d’ «anti-français» de l’autre, voire même, plus poétiquement, de «capitaine de galère barbaresque» (ce qui, pour un Lyonnais originaire des Alpes du Sud, représente une spectaculaire mutation) sur un site «pied-noir». Cela notamment pour avoir osé initier l’organisation à Lyon – cela va sans dire, hors de la collaboration des mémorialistes de combat –, à l’École Normale Supérieure-Lettres et Sciences Humaines, en juin  2006 –, un colloque international sur l’histoire franco-algérienne, qui a accueilli 83 participants – algériens, anglais, français, hongrois, italiens, palestiniens, etc. : l’histoire appartient à tous, y compris à des gens ne relevant pas de la séquence franco-algérienne de l’histoire des humains de ce bas-monde.  Riad_el_Fath

L’historien se doit de regimber contre l’inflation victimisante, qu’elle émane des officiels algériens (qui martèlent, sans aucune preuve à l’appui, le chiffre de 1 500 000 morts algériens pour la guerre de 1954-62), ou qu’elle émane des harkî(s) (on a dit dans leur camp mémoriel 150 000 morts ; aujourd’hui on dit plutôt maintenant, mais là aussi, sans aucune preuve avérée, 100 000 ou 70 000 : le niveau baisse, et tant mieux…). Or, l’historien rigoureux qu’est Charles-Robert Ageron a conclu, sur la base de documents démographiques, qu’il y avait eu 250 000 victimes algériennes de la guerre de 1954-62 . De son côté, le démographe algérien Kamel Kateb, à partir de sources analogues, arrive à un total de 400 000 – ce qui est déjà énorme  : plus, proportionnellement, que les morts français de la Première guerre mondiale ; mais en aucun cas 1 500 000. Et le même Charles-Robert Ageron, dans trois articles définitifs, a aussi montré que les chiffres victimisants produits à propos des massacres des harkî(s) étaient de beaucoup exagérés. Cela n’empêche pas que, sans doute, plusieurs milliers de harkî(s) ont été massacrés, ce qui fut, là aussi, terrible. Mais, dès lors qu’il a constaté l’horreur, dans tous les cas, l’historien a mission de ne pas en rajouter.

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synagogue de Constantine

Et il importe aussi, me semble-t-il, de réfléchir aussi sur la mémoire : Benjamin Stora m'a pertinemment fait remarquer que tout le monde, parmi les Juifs de Constantine, se souvenait des événements douloureux de Constantine de 1934, et que pratiquement personne ne se rappelait ceux de 1956 – un autre Constantinois, M. Bernard Cohen, lui, m'a écrit en avoir eu connaissance, même s'il a contesté les chiffres gonflés de Anne-Marie Louanchi. Où situer, donc, la différence entre 1956 et 1934 ? Je dirais, d'une part, que, en 1934, c'étaient les Juifs de Constantine qui avaient été molestés, cela suite à la provocation - involontaire - de l'un d'eux : un zouave juif ivre surpris à uriner sur le mur d'une mosquée. En 1956, les 12 et 13 mai, à l'inverse, ce sont des Juifs qui ont molesté des Musulmans, suite à des attentats contre des cafés juifs. Chacun sait que la mémoire a toujours tendance à être sélective : n'a-t-on pas tendance à retenir les horions qu'on subit, davantage que ceux qu'on donne?

Par ailleurs, il est probable que, si un bilan lourd de mai 1956 est avéré (là, je redis que la consultation des registres de décès sera d'un apport important), il fut redevable, de manière plausible, à une répression de l'armée française/d'ultras européens, qui a continué dans les jours suivants; ce ne fut donc, à coup sûr, pas spécifiquement une répression menée par les Juifs, même si, les 12 et 13 mai – c'est, là, avéré –, des Juifs ont pu y être impliqués. L'éventuelle lourdeur du bilan se réfère à des événements postérieurs : la Dépêche de Constantine continue pendant plusieurs jours à évoquer des actions de l'armée française à Constantine.

 

les contextes de 1934 et de 1956 sont bien différents

Enfin, les contextes de 1956 et de 1934 sont bien différents : en 1934, l'Algérie n'était pas en guerre ; et un événement, même traumatisant et sanglant comme celui de 1934, a été dans la mémoire forcément mis en relief du fait même de son caractère factuellement exceptionnel.

À l'inverse, en 1956, on est bien installé dans la guerre, et les événements sanglants se succèdent à une allure vertigineuse : c'est exactement un mois avant le 12 mai 1956 (donc le 12 avril) qu'est intervenu le massacre le plus lourd de la guerre : le massacre de la totalité des habitants de la dechra Tifraten, près d'Oued Amizour, dans la Kabylie de la Basse Soummam, qui a été ordonné, on le sait, par le lieutenant Fadel H’mimi, mais couvert par Amirouche, capitaine de la zone dont dépendait la Basse Soummam : le drame a fait l’objet d’une âpre altercation lors du congrès de la Soummam, le 20 août de la même année, entre partisans et détracteurs d’Amirouche. Des sources françaises, qui furent celles à avoir été portées à la connaissance des congressistes, parlent d’un bilan de 1 200 morts. Mohamed Benyahia, lui, avance le chiffre de 490 personnes égorgées, cela en une seule nuit, pour cela dénommée depuis, en Kabylie, «la nuit rouge». Peu importe le chiffre exact, et on ne le connaîtra sans doute jamais. Mais le massacre a été à coup sûr plus important que celui de Melouza, un peu plus d'un an plus tard, qui fut bien plus médiatisé, pour des raisons que j'expose dans mon Histoire intérieure du FLN.

CONSTANTINE_rue_NationaleDonc, à Constantine, au printemps 1956, les attentats (FLN ? provocations des ultras ? Les deux ? ou encore expression de contentieux communautaristes locaux ?) se sont enchaînés avec des répressions ; il y avait déjà eu, notamment, un attentat contre un café juif en mars. Et les affrontements ont peut-être bien pu constituer, au printemps 1956, le leit-motiv d'un quotidien douloureux, cela expliquant peut-être une sorte de banalisation de la violence, laquelle a pu s'installer dans les mémoires de manière latente et synthétique, sur fond de l'horreur générale de la guerre.

Et puis, l'argument consistant à dire que, s'il y avait eu autant de morts que l'écrit Anne-Marie Louanchi, jamais les communautés composant la ville n'auraient pu continuer à vivre côte à côte jusqu'à 1962, est bien sûr à considérer, mais on peut le discuter en le contextualisant : en effet, le bilan de la grande répression d’Alger, couramment dénommée «bataille d'Alger», un an plus tard, a été autrement plus lourd, et les gens ont tout de même continué à y vivre - mal, certes -, mais ils ont survécu, avec toute la haine refoulée par une implacable répression, dans une ville où il y avait des Algériens, des Européens, des Juifs, etc. À ma connaissance, il n'y a pas eu à Constantine la même intensité répressive, étalée sur plusieurs mois, comme à Alger ; et il n'y avait pas eu, de même, à un niveau de violence comparable, un pareil enchaînement d'attentats, depuis celui de la rue de Thèbes de l'été 1956, puis ceux du Milk Bar, du casino de la Corniche, etc.
   
Pour terminer, sur ces événements de Constantine de mai 1956, j’essaierai, quand j’aurai accumulé tous les documents possibles, que j’aurai procédé aux analyses et recoupements indispensables, d’enclencher – de participer à – une synthèse historique digne de ce nom. Pour l’heure, ce serait prématuré car tout ce travail a été à peine amorcé. J’ajoute que tous ceux qui pourront aboutir à établir la vérité seront les bienvenus pour participer à ce travail. Certes, nous savons que la Vérité n’appartient qu’à Dieu si l’on y croit, en tout cas au corpus intangible de valeurs humaines auquel on adhère si l’on n’y croit pas.

 

Il y a bien d’autres problèmes qui assaillent les Agériens

que l’obsession focalisée sur le colonial/post-colonial

Il est plus qu’urgent de faire advenir une histoire critique de l’Algérie coloniale, une histoire critique de l’Algérie tout court : les Algériens, pour marqués qu’ils ont été par la phase coloniale, ont eu une histoire bien avant 1830, et même une histoire à eux en pleine phase coloniale. Cette histoire n’a commencé ni en 1954 ; ni en 1830, ni en 1516, ni en 698  : en tous les temps, et dans toutes les circonstances, ils ont mené leur vie, aimé et souffert, et conduit malgré tout leur destin.

Ce serait être colonialiste que de les réifier à leur pur statut de colonisés. De même qu’il serait inepte de ne réduire «les Juifs» qu’à une judéité monolithique, les «Pieds noirs» à leur statut d’agents et/ou de fusibles coloniaux, et aussi les «Français» à une essence qui serait elle-même intemporellement coloniale : tous ont eu, aussi, une vie avant la colonie, et en dehors de la colonie, et ils continuent à en avoir une après la colonie. Et cette vie n’est pas marquée tout uniment que par le post-colonial. Il y a bien d’autres problèmes, tout à fait actuels eux, qui les assaillent, et que l’obsession focalisée sur le colonial/post-colonial a trop souvent tendance à occulter.

Gilbert Meynier

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Constantine, hôtel Cirta

 

 

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8 février 2007

compte rendu du livre de J. Marseille par Paul Bairoch


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compte rendu du livre de J. Marseille

par Paul Bairoch (1988)

 

Marseille_1984_couvLe livre de Jacques Marseille a pour but essentiel de verser le dossier du colonialisme français aux controverses sur le bilan sur le bilan économique du colonialisme. Contribution importante tant en raison de la valeur du travail effectué par l'auteur que du très large intérêt suscité par la question de la contribution (positive ou négative) du colonialisme au processus du développement économique des sociétés industrialisées occidentales. Cette interrogation, qui devrait être surtout "scientifique", est trop souvent encombrée d'idées préconçues, et souffre d'un vide quasi complet d'analyses empiriques. En général, le schéma explicatif simpliste s'articule sur les deux affirmations suivantes : étant donné que, pratiquement, toutes les puissances industrielles ont "cherché" à se doter d'un empire colonial, c'est que celui-ci devait être forcément bénéfique pour leur économie et, surtout, pour leurs industries ; étant donné que le futur Tiers-Monde a pâti économiquement de la colonisation, l'autre partenaire devait nécessairement en avoir retiré des bénéfices.

Bien sûr, même en l'absence d'études empiriques approfondies, il était aisé d'entrevoir les failles de cettebairoch_tiers_monde_couv double assertion. Et nous-même, dans notre livre Le Tiers-Monde dans l'impasse, nous faisions remarquer que les bénéfices retirés par l'Occident de cette aventure coloniale ont été très faibles et sans commune mesure avec les dommages qu'elle a occasionnés. Paradoxalement, on peut presque conclure, d'une analyse empirique de ce problème, qu'il n'y a pas eu de réel bénéfice sur le plan macro-économique pour les divers pays possédant un empire colonial (p. 158).

Mais pour trancher tant soit peu valablement il faudrait disposer d'une série d'études sur les "coûts-bénéfices" économiques du colonialisme pour chaque puissance coloniale. Dans cette perspective, la thèse de Jacques Marseille constitue un apport primordial sur le cas français. Le livre, qui est une "version allégée d'une thèse de doctorat d'État soutenue à la Sorbonne" en 1984, comporte trois parties : Mythes et réalités du bilan colonial ; Redéploiement ou protectionnisme ; À la recherche de l'État. C'est la première partie qui nous a le plus retenu (elle représente d'ailleurs la moitié du texte proprement dit).

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mythes et réalité du bilan colonial...

Jacques Marseille a l'art de présenter avec élégance et simplicité des problèmes techniques parfois complexes. La tentative d'établissement du bilan global se fait essentiellement à travers le commerce extérieur et l'investissement international. Avant de présenter les principales conclusions de cette partie clé, signalons la très intéressante idée d'élaboration d'indices des termes des échanges reflétant la structure des activités socio-économiques de l'Algérie : indigènes, colons et sociétés minières.

Les conclusions essentielles ? Nous avons déjà évoqué les mythes, voyons donc les réalités. Pour Jacques Marseille il faut distinguer la période 1880-1930 de celle de 1930 à 1960. "Jusqu'en 1930, le marché colonial assurait le débouché qu'exigeaient les branches alors motrices de la croissance" (p. 155). "À partir des années 1930, par contre, le marché colonial, en assurant la survie de ces branches désormais déclinantes, semble entraver l'émergence de nouveaux secteurs..." (p. 156). Ces constatations sont étayées par de très nombreuses analyses statistiques.

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Casablanca (Maroc), Bourse du Commerce

 

Le problème qui, à notre avis, subsiste - et que, convenons-en, il aurait été difficile de résoudre, même dans le cadre d'une vaste thèse - est de déterminer le véritable impact de l'évolution positive des exportations françaises vers l'empire dans la période 1890-1930. Il est déjà très difficile d'évaluer, pour les périodes antérieures à 1930, pour chaque secteur, la part exportée. Or, cela est évidemment primordial : l'impact est très différent pour un produit dont 90% des exportations sont destinées aux colonies mais dont les exportations totales ne représentent que 5% de la production, et pour un produit dont les colonies n'absorbent que 35% des exportations mais dont la part exportée de la production représente 75%. Dans le premier cas les colonies n'absorbent que 4% de la production, dans le second cas 20%. À cela s'ajoute le problème de la "profitabilité" qui peut être différente entre marché national et exportations. Et cette "profitabilité" n'est pas nécessairement supérieure pour les exportations qui impliquent souvent un coût additionnel ; mais ces exportations peuvent parfois permettre aux entreprises de mieux couvrir les coûts fixes.

La deuxième partie s'article autour de la crise de 1929. Il s'agit de voir les origines de ce qui constitue le second but principal du livre de Jacques Marseille : à savoir "comment la France a-t-elle pu divorcer d'un empire colonial qui représentait dans les années 1950 plus du tiers de ses échanges commerciaux et la quasi-totalité de se sinvestissements extérieurs ?" (p. 15). La crise de 1929 va entraîner une pression des industriels en faveur d'un protectionnisme qui non seulement réduirait les importations en France, mais également les importations de produits non français dans les colonies, permettant ainsi à celles-ci d'absorber plus de produits industriels français. Cette pression aboutira rapidement ; elle est bien illustrée par le cas de l'industrie automobile dont les exportations vers l'empire ont représenté en moyenne 25,6% des exportations dans les années 1922-29 et 50,7% dans les années 1930-35, quand, en même temps, la part de la production exportée passait de 27,3% à 12,8%.

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Casablanca (Maroc), Bourse du Commerce

 

Les années 1930 voient tout un bouillonnement d'idées sur les stratétgies à développer dans les colonies. La première est celle, déjà signalée, du protectionnisme combiné avec des mesures conduisant à une augmentation du niveau de vie des colonies, afin que celles-ci puissent absorber plus de produits manufacturés français (l'augmentation du niveau de vie se réalisant à travers des prix plus rémunérateurs des produits exportés par les colonies). Position attaquée par les milieux liés au commerce des produits bruts des colonies, notamment les commerçants marseillais qui arguèrent que cette politique "limiterait l'activité de la France à la satisfaction des besoins d'une centaine de millions d'individus dont plus de la moitié en est au stade de civilisation la plus primitive et ne pouvant avant des temps fort longs avoir une consommation égale à celle des pays aux marchés desquels on renonce" (p. 231).

Une autre stratégie est celle que Jacques Marseille qualifie, à juste titre, d'anticipatrice : l'industrialisation des colonies, et notamment de l'Indochine. Cette thèse était surtout défendue par Paul Bernard, politicien et admlnistrateur de la Société financière française et coloniale, qui voyait dans l'industrialisation des colonies "une stratétgie au service de la puissance française" (p. 249), car, à terme, elle créerait plus d'emplois (en France) qu'elle n'en supprimerait. Il invoque, à l'appui de sa thèse, l'exemple britannique où l'industrialisation de l'Inde avait entraîné, selon lui, une demande accrue de biens d'équipements compensant le recul des autres exportations. Finalement, ce fut la première solution (protectionnisme et prix favorable) qui l'emporta.

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Conakry (Guinée), avenue du Commerce et douane

 

Mais, face à ces positions, il y a encore l'État - c'est l'objet de la troisième partie ; un État qui, de la fin du XIXe siècle au milieu du XXe siècle "se voit chargé par les milieux d'affaires d'assurer la charge de l'empire, d'imposer le travail aux indigènes, de fournir les moyens financiers aux grands établissements de crédit" (p. 283), bref, d'un rôle croissant. Et Jacques Marseille de se demander si le terrain colonial "n'a pas été le lieu privilégié d'une collaboration étroite entre pouvoirs publics et intérêts privés" (p. 283). La conclusion nefonds_marius_moutet_1 peut être que nuancée, car l'État c'est aussi unee succession de gouvernements, et des partis qui n'ont pas même de continuité dans leur politique coloniale. C'est ainsi que le Front Populaire, qui fut le premier à trancher sur le débat de l'industrialisation de l'Indochine, opta en définitive et paradoxalement pour la complémentarité. Ainsi, Marius Moutet [ci-contre], ministre socialiste des colonies déclarait qu'il fallait "un aménagement satisfaisant de l'économie franco-coloniale, par le privilège réservé aux produits coloniaux dans la métropole, pour garantir un juste prix au producteur et lui permettre de quitter sa vie misérable des races nues et, en contrepartie, assurer aux produits industriels métropolitains un traitement privilégié dans les colonies" (p. 335).

Il est vrai que nécessité fait loi, et les nécessités économiques de la France de 1937 étaient Albert_Sarrautpressantes. Il est vrai aussi que si un député socialiste en 1937 parle de "races nues", en 1933 un autre ministre des colonies, non socialiste lui, (Albert Sarraut) [ci-contre], défendant un projet de loi, parle du "noir, un homme à réflexes lents", de "civilisé primitif" (p. 290). Paradoxe encore, c'est à l'intérieur du gouvernement de Vichy que l'on rencontrera des partisans convaincus de la thèse de l'industrialisation. Paradoxe toujours : en janvier 1944, le député communiste Mercier déclarait "qu'il fallait souder à la Métropole l'ensemble de toutes les colonies" (p. 371). Il est vrai que, lors d'un sondage effectué en 1949 par l'I.N.S.E.E., 81% des personnes interrogées "pensaient que la France avait intérêt à avoir des colonies" (p. 372).

 

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Dakar (Sénégal), Chambre du Commerce

 

Enfin, dernier paradoxe : "En 1954, Pierre Mendès-France avait été le premier à dire qu'entre l'Indochine et le redressement économique de la France, il fallait choisir. Il faudra toutefois attendre l'arrivée au pouvoir de Charles de Gaulle pour que s'imposent les thèses de ceux qui pensaient que la France ne pouvaient appartenir en même temps à deux marchés communs, l'un avec l'Europe, l'autre avec l'outre-mer" (p. 373). Paradoxe oui, mais pas contradictions fondamentales dans ce dernier cas, car l'histoire de ce divorce est, pour ainsi dire, l'histoire d'un divorce par consentement mutuel.

Citons encore une fois Jacques Marseille : "la décolonisation n'avait causé aucun dommage au capitalisme français (...) apparemment même, elle avait été l'une des conditions et l'accompagnement logique de sa modernisation" (p. 15). Ce livre riche, qui est donc largement l'histoire d'un divorce entre le capitalisme français et le colonialisme, est aussi un peu l'histoire d'un chercheur avec les stéréotypes d'une analyse trop simpliste des problèmes coloniaux, qui lui a permis, ainsi qu'il l'écrit, "de découvrir une évidence que mes a priori m'avaient masquée" (p. 15).

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Paul BAIROCH
Annales. ESC, 1988, vol. 43, n° 1, p. 144-147

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- Jacques Marseille, Empire colonial et capitalisme français. Histoire d'un divorce, Albin Michel, 1984 ; rééd. Points-Seuil, 1989 ; rééd. Albin Michel, 2005

 

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1 février 2007

Mostefa Lacheraf (1917-2007)

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Mostefa Lacheraf, historien algérien

1917-2007



arton58430_152x200L'historien algérien Mostefa Lacheraf est mort le vendredi 12 janvier 2007, à l'âge de 89 ans. Né le 7 mars 1917 sur le territoire de la commune mixte de Sidi Aïssa (Algérois), il fut un intellectuel à la double culture et un militant de l'indépendance algérienne. Nommé ministre de l'Éducation nationale de ce pays en 1977, il critiqua la politique démagogique qui lui succéda ainsi que le danger politique et culturelle que représentait l'islamisme. Mostefa Lacheraf est l'auteur de Algérie, nation et société (1965, réédité par Casbah éd.), de Les ruptures et l'oubli (Casbah éd.) et Des noms et des lieux. Mémoire d'une Algérie oubliée (Casbah éd.). Nous donnons un extrait de ce dernier ouvrage dans lequel Mostefa Lacheraf évoque quelques références et modalités de sa formation intellectuelle dans une narration qui mêle son enfance, sa jeunesse et le poids de celles-ci sur l'homme accompli mais toujours curieux et tendu vers l'idéal de culture universelle.


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les dirigeants du FLN passagers de l'avion arraisonné le 22 octobre 1956



l'enfance d'un intellectuel

Mostefa LACHERAF

tiré du livre Des noms et des lieux (Casbah éd., 1998)


r56fw5À lire le grand voyageur andalou Ibn Jobaïr (1145-1217), l'historien Tabarî (839-923), l'autre grand voyageur maghrébinb Ibn Battouta, on éprouve un véritable plaisir intellectuel qui satisfait l'esprit par la densité du style, la clarté de l'expression, le souci de préciser d'une façon non laborieuse ou embarrassée les moindres détails quand il décrit un monument (la fameuse coupole de la mosquée des Omeyyades à Damas) ou les gîtes d'étape ou voyages en groupe au cours d'un long périple. Et c'est pour cela qu'en ce qui concerne l'oeuvre de ce dernier, le ministère égyptien de l'Instruction publique avait publié à l'intention des élèves de l'enseignement secondaire, déjà en 1934, un recueil de textes significatifs d'Ibn Battouta (1304-1377) relatant, dans une édition claire et munie de notes explicatives et de cartes, leslbatuta péripéties et les grands moments de ses voyages.

Ce livre dû aux soins éclairés, au pertinent souci pédagogique et à l'annotation appropriée à l'importance de l'ouvrage et au niveau, assez sérieux, pour l'époque, des élèves égyptiens des lycées et collèges, avait été préparé par deux inspecteurs de la langue arabe du ministère de l'Instruction publique au Caire, et leurs noms sont passés à l'histoire de la littérature arabe. Il s'agit de Ahmed al-‘Awâmiri bey et surtout de Mohammed Ahmed Jâd al-Mawla bey (1). Ce livre de morceaux choisis de la Rihla d'Ibn, Battouta, je l'avais trouvé chez un bouquiniste de l'ancienne place de l'Opéra du Caire [photo ci-dessous, en 1924] il y a une trentaine d'années. À son exemple, en rassemblant des extraits de grands chefs-d'oeuvre des "humanités arabes" anciennes on rendrait service à nos élèves en leur donnant - comme cela se passe pour tous les degrés de l'éducation scolaire dans le monde entier - le goût de beaux textes bien commentés et munis de notes explicatives concernant la langue, et surtout l'appétit de lire lecaire1924placeOp_raplus tard d'autres oeuvres de l'esprit humain en commençant, d'abord, par ceux dont le jeune élève a eu déjà un agréable aperçu par l'intermédiaire de tels morceaux choisis tirés d'un seul et même auteur. (...)

Dans mon jeune âge, et parce que nos premiers maîtres, dans un espace paisible, homogène, cohérent avaient quelque chose à nous communiquer sans volontarisme ni souci de répandre une quelconque idéologie personnelle, non seulement leurs propos et réflexions plus graves pouvaient (étant donné notre innocence) ne pas avoir d'impact durable et pervers, mais les textes scolaires bien choisis, beaux et généreux qu'ils proposaient en y mettant du leur, pouvaient, eux, se répercuter pour l'essentiel dans le courant de toute une vie.GibranFrame

Je me rappelle à vingt-cinq ou trente ou quarante ans d'intervalle, parce que je l'avais lu à l'école ou auprès du taleb cultivé de mes premières classes d'arabe, des textes isolés de Jabrane Khalil Jabrane (2) [ci-contre], d'Al-Mouaylihi (3), des pages d'un roman de Saintine (4), de Amaci ou Jorgi Zaïdane (5) et de certains écrivains du "Mahdjar" ou émigration intellectuelle libanaise aux Amériques, les avoir recherchés plus tard et relus avec un réel profit littéraire et un rare plaisir fait de lointaines retrouvailles mêlées à l'enfance transfigurée et ses mystérieuses et attachantes relations avec un monde auquel on s'évertuait alors à s'initier par tous les pores de son existence charnelle et les facultés encore vierges et enthousiastes de son esprit.


la joie de lire, la joie d'apprendre

On peut rarement se faire une idée exacte de cette passionnante "remontée vers les sources" de la joie de lire, de la joie d'apprendre si on ne l'a pas pratiquée dès le jeune âge, d'une façon fortuite, à travers des extraits d'oeuvres historiques ou littéraires dans une anthologie destinée aux écoliers d'abord ; ensuite, à un niveau plus élevé, aux lycéens et, plus tard, aux futurs étudiants dans les grandes classes de lettres et philosophie de l'ancien système d'enseignement des années 1930. Sans exagérer, c'était là le creuset non délibéré mais naturellement consenti d'une somme d'habitudes intellectuelles, de réflexes, de goûts, d'élans, de prédispositions susceptibles de constituer plu stard l'esprit de recherche.

À quarante ou cinquante ans d'intervalle, et même aujourd'hui à plus de soixante-seize ans d'âge, quand je retrouve les livres dont j'avais eu une sorte de "primeur" (...), je me hâte de les acquérir si je ne les ai pas 137déjà dans ma bibliothèque. Je viens de parler, en passant, de Saintine, écrivain français peu connu, né à la fin du XVIIIe siècle, auteur d'un roman célèbre écrit en 1836 sous le titre de Picciola et relatant la très curieuse histoire d'un prisonnier, seul dans une forteresse par la volonté de l'empereur Napoléon Ier, et se vouant à l'amour d'une fleur dans une longue crise mystique aggravée par la solitude et la perte de liberté.

Ce livre, l'un des mieux écrits de la langue française d'après les critiques littéraires, je ne sais dans quelles circonstances, il se trouva dans notre modeste maison de Sidi-Aïssa, parmi les ouvrages de travail de mes deux frères aînés, lycéens, et cela en 1926 ou 1927, et pourquoi il resta à traîner pendant de longues années encore dans une édition peu ordinaire, soignée bien que brochée, c'est-à-dire non reliée, avec sa couverture bleue, ses caractères d'imprimerie très nets sur des feuillets blancs comme neige. Cette "logistique" matérielle, nouvelle pour moi à dix ans et tranchant sur le déjà vu d'autres livres d'édition courante, jointe à une mise en appétit, esthétiquement parlant, envers le romantisme littéraire de grande époque, contribuèrent à graver dans ma mémoire, non pas l'histoire elle-même, mais tout ce qui peut constituer à travers cette très ancienne lecture le souvenir encore vivant à ce jour de véritables textes d'anthologie contenus dans le roman de Joseph-Xavier Boniface Saintine et conçus comme des réflexions philosophiques attachantes sur l'Art, le Nature, l'Humanité. Il est clair, cependant,  que ce n'est pas à neuf ou dix ans et même à douze et quatorze ans que ces textes plus ou moins ardus et théoriques m'étaient abordables, en dehors du schéma romanesque et du souffle étrange de révolte dont s'animaient l'histoire et l'ensemble du livre.

Tout cela indique, au contraire, comme derrière une brume de la mémoire, la durée de la "fréquentation" d'un roman dont l'attrait avait pour moi des aspects dus non pas à une langue qui ne m'était pas familière à un certain niveau colaire, mais au sens d'une culture orale collective ambiante existant alors dans mon apprentissage algérien lié à la littérature populaire, aux contes, aux récits de famille, aux témoignagesplateau d'une vie précoce menée par notre génération dans une région des Hauts-Plateaux riche en traditions, décontractée, nourrie, avant l'école ou simultanément à l'école coranique et française, d'un parler bédouin nuancé et presque adulte pour notre juvénile pratique des acquis de l'observation assidue de la campagne steppique avec ses pierres, ses plantes, ses insectes, ses oiseaux, des intempéries et des fêtes dont elle était le théâtre au milieu d'autres épreuves et d'autres joies.

Pour ce qui est des générations précédentes dont la nôtre héritait quant à l'ancrage profond dans une Algérie algérienne, comme pour les autres générations jusqu'à la fin de la guerre de libération nationale, la "déculturation" telle que décrite plus tard et jusqu'à nos jours, n'existait pratiquement pas.

Un jour on fera remonter la date fatale de la perte d'une algériannité ancienne et fervente qui nous avait forgés et nous était chère, à l'intrusion dans notre société, d'un malentendu dont l'école et le nationalisme allaient payer le prix fort, à l'égal d'une véritable catastrophe : celui d'un Baâth spécifique et sournois, idéologie minorative, édulcorante, aux ravages incalculables pour les mentalités et le simple credo de la patrie et le bon sens dans l'action politique. Il serait juste de dire qu'à cette forme d'acculturation ravageuse et néanmoins semi-officielle s'ajoute une autre plus réduite dans ses effets, d'origine européenne et, pour cette raison, assez suspecte depuis l'ère coloniale.

Mais loin d'être le produit de l'école et des déviations néo-nationalistes, elle concerne un domaine et des franges citadines ou récemment urbanisées d'une population s'étant peut-être mal engagée dans la 10096532_pmodernité universelle en optant, par inclination de milieu et d'affinités paresseuses, pour une sous-culture petite-bourgeoise occidentale qui se retrouve d'ailleurs - comble de la dérision ! - sous une forme arabisée dans les films et le "music-hall" et autres apports mimétiques douteux de l'Égypte contemporaine et de certaines capitales arabes. Cette copie conforme du mauvais goût petit-bourgeois européen d'expression arabe, précisément parce qu'elle est arabophone et nous vient du Proche-orient, rencontre auprès d'un certain public arabisé selon l'évangile baâthiste, une faveur exagérée à laquelle ne peut pas prétendre la culture traditionnelle maghrébine et notamment son fleuron andalou ancien dans le domaine de la musique élaborée. (...)



les bilingues invétérés

Mais revenons aux livres lus et relus ; à ceux qu'on découvre pour la première fois ou qu'on retrouve après une très longue absence dans d'autres univers ! L'enfance, la jeunesse, l'âge adulte et parfois la vieillesse ont alors, étrangement, le même fil conducteur qui aide, par des souvenirs pertinents, sûrs ou intuitifs, à traverser le labyrinthe des ans et des épreuves jusqu'au dernier bénéficiaire de cette ancienne "lecture" revenue à lui comme un fantôme désirable.

C'est ainsi qu'en octobre 1966, dans un autre continent et une ville éloignée géographiquement de notre Méditerranée, j'ai découvert chez un bouquiniste de Sào Paulo (Brésil) d'origine syrienne - un Yazigiibn_roshd_averroes apparenté au fameux encyclopédiste arabe du XIXe siècle - deux ouvrages dont j'avais parcouru, il y avait bien longtemps de cela, des passages assez substantiels et significatifs sans pouvoir jamais me les approprier ou les lire en entier. C'était Tahâfut at-tahâfut du grand philosophe Ibn Roshd (Averroès) recherché vainement au Caire où il avait pourtout été édité, et Charh Manâzil al-ansâri d'Ibn Quayyim al-Jawzia (XIVe siècle), célèbre théologien et juriste disciple du réformateur hanbalite Ibn Taymîya et qui fut persécuté et emprisonné avec son maître. "Admirable prosateur", selon le jugement de tous ceux qui ont étudié son oeuvre dans le passé, il est aussi compté parmi les grands noms de la littérature arabe.

Quelques années auparavant, sur la même place de l'Opéra, au Caire, où, quelques temps après ma sortie de prison, j'avais trouvé l'Ibn Battouta dont je viens de parler plus haut, j'eus la chance de découvrir les vieux bouquins exposés pêle-mêle, les poèmes d'Henri Michaux (en français) et la Taghribat Bani-Hilâl, ou Geste aventureuse des Beni Hilal (en arabe), autre version de ce que j'avais entendu dans mon enfance bédouine du Hodna-Titteri sur Dhiâb ben Ghanem. Ne disait-on pas que le légendaire coursier dudit Dhiâb, héros de l'épopée Rambert2hilalienne, avait laissé la marque de son sabot sur le rempart de Sour-el-Ghozlane, [ci-contre] ville voisine de mon village natale ? Mais, en passant, ce qu'il faut retenir de cette évocation de livres et de lectures dont le souvenir remonte pour moi au passé proche ou lointain, c'est, entre autres, le fait ignoré ou méconnu, par sectarisme idéologique en Algérie et nulle part ailleurs, qu'au Caire, capitale de l'arabité intellectuelle, les bouquinistes exposaient en plein air des vieux livres en plusieurs langues européennes en plus de ceux, nombreux et de valeur, en langue arabe. Cela n'est pas fait pour nous étonner quand on sait que les plus grands écrivains proches et moyen-orientaux étaient et sont toujours d'éminents... bilingues et trilingues tels que Taha Hussein (6), Mahmoud al-‘Aqqâd (7), Mahmoud Teymour (8), Tawfik el-Hakim (9), Abdel-Qâdir Al-Mâzini (10), Naguib Mahfouz (11) et, avant eux (ou leurs contemporains) les pionniers de la littérature moderne née en exil comme Jabrane Khalil Jabrane, Chekib Arslâne (12), Mikhaïl Na'ïmah (13), Amine Rayhani (14), etc., déjà cité et, bien entendu tous les écrivains universitaires, hommes de culture maghrébins (sauf les algériens militants du Baâth spécifique).

Figurez-vous aussi que les écrivains japonais et autres asiatiques dignes, aujourd'hui, d'écrire et de connaître le vaste Univers, ainsi d'ailleurs que les plus célèbres parmi les écrivains de l'Europe, sont des bilingues invétérés. On ne peut imaginer, de nos jours, dans l'ensemble du monde arabe et ses régions les plus reculées, des universitaires, des diplomates (eh ! oui), des responsables d'institutions culturelles ou éditoriales ou de presse (instituts scientifiques et de recherche, radio-télévision, informatique et centres de documentation et d'archives, bibliothèques nationales et salles de lecture publique, maisons d'édition, laboratoires et centres d'expérimentation, musées de toutes sortes, etc.), qui seraient monolingues, ni, d'ailleurs, dans le reste du monde et davantage encore dans les pays développés d'Europe et d'Amérique du Nord.

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J'ai déjà dit - je crois - que dans mon enfance, celui qui nous fournissait en livres et en publications arabes vers les années 1930 s'appelait Si El-‘Azzouzi et était originaire d'El-Oued. Il faisait à peu près tous les marchés de la région jusqu'à Biskra en transportant d'Alger, chaque semaine, de la friperie et ces livres et revues usagés qu'il se procurait je ne sais comment et réservait exclusivement à des amis et lettrés deFRCAOM08_9FI_00106R_P village. Il existait alors - comme on le verra plus loin - des filières spécialisées dans la vente de vieux livres, interdits ou pas, surtout [dans la vente] des vieilleries, assimilées par les autorités coloniales à la friperie vestimentaire dont il faudra un jour écrire l'histoire parce qu'elle fut une pénible constante dans l'Algérie appauvrie et parfois loqueteuse jusqu'à la veille de l'indépendance. Cependant, ces ouvrages et ces revues arabes périmées, acheminées clandestinement sans doute d'Égypte en passant par la Tunisie trouvaient, non seulement des lecteurs, mais surtout, dans chaque village ou à peu près, l'homme, le taleb qui savait en tirer parti convenablement, étant lui-même assez ouvert, capable de bien lire et bien comprendre après avoir dépassé le stade de "déchiffreur", commun au plus grand nombre comme aujourd'hui encore, hélas ! Ces rares talebs-lettrés modernistes rompaient souvent avec une tradition maraboutique paresseuse sans adhérer, pour autant  à "l'Association des Oulémas musulmans algériens" dont c'était l'avènement en ces années-là dans l'Algérie citadine et beaucoup moins dans les campagnes, en dehors du Sud constantinois et d'une partie de la Kabylie orientale ou "Petite Kabylie".

Le "taleb" du village n'était pas toujours une personnalité marquante mais un éducateur utile (quand il était lui-même bien formé et dévoué aux enfants et à leurs familles), pris en charge par les parents d'élèves, c'est-à-dire très modestement et parfois nourri. Autodidacte et libre, ce maître d'école savait aussi qu'il était le parent pauvre de l'institution scolaire officielle française,quand elle existait dans le village ou la petite localité urbaine. Le rythme de fréquentation par les écoliers tour à tour de son humble lieu d'enseignement - une petite salle ouvrant sur la rue - et de l'école française, n'était commode ni pour lui ni pour ses élèves. Ceux-ci se levaient aux aurores pour aller d'abord à l'école coranique, avant de la quitter à l'approche de huit heures pour courir vers l'école française. Il était fréquent que ces écoliers, après le déjeuner de midi, retournent pour moins d'une heure de temps à l'école arabe mais plus sûrement encore ils le faisaient après le sortie des classes de l'école française à seize heures. Si le jeudi (contrairement au dimanche) était férié à l'école coranique, il ne devenait effectif comme jour de repos qu'après la séance du matin consacrée au tikràr ou révision, à haute voix, de tout ou partie des chapitres du Coran déjà appris par les gamins sous la direction du maître.

Le temps partagé entre les deux écoles pouvait paraître éreintant pour des enfants de six à douze ans, très souvent mal nourris et insuffisamment vêtus en hiver, mais en général ils s'en tiraient assez bien, l'endurance native aidant à l'adaptation à un climent continental rigoureux, chaud et froid et toujours sec. Dans l'une des deux écoles, tout se faisait ou presque en silence, dans une salle équipée de tables et de sièges placés en face du tableau noir ; dans l'autre, espace nu pourvu de nattes en alfa, rudimentaire, mais hospitalier, on récitait tous ensemble à tue-tête, et quand la voix collective faiblissait, le rappel véhément du taleb, assis lui aussi par terre, relançait la lecture, l'harmonieuse psalmodie enfantine. À cet âge, il n'y a ni passions ni phobies.

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école arabe, Biskra

Le colonisateur croyait peut-être que les jeunes enfants et leurs parents seraient tentés de comparer le "confort" matériel et "l'archaïsme", et d'opter en faveur du premier, mais les écoliers et leurs tuteurs ne pensaient pas à mal, n'avaient pas de préférence proclamée et c'était cela qui faisait leur force, leur capacité d'apprentissage et de décontraction tolérante dans l'un et l'autre secteurs du savoir.

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école arabe, Biskra

Et puis, l'école officielle du village de Sidi-Aïssa était une école dite "indigène" où il n'y avait pas un seul élève européen mais une grande majorité d'élèves musulmans en même temps qu'une douzaine de petits israélites parlant l'arabe comme leur langue maternelle et fortement arabisés dans leurs genres de vie. Eux et leurs familles, certainement de citoyenneté française, appartenaient à la communauté juive du Sud algérien et portaient cinq ou six noms parmi ceux de l'ancienne diaspora andalouse judaïque réfugiée au Maghreb entre le XIVe et le XVIIe siècle et débordant depuis 1830, les lieux habituellement citadins pour s'intégrer à des centres villageois dans la mouvance de grands foyers rabbiniques traditionnels tels que Ghardaïa, Laghouat, Bou Saâda.

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"Constantine, enfants arabes et juifs", carte postale ancienne

Notre village se trouve précisément au voisinage de cette dernière ville, et les noms les plus connus de la petite communauté juive de Sidi-Aïssa étaient ceux de Sellem, El Baz, Chicheportiche, Nedjar, Benguetta. Peut-être que la mode religieuse n'était pas, à l'époque, pour le "m'as-tu vu" et le côté spectaculaire de la simple pratique, de l'observance rituelle exagérée comme aujourd'hui, car, dans ce centre villageois pourtant bien situé et peuplé d'habitants à la spiritualité mystique ou monothéiste affirmée, il n'existait ni mosquée officielle, ni église, ni synagogue connue édifiée en tant que telle.

Femmes juives et femmes musulmanes se rendaient visite pendant les fêtes religieuses de l'une ou l'autre communauté, et leurs familles partageaient parfois l'usage de la même cour dans la grande maison où elles habitaient côte à côte dans des logements séparés, autonomes. Curieusement encore, ces femmes de foi religieuse différente mais parlant la même langue et vivant en bon voisinage avec leurs familles, se rencontraient parfois ensemble en "pélerinage" au tombeau de Sidi Aïssa ben M'hammed sur les collines austères et nues qui dominent le village au sud-ouest. Ayant toujours été sensible aux belles voix de femmes modulant une harmonie classique consacrée par le temps, je me rappelle encore ce que chantaient quelques femmes israélites venues offrir à ma mère du pain azym de la Pâque juive en entonnant sur le pas de la porte, en partant, un air célèbre d'origine andalouse. C'était toujours, en quelque sorte, dans les années 1920 chez les femmes algéroises et citadines en général, de la région du centre du pays, le chant nostalgique de "l'Au-revoir".

Ces visiteuses attentionnées et, naturellement toutes arabophones de mère en fille, avaient comme la plupart des femmes entre elles, plus d'humanité et de décontraction affectueuse et spontanée dans leurs rapports, surtout dans le monde méditerranéen. Il en va autrement des relations entre hommes au masculin et cela est vrai du monde entier et de l'histoire de toute l'espèce humaine depuis les origines.

Ce qui ne veut pas dire - pour ce qui est de notre village - qu'il existait par principe une hostilité collective envers les juifs de la part des habitants musulmans de Sidi-Aïssa. Les relations entre les deux communautés allaient sans doute changer à l'avènement du sionisme agressif, militaire et colonial lors de la spoliation de la Palestine par le nouvel État d'Israël, mais je n'étais plus là pour en juger puisque ma famille a quitté définitivement le village dans l'été de l'année 1935. de mon temps, et plus tard à l'école - de la fin des années 1920 au milieu des années 1930 - et dans mon quartier, la fillette, puis la jeune fille et la femme mariée la plus belle et la plus indépendante d'esprit était Sawda, une jeune juive qui, je l'appris en 1964, était restée dans la région de Sidi-Aïssa/Chellalet-el-Adhaoura après le départ massif de ses coreligionnaires et des rares Européens, et avait rendu clandestinement de grands services au F.L.N-A.L.N. et à la cause nationale pendant notre guerre de libération.

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"fillettes juives", carte postale ancienne, Algérie

Déjà, quand je fréquentais Si Ahmed Medouas, le taleb autodidacte et cultivé qui fut mon maître et l'école coranique dès 1925 et, occasionnellement, un compagnon et un ami de la famille jusque dans les années 1940, il me parlait d'elle toujours avec infiniment de respect comme si elle était elle-même musulmane, et lui apportait de la nourriture en s'attardant à converser avec lui sur un tas de sujets dont se préoccupaient, à l'époque, les plus politisés des Algériens.

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Si Ahmed Medouas est ce vieux maître d'école coranique un peu plus âgé que le plus "vieux" de ses élèves et qui enseignait le Coran et, parfois, les rudiments de la grammaire arabe et beaucoup d'autres choses concernant la littérature. Menant une existence d'ascète en vivant de peu, il consacrait ses loisirs à la lecture des livres et publications arabes apportés chaque semaine par Si El-‘Azzouzi, marchand de friperie et voyageur infatigable de la culture malgré ses connaissances limitées en la matière. Si Ahmed qui, à la longue, était devenu un ami, un frère aîné, après avoir été le maître attentif et sévère des premières années de mon enfance studieuse à Sidi-Aïssa, nous changeait d'emblée, jusque dans le milieu des années 1930, des autres talebs traditionnels d'école arabe que nous eûmes dès 1924 ou 1925 à peu près. Aussi consciencieux  que lui et dévoués, ces maîtres pédagogues de village n'avaient pas son ouverture d'esprit, sa curiosité intellectuelle et sa bonté, ni une certaine chaleur affective de l'algérianité.

Mostefa Lacheraf, Des noms et des lieux.
Mémoire d'une Algérie oubliée
,
éd. Casbah, 1998, p.  19-30.


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Mostefa Lacheraf et Boudiaf en octobre 1955

 

 

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notes (Michel Renard)gibran

(1) Mohammed Ahmed Jâd al-Mawla bey, est notamment l'auteur de Muhammad al-Mathal al-Kamil (Mahomet, l'exemplaire perfection) (Le Caire, 1932 ; rééd. Beyrouth, 1972).

(2) Jabrane Khalil Jabrane (en arabe) ou Khalil Gibran (1883-1931) [photo ci-contre], célèbre écrivain et poète libanais, chrétien maronite. Le Prophète est publié en 1923.

(3) Al-Mouaylihi, ou Mohammed al-Muwaylihi (1858-1930), écrivain égyptien auteur deimage_liv69x Hadith ‘Isa ibn Hisham (1898 et 1907) ; traduction en langue française : Ce que nous conta ‘Isâ ibn Hichâm, éd. du Jasmin, Clichy, 2005, préface de Luc-Willy Deheuvels [dans l'édition en langue française du journal égyptien al-Ahram : interview de Randa Sabry, professeur de critique littéraire à l'université du Caire et traductrice de al-Muwaylihi].

(4) Joseph-Xavier Boniface Saintine (1798-1865), auteur de théâtre et de ce roman dont parle Lacheraf, Picciola, qui date de 1836, qui est sous-titré "la fleur et le prisonnier" et qui a connu des dizaines (!) de rééditions.

(5) Jirji Zaydan (1861-1914), chrétien libanais d'Égypte, auteur de nouvelles et romansarton14609782842721800FS historiques ; de tendance réformiste (Nahda), il fonde la revue al-Hilal en 1892 ; a publié Tarikh al-Tamaddun (1902-1906), Rihlah ila Urubba (1912). Cf. Anne-Laure Dupont, Girgi Zaydan, 1861-1914, écrivain réformiste et témoin de la renaissance arabe, Institut français du Proche-Orient, Damas, 2006. Cf. L'autobiographie de Jurji Zaidan, comprenant quatre lettres à son fils (en langue anglaise). Cf. aussi Saladin et les assassins, éd. Paris-Méditerranée, 2006.

(6) Taha Hussein [ou : Husayn] (1889-1973), le "doyen de la littérature arabe", écrivain égyptien marqué par la cécité dont il fut victime dès l'âge detaha1 trois ans, et par la confrontation avec la culture occidentale. En 1919, il soutient une thèse en Sorbonne sous la direction de Durkheim, consacrée à la philosophie politique d'Ibn Khaldûn. En 1926, il publie La poésie antéislamique (fi al-shi'r al-jahili) qui fait scandale car il doute de l'authenticité du poète Imrû'l-Qays (mort vers 530 ou 540) et y affirme le caractère apocryphe de la célèbre poésie antéislamique (muallaqat). Celle-ci, d'après lui, aurait été rédigée aux temps desTaha_Hussein_photo Abbassides, deux ou trois siècles après sa prétendue origine. Il dut renoncer à la radicalité de cette thèse en publiant, en 1927, La littérature antéislamique (al-adab al-jahilî). Taha Hussein a rédigé une autobiographie : Le Livre des jours (premier livre paru en 1926, troisième en 1955). Il fut recteur de l'université d'Alexandrie (1942) et ministre de l'éducation nationale (1950). Cf. l'introduction de Jacques Berque au recueil Au-delà du Nil (Gallimard/Unesco, 1977), p. 9-42. Évocation radiographique de Taha Hussein, rénovateur de la littérature arabe par Amina Taha Hussein (petite-fille) et André Miquel.

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(7) Abbas Mahmoud al-‘Aqqâd (1889-1964), intellectuel égyptien, à la curiosité encyclopédique et auteur prolifique. Il écrivit des biographies de Averroès, de Benjamin Franklin, de Francis Bacon... Malheureusement, il s'employa à alimenter l'antisémitisme en traduisant en 1951, le Protocole des sages de Sion et en créditant ce faux connu d'une mise en oeuvre déjà commencée et d'une suite à venir. Il diffusa également un conservatisme anti-féministe par son livre La femme dans le Coran. Bio-bibliographie, en langue anglaise.21550

(8) Mahmoud Teymour (1894-1973), pionnier de la nouvelle, publie dès les années 1920, auteur de : Les Amours de Sami : roman égyptien suivi de dix contes (1938) ; Bonne Fête et autres contes égyptiens (1954) ; La vie des fantômes, Nouvelles Editions Latines, 1956.

(9) Tawfiq al-Hakim [ou : Tewfik El Hakim] (1898-1987), écrivain égyptien,tewfik_el_hakim_couvhakim_t01mah16 dramaturge et auteur du célèbre Journal d'un substitut de campagne en Égypte (1940), publié en France dans la collection "Terre Humaine" (Plon, 1974). Ci-contre, sur la photo de groupe, de gauche à droite : la chanteuse Oum Khalsoum (lunettes noires), Naguib Mahfouz et Tawfiq al-Hakim (cliquer sur l'image pour l'agrandir).977424947X

(10) Abdel-Qâdir Al-Mâzini (1890-1949), écrivain égyptien, auteur de nouvelles, de critiques et portraituriste de la classe moyenne caïrote des années 1930 et 1930  (note en langue anglaise sur al-Mâzini).

(11) Naguib Mahfouz (1991-2006), mondialement connu pour sa Trilogie (Impasse des deux palais, le Palais du désir, le Jardin du passé) publié en 1952 et pour son prix Nobel obtenu en 1988. Ses premiers récits, de 1939 à 1946, portaient sur l'histoire ancienne de l'Égypte. Sur la photo de groupe ci-contre, le cinquantième anniversaire de Naguib Mahfouz (cliquer pour agrandir).

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(12) Chakib Arslan (1869-1946), homme politique druze libanaisShakib_Arslan partisan du panarabisme, portant le titre d'«émir». Il fut député au parlement d'Istanbul, s'exila au Caire en 1921 où il devint chef de la délégation du Comité syro-palestinien, et s'installa à Genève en 1928 comme représentant de ce Comité auprès de la S.D.N. (Société des Nations). L'historien Charles-André Julien écrivait de lui : "Singulière personnalité que celle de ce féodal libanais qui, de son bureau de Genève, distribua dix-huit ans durant, les mots d'ordre à l'Islam méditerranéen et dont l'influence survit à toutes les crises et à toutes les compromissions. Ce fut surtout comme écrivain et propagandiste que s'affirma son action. Sa maîtrise de la langue arabe lui valut le titre de «prince de l'éloquence» et la présidence de l'académie arabe de Damas. Formé à l'école de Djamal ed-Din al-Afghani et du cheikh Abdu, compagnon de Rachid Rida, il se révéla conducteur d'hommes d'uneSyroPalestinian rare maîtrise grâce à sa dévorante activité et son ascendant personnel" (L'Afrique du Nord en marche, 1952, rééd. 2002, p. 24-26). Il publia un journal, La Nation arabe. Chakib Arslan rencontra Mussolini. Henry Laurens conclut au sujet de son rôle : "Par son inlassable activité de propagandiste, Arslan a été l'artisan de la transformation du panislamisme maghrébin en un nationalisme arabe à tendance islamique. Il a dans le même temps popularisé en Orient arabe les grands thèmes de la lutte des activistes maghrébins. On lui doit ainsi un complet dépassement du cadre géographique primitif de l'arabisme et sa généralisation à l'ensemble du monde arabe" (L'Orient arabe, arabisme et islamisme de 1798 à 1945, Armand Colin, 1993, p. 290).

(13) Mikhaïl Na'ïmah [orthographié par erreur dans le livre : Mikhaïl No'aïma] (1889-1988), écrivain et critique libanais. A vécu en Ukraine de 1905 à 1911, puis aux États-Unis, de confession chrétienne.

(14) Amine Rayhani (1876-1940), écrivain libanais considéré comme lerayhani_couvrayhani_portrait père de la littérature du Mahjar (adab al-mahjar) produite par l'émigration arabe-américaine. Il est de confession chrétienne et s'exprima autant en anglais qu'en arabe. Rayhani fut l'une des voix du nationalisme arabe. Il écrivit un ouvrage sur  Ibn Séoud, fondateur de l'Arabie Séoudite (muluk al-‘arab, Le roi des Arabes) qui fut un succès. Cf. un site très complet : ameenrihani.org.

 

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liens

- Mostefa Lacheraf sur Dz Lit



Esprit_Lacheraf_1955
la revue Esprit de mars 1955 publie un article de
Mostefa Lacheraf intitulé "le patriotisme rural en Algérie"


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4 mars 2007

Le passé colonial : enjeux de la vulgarisation (débat le 4 avril 2007)

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Le passé colonial :

enjeux de la vulgarisation

un débat le 4 avril 2007

 

Débat : pourquoi le Dictionnaire de la colonisation française, Claude Liauzu dir. Conseil scientifique Hélène d’Almeida Topor, Pierre Brocheux, Myriam Cottias, Jean-Marc Regnault, Larousse, 2007

 

Amphithéâtre de l’EHESS - 105 boulevard Raspail
4 avril : 9-12h et 13-15 heures

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source : Caom, base Ulysse

 

 

9-12 heures, présidence de Pierre Brocheux : Les enjeux de la vulgarisation scientifique
- Hélène d’Almeida Topor : La Société française d’histoire d’Outre-Mer (SFHOM) et son rôle
- Sophie Ernst et Valérie Morin : L'enseignement en questions
- Myriam Cottias : L'esclavage, débats scientifiques et enjeux publics
- Claude Liauzu : Présentation du dictionnaire
- Débat

13-15 heures,  présidence de Hélène d’Almeida Topor : «Histoire ou entrepreneurs de mémoires ?»
- Sylvie Thénault : La loi du 23 février
- Bouda Etemad  : «Crimes et réparations. L’Occident face à son passé», Complexe
- Jean-François Klein : Sur les mots de la colonisation
- Conclusion - Débat

 

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Recensement d'un village Mossi dans le canton de Lallé, Koudougou
(Haute-Volta), 1945-1961 (?) source : base Ulysse

 

 

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1 mars 2007

les administrations coloniales - journée d'études, 30 mars 2007

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«Les administrations coloniales»

journée d'études du 30 mars 2007

État de l'historiograhie. Structures et faits

 

 

Institut d’histoire du temps présent
59/61 rue Pouchet
75849 Paris cedex 17

PROGRAMME

9h30 : Accueil

Président : Jean-François Sirinelli, directeur du Centre d’histoire de Sciences Po

9h45 : Introduction, Samya El Mechat, professeure à l’université de Nice
- Présentation du projet. Le point sur l’historiographie. 


10h : 1ère séance -  Institutions et espaces

 

Caroline Treiber,  doctorante à l’université de Nice
- Le contrôle urbain au Maroc de 1947 à 1955.

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Michèle Sellès-Lefranc, doctorante à l’EHESS
- Réforme communale et institutions locales en Kabylie pendant la période coloniale (1945 – 1961)  : les ambiguïtés des outils méthodologiques d’une politique administrative. 

Anne-Claire Bonneville, maître de conférences à Saint-Cyr, Bey_de_Tunis_entour__de_sa_suite
- L’administration impériale britannique dans la Vallée du Nil.

Samya El Mechat, professeure à l’université de Nice
- Le secrétariat général en Tunisie (1883-1956).

Discutante : Emmanuelle Sibeud, maître de conférences à l’université Paris VIII

12h30 : Déjeuner

 

 

14h30 :   2ème séance - Administrateurs et pratiques

Président : Pierre Boilley, directeur du  MALD-CNRS/université Paris  I

Valérie Pouzol, chargée de cours à l'université de Versailles/Saint-Quentin-en-Yvelines
- «Hygiène, moralité et maternité» : l’encadrement des femmes arabes palestiniennes par l’administration mandataire britannique (1920-1948).grande_tenue_de_gouverneur_des_colonies

Anne Dulphy, maître de conférences à l’École polytechnique
- L’administration en Algérie face à l’accueil et l’internement des réfugiés espagnols : acteurs concernés, politiques suivies et perceptions spécifiques des internés (1939-1945).

Tahar Ouachi, Fondation Mohammed Boudiaf. Département mémoire et archives
- Les auxiliaires de l’administration coloniale.

Nathalie Rezzi, docteur en histoire de l’université de Provence
- Les gouverneurs dans les colonies françaises (1880-1914) : un modèle de fonctionnaires coloniaux ?lucien_fourneau_gouverneur_

Daho Djerbal, université d’Alger, directeur de la revue Nadq
- La question de l’intérêt général ou les déconvenues de l’administrateur civil colonial face à la versatilité des élus locaux (1930-1945).

Discutante : Françoise de Barros,  maître de conférence à Paris VIII, rattachée au CSU

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Lucien Fourneau,
gouverneur des colonies
(Cameroun)

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Contact : Anne-Marie Pathé
Mél
: anne-marie.pathe@ihtp.cnrs.fr
Tél
: 01 40 25 12                                                                                                                          site CNRS, rue Pouchet

rens. : colloque mai 2008

 

 

 

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28 février 2007

le manuel d'histoire de Nouvelle-Calédonie (Ahmed de Bourail)

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à propos du manuel d'histoire

de Nouvelle-Calédonie

Ahmed de BOURAIL

 

Nous aimerions beaucoup savoir si le manuel d'histoire de Nouvelle-Calédonie intègre les données historiques et anthropologiques du Docteur en Histoire Mme Ouennoughi Mélica, sur l'histoire de la déportation maghrébine en Nouvelle-Calédonie, ceci est une thèse de doctorat bien connue maintenant sur le territoire calédonien et relate les insurrections algériennes, le code de l'indigénat en Algérie, la déportation des Algériens et Maghrébins, qui n'avait jamais été élucidé de manière histoirique et scientifique avant cette historienne.

On a lontemps pensé qu'il y avait 200 algériens déportés sur le territoire et cela est totalement faux, la recherche historique nous donne les éléments fondateurs et véritables, les listes émises par l'historienne donne un chiffe bien supérieur, et elle note que les déportés ont gardé leur culture, leur histoire et la descendance a hérité d'une culture ancienne algérienne, de la coutume, de la tradition par l'introduction du saint patron sidi moulay, du cimetière de Nessadiou au XIXe siècle et du palmier dattier.

Elle décrit une parenté ancienne arabo-berbère qui a permis aux familles de se constituer et ce phénomène d'introduction n'est pas récent comme certains historiens calédoniens pourraient le penser, faut de connaissance d'une Algérie ancienne de ses traditions, de ses rites et de ses coutumes voir même de sa politique culturelle et religieuse.

Rien n'avait été développé, n'a pu être décrit voir même initié aux étudiants, ou aux collégiens sur ces oubliés de l'histoire fortement de culture algérienne aujourd'hui depuis l'arrivée de leurs aieux sur ce territoire (1867 suite à l'insurrection des ouled Sidi Cheikh avant même l'insurrection de Hadj Mokrani en 1871).

Les historiens doivent consulter l'ouvrage historique de Mme Ouennoughi pour véritablement comprendre l'histoire des Algériens de Nouvelle-Calédonie, les listes des déportés sont inscrits au cimetière de Nessadiou par le travail minitieux entrepris par l'historienne. Les travaux sont rattachés au nouveau laboratoire d'histoire contemporaine de Nouméa et l'historienne donne une conférence au centre culturel Tjibaou de Nouméa le 31 mai, ainsi on ne pourra plus ignorer ces déportés politiques, leur descendants, leur culture, leur tradition et leur religiosité.

Est-ce que le manuel d'histoire nouvellement constitué à pris compte des donnés de recherche sur l'histoire des Algériens initié par Mme Ouennoughi ? Du point de vue scientifique, nous serions ravis de vérifier si cela a été respecté, sinon à quoi sert la recherche ? À quoi servent les historiens ?

Monsieur LIAUZU sait-il si de telles données ont-elles été respectées ?
Bref, un certain nombre de question que beaucoup de Calédoniens descendants d'Algériens se posent ? Quels enseignements là-dessus, et où est l'enseignante sur cette question ?

Ahmed de Bourail
message posté

 

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31 janvier 2007

Enseigner l’histoire des immigrations en France (mercredi 14 mars)

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histoire des immigrations en France

 

Les immigrations, étrangères et coloniales, ont profondément marqué l’histoire démographique, économique, sociale, politique et culturelle de notre pays, en particulier à partir de la seconde moitié du XIXe siècle.

Objet d’étude depuis de nombreuses années pour les spécialistes des sciences sociales, cette histoire, qui a donné lieu à de très nombreuses publications, reste cependant, aujourd’hui encore, un domaine relativement ignoré des programmes d’enseignement scolaire. Pourtant, la demande sociale de connaissances et de compréhension, sur ce sujet et sur ses implications présentes, est considérable.

C’est pourquoi, le département d’histoire de l’Université Paris VIII - Saint-Denis, organise le mercredi 14 mars 2007, de 9 h à 17 h 30, salle B 106, une journée de formation destinée aux enseignants (toutes disciplines) sur le thème :


Enseigner

l’histoire des immigrations en France



Ouverture par Jacques Toubon
Président de la CNHI

Marie-Claude Blanc-Chaléard, maître de conférence en histoire contemporaine, Université Paris I-Sorbonne
Pourquoi enseigner l’histoire de l’immigration ?

Laure Barbizet-Namer, Directrice du projet scientifique et pédagogique Cité nationale de l'histoire de l'immigration - Nathalie Héraud, responsable du département Education
Une Cité nationale d’histoire de l’immigration : pour quoi faire ?

Caroline Douki, maître de conférence en histoire contemporaine, Université Paris VIII
Politiques migratoires depuis la fin du XIXè siècle : contrôles et aspects sociaux

Daniel Lefeuvre, professeur d’histoire contemporaine, Université Paris VIII,
Les immigrés dans la reconstruction et les Trente Glorieuses

Philippe Rygiel, maître de conférence, Université Paris I-Sorbonne
Intégration et assimilation hier et aujourd'hui

Michèle Tribalat, démographe, directrice de recherches à l’INED
Combien d’immigrés ? statistique publique et maîtrise quantitative de l'immigration en France et dans l’espace européen


Inscription : adresser par mail (Daniel.Lefeuvre@tele2.fr) votre nom, prénom, discipline, établissement.


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6 mars 2007

les Arabes de "Caledoun" (Claude Liauzu ; Taïeb Aifa)

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les Arabes de "Caledoun"

Claude LIAUZU - Taïeb AIFA

 

Bonjour,

Vraiment un très beau site!

Je découvre une question suite à mon texte sur le manuel, par Ahmed de Bourail.

Sa remarque sur l'oubli des "Arabes", Kabyles,ou Algériens dans l'histoire de la Nouvelle-Calédonie appelle réflexion.

N'étant pas spécialiste du "Caillou", j'ai voulu attirer l'attention sur l'importance des accords de Nouméa et la volonté d'apaisement qu'ils représentent. J'ai voulu aussi plus particulièrement attirer l'attention des historiens sur cette méthode pour aider des populations qui se sont affrontées, à élaborer leur devenir commun en partageant leur passé. Cela comme un exemple utile pour dépasser le passé algérien et les guerres de mémoires. Il y a sans aucun doute dans cette histoire à peine naissante des populations de Nouvelle-Calédonie des lacunes, des oubliés et encore beaucoup à faire.

La thèse de madame Ouennoughi a été précédée par le très beau livre de Medhi Lalloui, "Kabyles du Pacifique". Cette thèse permet désormais "d'intégrer" les déportés et forçats d'Algérie. Mais combien de cadavres encore dans les placards... Mon interlocuteur sait-il que des révolutionnaires indochinois ont été déportés en Nouvelle-Calédonie aussi, de même que le frère de Léon Bloy.

* *
*


Je livre [ci-dessous] avec l'accord de mon ami José Barbançon, spécialiste du bagne, un document.
À suivre...
Cordialement

Claude Liauzu

 

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AIFA_150x200Discours prononcé par M. Taïeb Aifa au nom de l'Association des Arabes et des amis des Arabes, le 4 mars 2007 à l'occasion de la venue à Nessadiou de M. Azzouz Begag, ministre délégué à la Promotion de l'égalité des chances.

Salam Aleikoum Monsieur le Ministre.

L'Association des Arabes vous souhaite la bienvenue à Caledoun puisque tel était le nom que nos anciens donnaient à cette terre d'exil si loin de celle qu'ils appelaient l'Afrique. De même, ils ont choisi de se reconnaître à travers le terme "Arabe". Pourtant ils venaient en très grande majorité du Maghreb et surtout d'Algérie et très peu du Yémen et d'Aden. Nous avons maintenu leur volonté. Le terme de Maghrébins largement utilisé en Métropole l'est très rarement ici et révèle aussitôt une arrivée récente dans le pays.

En terre de Nouvelle-Calédonie, il y a donc des Arabes et ici nous prononçons ce mot avec fierté et respect, la fierté que perpétuent nos cavaliers et nos chevaux, le respect que l'offrande du lait et des dattes symbolise.
Monsieur le Ministre, au cimetière de Nessadiou vous êtes dans notre lieu de mémoire. De nombreux Arabes sont enterrés dans bien des communes de Nouvelle-Calédonie de l'Ile des Pins à Belep. Même Nouméa avait son carré des Arabes, mais Nessadiou représente une place à part, une place unique dans notre histoire. Après la révolte Kanak de 1878, la vallée de Nessadiou est affectée par l'Administration pénitentiaire à des concessionnaires pénaux de toutes origines dont quelques Arabes.

La vie y est très difficile, ce n'est pas pour rien qu'on l'appellera plus tard : "la vallée du malheur". Cependant quelques-uns réussissent. Parmi eux, Miloud ben Abdallah le concessionnaire le plus aisé du centre. Peu à peu les Arabes occupent presque exclusivement la vallée de Nessadiou qui devient : la "petite Afrique". Rares sont les "roumis" qui y sont tolérés. La tradition orale veut que le cimetière de Nessadiou tienne son origine dans la forte concentration arabe du centre. Mais d'autres, comme le vieux Eugène Barretteau expliquait que c'est avec l'ouverture du cimetière que de nombreux Arabes dispersés sur le territoire avaient rejoint Nessadiou pour y terminer leurs vies.

Quelles vies ! Près de 2000 déportés, transportés, relégués à "la Nouvelle" condamnés au nom de toutes les peines de l'arsenal du Code pénal devant des conseils de guerre ou des cours d'assises par des juges militaires ou des jurys de colons. Exilés de leurs terres souvent données à des colons, les voilà concessionnaires sur des terres prises à des tribus. Pour eux l'Histoire s'est inversée : la colonisation qu'ils subissaient en Algérie, c'est à leur tour, souvent malgré eux d'en devenir les agents, non pas pour en vivre, mais pour survivre. À eux seuls, les Arabes de Nouvelle-Calédonie concentrent toutes les contradictions d'une politique coloniale.

Survivre : donc avoir des enfants. Mais se marier avec qui ? Il n'y a pas de femmes arabes. Les premières unions ont lieu à Bourail avec des Européennes, des relations se nouent aussi avec des femmes mélanésiennes. Dans les générations suivantes, les filles de ces premières unions se marient souvent dans le milieu arabe. La souche survit, les patronymes se transmettent même quand ils sont transformés par l'administration, mais la langue qui ne peut pas être apprise aux enfants par des mères qui ne la parlent pas, se perd.
Et précisément parce que la langue s'est perdue, ce cimetière prend dans notre mémoire une autre dimension. Votre présence ici est une reconnaissance de cette dimension et elle est d'autant plus nécessaire que le tout récent manuel d'histoire a supprimé la photo du cimetière de Nessadiou ainsi que le paragraphe consacré dans le manuel précédent à la présence arabe.

Monsieur le Ministre, ne cherchez pas les noms de nos anciens dans les livres d'histoire, même celui de Bou Mezrag el Mokrani a été effacé. Ne cherchez pas une place, une école, un collège, un espace sportif qui porte un nom arabe, mais parcourez les listes de décès des centres miniers de Thio ou Ouegoa, des centres pénitentiaires, de l'île Nou, de Ducos, de l'île des Pins, du Camp Brun interrogez vous sur le jeune âge de ces décédés et vous commencerez à comprendre. Continuez par la liste des concessionnaires de Bourail, Nessadiou bien sûr mais aussi Boghen, la Route d'Ourail, la Poueo, remontez jusqu'à Pouembout, Koumac, revenez par La Foa, concentrez-vous sur Nouméa, sur la liste des chauffeurs de fiacres, sur la Vallée du Tir le quartier ouvrier, sur les ouvriers du Nickel, sur les syndicats, sur les sportifs, et aussi il faut le dire au début du XXe siècle sur la délinquance, le tout dans un environnement, où le mépris aujourd'hui disparu, n'était jamais absent et vous commencerez à avoir un idée de ce que les Arabes ont vécu dans ce pays où pendant longtemps, comme disait le vieux Bel Amiche qui repose à Nessadiou : "le cheval a été le seul ami de l'Arabe".

Victimes de la colonisation en Algérie, contraints dans l'exil de devenir acteurs de la colonisation en Nouvelle-Calédonie puis reconnus comme victimes de l'Histoire, il n'y a qu'un seul mot pour traduire ce que nous avons vécu : Mektoub. Le destin. Alors aujourd'hui quand on appelle le pays à un destin commun, quand on aspire à la constitution d'une communauté de destin, croyez bien que nous sommes prêts à y prendre toute notre part. Notre passé ne nous permet pas d'évoquer les bienfaits de la colonisation et nous n'avons pas le temps d'attendre une quelconque repentance d'où qu'elle vienne. Nous sommes des citoyens de Nouvelle-Calédonie qui avons un défi à relever dans le respect de l'histoire de nos pères et pour l'avenir de nos enfants et rien ne se fera à côté de nous ou sans nous. C'est le sens que nous voulons donner à votre visite à Nessadiou.

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"cimetière arabe" de Nessadiou à Bourail

source, M.
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À l'entrée du cimetière, il y a le croissant de lune. Quand vous rentrerez à Paris ou dans la banlieue lyonnaise s'il vous arrive d'apercevoir ce croissant de lune, ayez une pensée, Monsieur le Ministre, pour ces descendants d'Arabes qui vivent sous le ciel austral, là où le croissant est tourné à l'envers ou dans l'autre sens, mais n'en doutez jamais : le cœur des Arabes de Caledoun est pour toujours à l'endroit. Et leur endroit c'est ici.

Taïeb Aifa

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5 mars 2007

L'Europe face à son passé colonial (colloque international : 25, 26 et 27 avril 2007)

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L'Europe face à son passé colonial

Histoire, mémoire et débats publics contemporains

- Approches comparatives -

Metz, 25, 26 et 27 avril 2007


Colloque international organisé par Olivier Dard (Université Paul Verlaine, Metz) et Daniel Lefeuvre (Université Paris 8 Saint-Denis) - En partenariat avec Études coloniales

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Programme officiel

PROGRAMME

Mercredi 25 avril, matin

Passés coloniaux, États et sociétés impériales

Guy Pervillé (Université de Toulouse), Histoire et mémoire de la décolonisation en Algérie et en France : lesLa_difesa_della_razza causes de l'échec du traité d'amitié franco-algérien

Giorgio Rochat (Université de Turin), Le colonialisme italien, un passé oublié

Antonio Costa-Pinto (Université de Lisbonne), Colonialisme et Dictature: la démocratie portugaise face à son passé colonial

Nicola Labanca (Université de Sienne), I gas di Mussolini in Etiopia (1935-1936) : una (l'unica?) discussione italiana sul passato coloniale (1995-1996)

Rosa Maria Pardo (UNED, Madrid), Maroc et Guinée dans l’Espagne de la fin de l’ère franquiste

Yves Léonard (Institut d’Études Politiques de Paris), La question impériale dans le Portugal salazariste (années 1960-1970)


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Mercredi 25 avril, après-midi

Passés coloniaux, États et sociétés impériales (suite)

Herrick Wesseling (Université de Leyde), Les Pays-Bas face à leur passé colonial

John Darwin (Nuffield college, Oxford), Mémoire d'empire et de public en Grande-Bretagne depuis 1960

Jean-François Klein (INALCO), Un absent français du débat colonial : l’Indochine

Jean-Jacques Jordi (Mémorial) : Pourquoi un mémorial de la France d’outre-Mer ?

Arnaud Nanta (EHESS), Le Japon face à son passé colonial

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troupes japonaises en Mandchourie


Jeudi 26 avril, matin

Passés coloniaux, États et sociétés colonisées

Gaillard Gusti (université de Port au Prince), Question coloniale et question politiqueimage002 en Haïti aujourd’hui

Mohammed Hatmi (université de Fès-Sais), La commémoration du cinquantenaire de l’indépendance du Maroc

Marion Abssi (Université de Metz), Enjeux de mémoire et de pouvoir dans l’immigration algérienne en France au lendemain de la guerre d’Algérie (1962-1965)

Martine Cornède (directrice du Centre des Archives d’Outre-Mer, Caom à Aix-en-Provence), La politique d’ouverture des fonds coloniaux


Jeudi 26 avril, après-midi

Convulsions impériales, matrices de formes de lutte et de systèmes de représentations

Martin Meunier (université d’Ottawa), Un exemple de transfert transatlantique : le Front de libération du Québecphoto1magoas

Olivier Dard (université Paul Verlaine, Metz), L’Algérie française et l’OAS : un exemple transposable de lutte contre-terroriste ?

Anne Dulphy (École polytechnique), Algérie française et Espagne franquiste : quelles relations et quels regards ?

Chantal Metzger (Université de Nancy II), RDA et Afrique noire dans les années 1960-1970


Vendredi 27 avril, matin

Constructions et diffusions des mémoires des passés coloniaux

Marc Michel (Université d’Aix-Marseille II), Soldats africains de l’armée française : mémoires et débats

François Cochet (Université de Metz), Indochine et Algérie : motivations de l'époque et culture mémorielle d'aujourd'huiCefeo chez les soldats français

Hervé Lemoine (DMPA), Les témoignages oraux, des sources du temps présent pour une histoire du temps présent (titre provisoire) [ci-contre, CEFEO, cliché ECPA]

Jocelyn Grégoire (Université de Liège), La question coloniale à la RTBF depuis les années 1960

Etienne Deschamps (université de Louvain), La construction d’un savoir universitaire sur l’empire colonial en Belgique au XXe siècle


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carte datant de 1914

 

Vendredi 27 avril, après-midi

Enjeux politiques et sociétaux contemporains des passés coloniaux

Daniel Lefeuvre (université Paris 8), Colonisation : la notion de bilan est-elle incongrue ?raxhon

Philippe Raxhon (université de Liège), La commission Lumumba

Francis Balace (université de Liège), La réception du film «Indigènes» en Belgique

Michel Renard (université Paris 8), L’islam colonial : déni de l’histoire et «indigénisation»

conclusion

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Ce colloque est organisé avec le soutien des Universités de Metz (CRULH, BQR, CA 2 M, AAUL) et de Paris 8 (BQR, Relations internationales, Ecole doctorale Pratiques et théories du sens – Centre de Recherches historiques, UFR 4), de la Région Lorraine, du Ministère des Anciens combattants (DPMA), de la Direction des Archives de France, du ministère des Affaires étrangères (ambassade de France au Maroc).

Renseignements et inscription : Daniel Lefeuvre, 38 rue du Ruisseau, 75018, Paris

Daniel.Lefeuvre@tele2.fr


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22 février 2007

Dictionnaire de la colonisation française (Claude Liauzu, dir.)

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Dictionnaire de la colonisation française

Claude LIAUZU (dir.)

 

dictionnaire_LiauzuJamais la colonisation, un demi-siècle après les guerres d'Indochine et d'Algérie, jamais l'esclavage - 150 ans après l’abolition - n'ont été aussi présents dans la vie publique. Le temps des colonies est un passé qui ne passe pas, l’enjeu de conflits de mémoires, de lois mémorielles sur fond de malaise  officiel.

La liberté revendiquée légitimement par les historiens est assortie d’une obligation. C’est leur fonction d’établir avec rigueur les faits, d’exposer la pluralité des interprétations, de proposer des repères permettant au lecteur de former son opinion, tout en présentant une vue d’ensemble.

Pourquoi un dictionnaire ? Les 700 notices permettent de rechercher directement une information, de passer d’un thème à un autre, en fonction de la multiplicité des facettes du fait colonial. Le chapitre "Temps forts" en présente les principales étapes. Des dossiers synthétiques sur des questions générales font le point des connaissances et des débats. Des cartes, un index (des personnes, des lieux et des thèmes) facilitent la lecture.

On trouve dans ce livre un bilan de la «première colonisation» (XVIe-XVIIIe), de l’esclavage, des traites et des abolitions. L’essentiel de l’ouvrage est consacré aux caractères et étapes de l’impérialisme aux XIXe et XXe siècles et des décolonisations. Quelque 220 biographies font revivre les acteurs de la colonisation (militaires, politiques, laïcs et religieux, entrepreneurs et savants…), et ceux des sociétés colonisées (animateurs des résistances, des réponses culturelles, des mouvements de libération…). Le livre fait le tour de la Plus Grande France, du Havre à Saigon, du continent africain aux îles et DOM-TOM actuels.

C’est une histoire totale de la situation coloniale, vue des deux côtés, qui est l’ambition des 70 auteurs français et étrangers : soldats français et tirailleurs, méthodes de conquête, de gouvernement et réactions indigènes, aspects économiques et sociaux,  mutations vécues par les hommes et les femmes, impact sur la vie publique, débats d’idées, liens avec le sentiment national français et les nationalismes construits en réaction. Mais le dictionnaire fait aussi un sort aux aspects moins connus, voire ignorés du fait colonial : à sa place dans la culture (celle des grands écrivains, peintres… dont la plupart ont été concernés, comme dans la culture populaire et de masse), aux langues et au corps, aux mentalités, à l’imaginaire…

L’objectif est de fournir un outil à la hauteur des enjeux de connaissances de ce phénomène qui a modelé notre monde actuel, qui y a inscrit, au Nord comme au Sud, une pluralité, un devenir à partager.

Claude Liauzu

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- Dictionnaire de la colonisation française, 2007, Larousse, Claude Liauzu (dir.), conseil scientifique : Hélène d’Almeida Topor, Pierre Brocheux, Myriam Cottias, Jean-Marc Regnault, à paraître en avril 2007.



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deux combats opposés

 

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tract du P.P.A., 1937 (source : Caom, base Ulysse)

 

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1945,  (source : Caom, base Ulysse)

 

 

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20 février 2007

la nuit du film anticolonial (samedi 24 février 2007)

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la nuit du film anticolonial

le samedi 24 février


Samedi 24 Février 2007 de 21h30 à 8 heures le lendemain
au CINEMA 3 LUXEMBOURG
67, rue Monsieur le Prince Paris 75005 – M° Luxembourg ou Odéon

LA NUIT DU FILM ANTICOLONIAL
PARTICIPATION AUX FRAIS : 20 euros – 10 euros (précaires)

Dans le cadre de la semaine anti-coloniale, L’Yeux Ouverts propose un programme de films de fictions  et documentaires consacrés, notamment, aux grandes figures des luttes anti-coloniales des peuples d’Asie, d’Afrique et du monde arabe. Il s’agit pour nous non seulement de sauvegarder cette mémoire tricontinentale anti-impérialiste, mais aussi d’en montrer l’actualité à une époque où s’intensifie la logique de guerre de l’Empire américain.

les organisateurs

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René Vautier


Programme SALLE 1

21h30 :
AFRIQUE 50 et rencontre avec René Vautier
Documentaire de René Vautier (20 mn - 1950)

aff_afriqueÀ la fin des années 40 la Ligue de l'Enseignement propose à René Vautier de réaliser un film montrant "comment vivent les villageois d'Afrique occidentale française". Ce film est destiné à être montrer aux élèves des collèges et lycées de France. En accompagnant une équipe de routiers éclaireurs de France, il doit ramener des images sur la réalité africaine, puis en faire un montage. Vautier arrive donc en Afrique à 21 ans, sans idées préconçues. Cependant, de son périple africain, sortira le premier film anticolonialiste français.
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Sur le sol africain, Vautier est accompagné par le gouverneur. Ce dernier tend à conseiller à Vautier de filmer les ananas du jardin de l'Office du Niger, alors que le documentariste était plus intéressé par les galériens noirs qui manoeuvraient à bras les vannes d'une écluse d'un barrage qui alimentait en électricité les maisons des blancs, mais pas le barrage : les Nègres coûtent moins cher... Vautier est révolté par le vrai visage du pouvoir colonial. Pendant près d'un an, en partie accompagné par Raymond Vogel, il parcourt le Mali, la Haute Volta, la Côte d'Ivoire, le Ghana, le Burkina Faso. Et il filme, grâce aux Africains qui le protègent.


22h 30 :
LE CINE COLONIAL
Documentaire de Mokhtar Ladjimi & Youssef El Ftouh (52 mn - 1997)FRCAOM08_9FI_00037R_P

Par toute une série de témoignages filmés, fiction ou documentaire, une analyse sur la propagande coloniale au début de années soixante. L'Algérie comme la Tunisie ont découvert le cinéma par les images tournées par les colonisateurs. C'est toujours la métropole et son pouvoir qui est mise en exergue avec le beau rôle pour une représentation négative des Maghrébins stéréotypés : les hommes brutaux et les femmes lascives. René Vautier a fait figure de contestataire soutenant les mouvements de Libération nationale. Aujourd'hui pour  l'Occident, c'est l'image de terrorisme qui a succédé au cruel et brutal sauvage.

- lien (1) - lien (2) (source image : Caom, base Ulysse)



23h 30 :
FRANTZ FANON : PEAU NOIRE, MASQUE BLANC
Docufiction de Isaac Julien (70 mn)

Psychiatre et théoricien révolutionnaire, Frantz Fanon a été ambassadeur duFRANTZFI Gouvernement provisoire de la République algérienne. Membre du FLN, poète, écrivain, il meurt à trente-six ans d'une leucémie en 1961.  Sa pensée est réformatrice et fulgurante, il peut être comparé par son influence mondiale à Che Guevara ou mieux encore à Malcolm X. Admiré des Black Panthers et des révolutionnaires du Tiers Monde, ami de Sartre et de Beauvoir, il a dénoncé avec passion le racisme et le colonialisme. Antipétainiste, il fit partie des Forces françaises libres de la Caraïbe. Auteur de Peau noire, masque blanc (1951), son dernier livre Les damnés de la terre est un appel à la libération des esprits colonisés à travers le monde. À l'aide de documents d'archives, d'interviews et de scènes reconstituées, le réalisateur fait le portrait réussi de Frantz Fanon, Martiniquais noir, se sentant profondément européen mais aspirant à se libérer de ses "masques blancs".


01h 00 :
LA BATAILLE D'ALGER
Fiction de Gillo Pontecorvo (100 mn - 1966)

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Le film, qui avait été interdit de sortie en France en 1966 (sorti en 1971 et retiré de l'affiche rapidement après un attentat dans le cinéma), vient de sortir de l'oubli après un passage aux États-Unis. Considéré par beaucoup comme un film du patrimoine algérien, La Bataille d'Alger reste le plus important témoignage de l'époque. Son producteur, Yacef Saadi, premier producteur indépendant et surtout un des chefs du FLN pendant la guerre, y joue son propre rôle. L'arrivée des paras du Commandant Mathieu dans la Casbah d'Alger sonne le glas pour la résistance et son chef, Ali La Pointe. Le démantèlement du réseau du FLN continue. La victoire est française. Mais, l'histoire le dira trois ans plus tard, l'Algérie réclame son indépendance…
Interprètes : HADJADJ, Brahim (Ali La Pointe) / SAADI, Yacef (Saari Kader, son propre rôle) / MARTIN, Jean (Colonel Mathieu) / BOURIHIYA, Fatma / AL KADER, Fawla /  ROUICHED / KERBASH, Michèle / KASSEN, Ben / PALETTI, Ugo / Non professionnels


03h 00 :
LUMUMBA
Fiction de Raoul Peck (116 mn - 2000)

Patrice Emery Lumumba est un des héros de l'indépendance congolaise. À la fin desLumumba années 50, il se retrouve propulsé sur le devant de la scène politique internationale à la suite de la décolonisation. Tel Kenyatta, Nkrumah ou pour d'autres el Che, il rejoindra l'histoire des héros de la lutte anticoloniale. Au début, il milite activement pour la liberté du peuple africain dans la légalité. Les colonisateurs belges laissent s'organiser des élections qui tournent à leur désavantage. Contrairement aux choses prévues, Lumumba devient le premier ministre d'un des pays les plus riches d'Afrique. Il n'est en fait qu'un pion sur l'échiquier politique mondial. Manipulé et trahi, au moment de sa fuite pour rejoindre ses partisans dans le Nord du pays, il est arrêté par Mobutu, un ancien de son équipe. C'est sur ordre de Eisenhower, après le lâchage belge, que Lumumba sera éliminé. Torturé et envoyé au Katanga, fief ennemi, il y sera assassiné en janvier 1961. Il avait trente-sept ans. Pour éviter tout culte après sa mort, son corps disparaît brûlé.
Interprètes : EBOUANEY, Eriq (Patrice LUMUMBA) / DESCAS, Alex (Joseph MOBUTU) / KOTTO, Maka (Joseph KASA VUBU) / SOWIE, Théophile Moussa (Maurice MPOLO) / KABONGO, Dieudonné (Godefroid MUNUNGO) / NZONZI, Pascal (Moïse TSHOMBE) / DEBAAR, André (Walter J. Ganshof Van der Meersch) / DOUKOURE, Cheick (Joseph OKITO) / DIOP MAKENA, Oumar (Thomas KANZA)  / KABA, Mariam (Pauline LUMUMBA) / DELHEM, Rudi (général Emile Janssens)


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affiche, 1938 (source : Caom, base Ulysse)


Programme SALLE 2


23h 30 :
LA COULEUR DU SACRIFICEaffiche_couleur_sacrifice
Documentaire de Mourad Boucif (81 mn - 2006)

arton9533«La Couleur du Sacrifice» donne la parole à ces hommes venus d’ailleurs qui, pour la plupart enrôlés de force, ont joué un rôle crucial durant la Seconde Guerre mondiale et notamment lors de la Libération. Ignorés des manuels scolaires et écartés des grandes commémorations «spectacle», ils cherchent aujourd’hui à faire exister cette page occultée de l’histoire et à témoigner avec force et indignation de la façon dont le gouvernement français les ignore.


01h 00 :
Les massacres de Sétif, un certain 8 mai 1945
Documentaire de Mehdi Lallaoui & Bernard Langlois (52 mn – 1995)

kerrata_8mai45Le 8 mai 1945, jour de la victoire sur le nazisme, est aussi un jour de deuil. À Sétif puis dans tout le Constantinois, les manifestations pacifiques d’Algériens indépendantistes qui se mêlent aux festivités tournent au massacre colonial.

- lien



02h 00 :
UNE JOURNÉE PORTÉE DISPARUE, 17 octobre 1961
Documentaire de Philip Brooks & Alan Hayling (52mn- 1993)

20050607Le 17 octobre 1961, des milliers d'Algériens de nationalité française manifestent dans les rues de Paris contre le couvre-feu qui leur est imposé par le préfet de police Maurice Papon. Vingt-quatre heures plus tard, on compte des dizaines de morts. Ces Algériens ont été assassinés par des fonctionnaires de la police sous les ordres de leurs supérieurs. On n'en connaîtra jamais le nombre exact. Des corps sont retrouvés dans la Seine, dans le bois de Boulogne. Les réalisateurs ont recueilli les récits de manifestants et de témoins de l'époque, de dirigeants du FLN, de journalistes ayant couvert les évènements, de médecins et d'avocats. Ils posent deux questions à travers ce documentaire : comment de tels événements ont-ils pu se produire et pourquoi ont-ils été passés sous silence pendant quarante ans ? Ce documentaire fait la lumière sur cet épisode trouble de la guerre d'Algérie.


03h 00 :200px_Edward_Said
ENQUETE DE PALESTINE
Documentaire de Edward SAÏD (52 mn – 1998)

Edward Saïd, intellectuel palestinien de référence éxilé aux États-Unis jusqu’à sa mort, a produit de nombreuses réflexions sur l’Orientalisme, le colonialisme et l’impérialisme. À l’occasion d’un voyage en Palestine, à la veille de la deuxième Intifada, il dénonce le processus de colonisation à l’œuvre, mètre par mètre, jour après jour, sous les yeux de la communauté internationale.


04h 00 :
LES ESPRITS DU KONIAMBO
Documentaire  de Jean-Louis Comolli (105 mn - 2004)

film_712_imageLe réalisateur retourne en Nouvelle-Calédonie et retrouve le fils de son principal collaborateur kanak, Antoine, décédé deux ans plus tôt. Avant de mourir, Antoine s'était battu pour faire reconnaître les droits de son peuple sur certaines terres. Ces terres sont riches en nickel et les indépendantistes du Nord ont confié l'exploitation des mines à une multinationale canadienne, la Falcon bridge. C'est l'histoire d'un homme kanak qui a réussi à faire reconnaître son clan à une multinationale. lien

05h 30 : DEJEUNER + 1er Métro



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Le cinéma colonial au Maghreb,
Abdelkader Benali, éd. Cerf, 1998
préface de Benjamin Stora


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affiche, 27 janvier 1937 (source Caom, base Ulysse)




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9 mars 2007

Les médecins français au Maroc (Marie-Claire Micouleau-Sicault)

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Les médecins français au Maroc

Marie-Claire MICOULEAU-SICAULT




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- Marie-Claire Micouleau-Sicault, Les médecins français au Maroc, combats en urgence (1912-1956), L'Harmattan, 2000.

 

présentation par l'éditeur

De 1912 à 1956 la présence française au Maroc a représenté pour de jeunes médecins qui commençaient leur carrière, l'accomplissement d'un destin qu'ils consacrèrent avec passion au soulagement des souffrances de populations décimées par les épidémies et la malnutrition infantile. Cette histoire est celle de l'aventure extraordinaire de ces jeunes équipes médicales qui ont su construire au Maroc un vrai réseau sanitaire, dans le respect de la culture et des traditions du pays.

Marie-Claire Micouleau-Sicault - Née à Rabat, professeur de Lettres classiques, fille du Dr G. Sicault, directeur de la santé publique au Maroc sous le Protectorat, j'ai été témoin de la création de la première politique de santé publique du tiers-monde.

- le livre de Marie-Claire Micouleau-Sicault est publié chez l'Harmattan

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dr_sicaultLe Dr Georges Sicault a dirigé le Service Antipaludique du Maroc. Entre 1944 et 1946, il a été directeur de l'Institut d'Hygiène du Maroc (devenu après l'indépendance, Institut National d'Hygiène). A travaillé ensuite pour l'UNICEF comme directeur général adjoint à New York.

 

 

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laboratoire du paludisme, à l'Institut d'Hygiène du Maroc (créé en 1930) - (source)

 

- voir l'historique de l'INH (anciennement Institut d'Hygiène du Maroc), avec les discours prononcés lors de l'inauguration le 30 décembre 1930.

- sur le même site, le clip de présentation de l'Institut d'Hygiène du Maroc

- note historique figurant sur ce site :

L'Institut d'Hygiène du Maroc a été inauguré le 30 décembre 1930 à Rabat par le Professeur Léon BERNARD, Président du Conseil Supérieur d'Hygiène de France, sous la présidence de M. Lucien SAINT, Résident Général de la République Française au Maroc, dans le but de prendre en charge les problèmes d'hygiène et d'épidémiologie des maladies transmissibles du Maroc et de diffuser les notions élémentaires de l'hygiène et de la prophylaxie pour protéger la santé de la population.

 

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entrée principale de l'Institut d'Hygiène du Maroc, 1930 (source)

 

L'action médicale française sous le Protectorat
Chronologie abrégée

1912 : le Corps de Santé Militaire est constitué en Direction du Service de Santé militaire avec deux sous-directeurs :
- un sous-directeur militaire
- un sous-directeur civil
Apparition des premiers cadres civils  : Lyautey dit  «Il n’y a pas au Maroc une médecine militaire et une médecine civile, il y a simplement des médecins que la besogne médicale seule distingue et non une étiquette».
1913 :  Premier plan de défense sanitaire et de protection de la santé publique.
Premiers Groupes Sanitaires Mobiles (les GSM) qui succèdent aux «Dispensaires de consultation  en marche» sur le même principe.
1921-1926 : Médecin-Général Marcel Oberlé, Chef Supérieur du Service de Santé du Maroc.
1926 : Création de la Direction de la Santé et de l’Hygiène Publiques (la SHP) : un Service Central, des services régionaux avec un Médecin Chef pour chacune des sept régions.
Docteur Jules Colombani,  Directeur du Service de la Santé et de l’Hygiène Publiques, 1926-1934.
1930 : Création de l’Institut d’Hygiène.
Docteur Maurice Gaud,  Directeur du Service de la Santé et de l’Hygiène Publiques, 1934-1944.
Docteur Maurice Bonjean,  Directeur du Service de la Santé et de l’Hygiène Publiques, 1944- 1946.
1946 : La SHP devient la Direction de la Santé Publique et de la Famille.
Docteur Georges Sicault, Directeur de la Santé Publique et de la Famille 1946-1956.
Création d’un grand Service Médico-Social. (services médico-sociaux spécialisés, Service Social de secteur, Protection Maternelle et Infantile, Education Sanitaire, Bureau de l’Assistance)
Achèvement du Grand Hôpital Musulman de Casablanca.
Construction de trois grands hôpitaux mixtes à Oujda, à Meknès, à Rabat etc…
1956 : Fin du Protectorat.

Marie-Claire Micouleau-Sicault

 

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Mazagan, intérieur de l'hôpital civil

 

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Rabat, hôpital Marie-Feuillet

 

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Casablanca, hôpital de campagne, le médecin-chef
et les infirmières (avant 1909)

 

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hôpital de Kasbah Tadla et tout son personnel, photo prise le 30 septembre 1930

 

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- l'oeuvre humanitaire du corps de santé colonial français (1890-1968), présenté par l'Association Amicale Santé navale et d'outre-mer

 

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préface du professeur Bernard Debré,

au livre de Marie-Claire Micouleau-Sicault

 

À l’époque où il est de bon ton de s’autoflageller, de battre sa coulpe, pour s’excuser, tantôt de l’inquisition, tantôt de la Saint-Barthélémy, tantôt des croisades, le témoignage de Marie-Claire Micouleau-Sicault sur l’œuvre accomplie par les médecins de la coloniale est tout à fait fondamental.

ponction_lombaireEn effet, la France n’a pas à rougir de l’action de beaucoup de ses enfants dans les colonies, qu’il s’agisse de l’Afrique du Nord, qu’il s’agisse de l’Afrique Noire, qu’il s’agisse de l’Asie. Et s’il en est qui doivent obtenir une mention particulière ce sont bien les médecins de la coloniale. De haut en bas de la hiérarchie, ils ont arpenté les médinas, les déserts, les souks. Ils ont été les premiers serviteurs de l’homme dans ces pays souvent déshérités.

Et c’est là qu’apparaît comme un grain de lumière le Dr Georges Sicault qui a été Directeur de la Santé Publique au Maroc de 1946 à 1956. C’est lui qui a organisé la défense contre les épidémies, c’est lui qui a complété les équipements sanitaires et c’est lui enfin qui a développé le service médico-social avec les PMI (protection maternelle infantile), l’hygiène scolaire, l’éducation sanitaire etc. Quand on voit l’immense travail qui a été fait par Georges Sicault on ne peut être qu’admiratif. En effet cet homme est issu d’une famille modeste, son père était né à Lezay, dans les Deux-Sèvres d’une famille d’ouvriers agricoles. La République fonctionnait vraiment, elle permettait au plus humble d’accéder à la conniassance, la République permettait aussi à ceux qui en avaient la vocation de réaliser leur rêve, leur volonté d’aller servir. C’est ainsi que le père de Georges Sicault est parti en Tunisie comme professeur au lycée Carnot de Tunis où il enseigna le français et l’histoire romaine, quelle aventure ! Quelle merveilleuse aventure ! C’est donc à Tunis qu’est né Georges Sicault, c’est là qu’il décida d’être médecin et voici de nouveau la République française qui aide, qui entoure, qui conseille et c’est au nom de cette République que Georges Sicault a été nommé au Maroc ; c’est pour la République et pour les Marocains qu’il a commencé sa carrière et qu’il a transformé l’état sanitaire du Maroc.

On ne peut imaginer quel était cet état sanitaire au début du siècle. Oh ! Certes il n’était pas brillant nonancien plus en France car les grandes découvertes médicales n’ont eu lieu qu’à la fin du XIXe siècle et pendant la première moitié du XXe siècle. Mais dans quel état terrifiant était l’Afrique, le typhus, la syphilis, les infections, les épidémies. La mortalité infantile était épouvantable, l’espérance de vie extrêmement faible. Comment construire une démocratie ? comment construire un royaume ? Comment construire la modernité alors que les enfants meurent et que les parents vivent peu ?

Oui c’est l’œuvre des Français que d’avoir aidé ces pays africains à accéder à un minimum de santé publique. C’est l’œuvre de Georges Sicault et de tant d’autres ; Les Marocains ne s’y sont pas trompés et quand aujourd’hui encore un Français va au Maroc il est toujours bien reçu. Cet amour entre nos deux pays existe et existera tant que nous nous en rendrons dignes. Mais nous avons des devoirs, devoirs de présence, devoirs de vigilance, devoirs d’aide car dans le monde actuel si torturé, si égoïste, il faut que nous prenions exemple sur ces médecins, ces ingénieurs, ces instituteurs français qui sont allés dans les pays africains pour apporter leur savoir et pour partager. Il faut que nous prenions exemple sur  ces hommes et ces femmes, sur leur abnégation, sur leur volonté, sur leur enthousiasme car nous avons l’impérieuse nécessité de faire en sorte que le monde tel que nous le vivons soit plus solidaire. Malheureusement, il n’est qu’à étudier certaines courbes de richesses, certaines courbes de mortalité, pour s’apercevoir qu’une partie du monde régresse alors que l’autre progresse de façon spectaculaire. Oui l’écart entre les riches et les pauvres se creuse toujours plus profondément et à l’aube de ce XXIe siècle il est important que nous puissions redonner à l’homme ses lettres de noblesse, redonner à l’homme son sens dans la vie, et la plus grande action que peut mener un homme c’est celle qui entraîne la solidarité et le partage.

C’est pendant son séjour marocain que mon grand-père Robert Debré a rencontré Georges Sicault. Très rapidement une amitié forte s’est installée entre ces deux hommes hors du commun. Robert Debré s’est intéressé à l’œuvre de Georges Sicault en Afrique, l’a aidé, l’a poussé, l’a conseillé. Après la Deuxième Guerre mondiale, Robert Debré avec un certain nombre de médecins a voulu faire plus encore et il a créé l’UNICEF. C’était à l’évidence une nécessité pour que non seulement il y ait un peu plus de bonheur parmi les enfants mais aussi un peu plus d’aide à travers le monde. Et c’est bien entendu naturellement également que Georges Sicault a été admis à faire partie de ces hommes de l’UNICEF de 1956 à 1970 il a été le Directeur Général Adjoint de l’UNICEF en poste à New-York. Quelle vie extraordinaire au service des autres ! Quelle vie extraordinaire au service de la France !
Ce livre est une merveille car il manie la douceur de l’écriture avec l’âpreté des réalités mais il s’en dégage tellement, tellement d’admiration qu’il est beau à lire.

Bernard Debré
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- source photo "ponction lombaire"

- source photo "à travers le Maroc" (le Marocain aveugle)

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La vie quotidienne à l'hôpital territorial

(extraits du livre de Marie-Claire Micouleau-Sicault)

Sous la pression des nécessités, les hôpitaux avaient poussé dans le pays, constituant un réseau assez dense de formations hospitalières. Mais les pavillons s’ajoutant les uns aux autres au gré des besoins successifs se ressentaient de cette prolifération un peu désordonnée.
Dès 1935, la pacification du Maroc étant achevée, un programme bien planifié fut élaboré et mis en  œuvre.
Nous avons vu que 21 hôpitaux avaient été édifiés sans compter les salles civiles des hôpitaux militaires, comme Marie-Feuillet à Rabat ou Louis à Meknès.
Il faut savoir que l’hôpital musulman moderne se devait d’accueillir tout malade qui se présentait, sous réserve qu’un interne ait constaté son état.
Cependant, par souci d’humanité et aussi de rentabilité, des relais restaient nécessaires avant les admissions : des centres de santé enserraient la ville ou la bourgade, allégeant ainsi le triage de la consultation à l’hôpital même. Autour du Nouvel Hôpital de Casa notamment, le centre Jules Mauran drainait les malades de l’ancienne médina, le dispensaire Derb Sidna, ceux de la nouvelle médina et celui des Roches Noires  recevaient les habitants du quartier industriel.

Ces centres parfaitement équipés permettaient de pratiquer des examens courants de dermato-vénérologie, de pédiatrie d’ophtalmologie et de phtisiologie. Ils constituaient un centre de passage à dimension plus humaine, où les contacts individualisés permettaient des diagnostics plus affinés, le consultant étant souvent connu du personnel soignant, avec ses antécédents, son milieu familial, ses traditions.
Le médecin chef du centre, après diagnostic, soit appliquait la thérapeutique adaptée, soit dirigeait le malade vers le Grand Hôpital.

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"hôpital indigène" de Ber-Rachid

On distinguait «l’hôpital civil» pour les Européens, «l’hôpital indigène» pour les Musulmans et les Israélites et «l’hôpital musulman» réservé aux seuls Musulmans.
On s’étonnera de nos jours de ce qu’on croira être le fait d’une volonté de ségrégation raciale. Il faut savoir que le fonctionnement d’un hôpital devait tenir compte des exigences des populations autochtones : certaines d’entre elles, selon leur degré d’évolution refusaient de se plier aux disciplines modernes. Il fallait donc composer, rappeler notamment aux musulmans leur cadre traditionnel.
C’est ainsi que fut conçu le Nouvel Hôpital Musulman de Casablanca, inauguré en 1949 par le général Juin. Il offrait à ses malades des pavillons de deux, quatre ou six lits, ouvrant deux à deux sur des patios agrémentés de bassins à zelliges et à  jet d’eau. Les tables basses des réfectoires permettaient de prendre des repas à la marocaine.
Le problème était aussi de faire cohabiter la population flottante des bidonvilles avec une fraction déjà importante de Marocains plus évolués. Les services étaient donc divisés à l’extrême afin de grouper autant que possible les différentes catégories sociales, en les faisant toutes bénéficier des services techniques modernes.
Le Nouvel Hôpital Musulman de Casa se caractérisait donc par la disposition de services en dents de peigne, le long d’une vaste circulation dessinée en arc de cercle. Dans la concavité de la courbe étaient répartis les laboratoires, la pharmacie, le bloc opératoire, la radiologie, enfin les buanderies et les cuisines. Les salles d’opération étaient précédées de plusieurs sas qui les isolaient complètement, la réanimation-transfusion était suffisamment vaste pour que les opérés puissent y séjourner le temps nécessaire.
Au sous-sol, la stérilisation comportait des circuits de circulation instruments propres/instruments sales particulièrement étudiés. Ces aménagements paraissent aller de soi aux usagers des hôpitaux modernes. Dans les années cinquante au Maroc, ils constituent une performance.

Pour se faire une idée de la vie quotidienne dans un hôpital marocain de l’époque, on peut suivre le Docteur Secret, médecin-chef de l'hôpital Cocard de Fez dans les années cinquante.
Il faut auparavant imaginer l’enceinte de la Casbah des Cherarda aux murailles crénelées et les vingt-sept tours à merlons qui contrastaient avec les bâtiments modernes de l'hôpital. Mais sa grande allée centrale qui partait du mausolée de Sidi Messaoud El Filali, bordée de pins et d’oliviers, faisait la transition entre tradition et modernité elle partait du sanctuaire de Si Boubeker Ben Larabi, le saint aux oiseaux : il avait dans la ville, il y a fort longtemps, introduit les martinets contre les moustiques dont Fez était infestée ! Une première dans la lutte antipaludique.

Bien plus tard, le Docteur Cristiani dont nous avons déjà mentionné le dévouement, avait, dès 1912, consacré sa vie à la consultation de l'hôpital Cocard alors embryonnaire.
«La consultation ne doit pas être confiée à de nouveaux venus peu au courant des mœurs marocaines et interprétant cette consultation à la façon européenne, comme une corvée tout juste bonne pour un interne» écrivait-il dans son dernier rapport.
Quand l’heure de la retraite sonna pour lui, toute la médina vint à sa dernière consultation. Un leader nationaliste avait les larmes aux yeux en lui serrant la main. À travers la foule qui se pressait autour du Docteur, une vieille femme réussit à se faire un chemin et à saisir un pan de sa blouse pour en baiser l’étoffe. Ces témoignages de reconnaissance démontrent assez le charisme qui émanait de certains de ces vieux toubibs.

La consultation à Cocard commençait, hiver comme été, au lever du soleil. Les groupes se formaient, la foule des malades venus des tribus ou de la médina s’agglutinait aux abords de la consultation envahissant les allées. Dans la première salle, médecins et infirmiers procédaient au «triage» c’est-à-dire qu’ils dirigeaient les hommes d’abord, les femmes ensuite,  vers les différents services, chirurgie vénérologie, urologie, gynécologie etc. Ils administraient aussi des soins aux malades qui ne nécessitaient pas d’hospitalisation. Une pharmacie située en face de la première salle distribuait les médicaments à emporter. Tout était gratuit évidemment : seulement 5% des Marocains auraient pu payer à cette époque.
Les médecins découvraient là, en plus des pathologies classiques, un typhus, une variole ou tout autre maladie contagieuse ce qui permettait d’alerter «là-haut» et de stopper une épidémie. C’était là encore que l’index saisonnier du paludisme dessinait sa courbe aux renseignements précieux pour les services épidémiologiques.
Les services hospitaliers étaient assurés par six médecins à plein temps qui résidaient à l’hôpital. Deux médecins à contrat dirigeaient pour l’un, le Docteur Imbert, le service de pneumologie, pour l’autre, le Docteur Fatmi Fassi, la gastro-entérologie.
On notera au passage, avec cette allusion au Docteur Fassi, que les jeunes Marocains qui souhaitaient faire des études de médecine, étaient vivement encouragés par les instances médicales françaises et trouvaient tout naturellement un poste s’ils le désiraient. Ceci, alors qu’au Congo Belge les Congolais ne pouvaient prétendre au mieux qu’à devenir «Assistants Médicaux», ils obtenaient un titre de super infirmier après trois ou quatre années d’études.
On voit que la politique coloniale de la France au Maroc tendait, grâce à Lyautey, à former au côté des praticiens français, les futurs cadres du pays.

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Casablanca, hôpital civil

Le service des urgences nécessitant un personnel de nuit, assurait un débit opératoire non négligeable : que l’on en juge avec ces chiffres communiqués par le Docteur Secret dans le bulletin régional de la région de Fez.  Pour l’année 1948, ont été pratiqués 112 interventions lourdes, 49 amputations, 17 trépanations, 280 plâtres, 209 interventions sur plaies diverses.
La chirurgie «réglée» était en augmentation constante, témoignant ainsi de la confiance en l’hôpital des populations musulmanes et israélites. Pour la même année, ont été effectuées plus de 250 interventions en chirurgie abdominale, une centaine en chirurgie osseuse, 50 en chirurgie génitale, 30 en chirurgie urinaire et 17 en chirurgie pulmonaire. 
Ces quelques chiffres donnent une idée de l’activité considérable de l’hôpital qui totalisa cette année-là, 208 223 journées d’hospitalisation.
Les médecins ne chôment pas. Le matin, ils font la consultation (examinant, soignant et dirigeant les malades au bon endroit), ils opèrent l’après-midi, ils visitent les malades dans les différents services.
Deux ambulances sont prêtes à répondre en urgence aux appels des infirmeries du bled.
Un centre d’études, la Société Médicale des Chérarda, réunit deux fois par mois les médecins de l’hôpital et des confrères venus de l’extérieur : on confronte ses expériences, on publie des travaux scientifiques, la lèpre, Dr Flye-Sainte-Marie, le thermalisme Dr Secret . 
On y étudie aussi le folklore local, riche d’enseignement pour comprendre les malades.
Une école de sages-femmes fut créée en 1949, dirigée par le Docteur Sauvé (en religion Mère Notre-Dame-de-Paris) qui se dévouait autant à ses élèves qu’aux femmes venues de loin la consulter.

Citons enfin encore le Docteur Secret : (numéro spécial du Maroc Médical 1950)
- «La vieille casbah des Chérarda aux anciens guerriers coupeurs de têtes, évolue chaque journée en hôpital moderne qui mène le bon combat pour la santé publique».

Pour compléter notre incursion dans la vie quotidienne d’un hôpital musulman, nous ne résistons pas enfin au plaisir de transcrire le récit coloré du Docteur Dubreuil, interne en 1949 à l’hôpital Moulay Youssef de Rabat.
«L’hôpital Moulay Youssef est situé entre l’océan et le douar Debbagh, quartier populeux de la grande ville. Les nuits de grosse mer, on entend depuis l’internat le bruit des vagues qui s’écrasent contre la falaise.
Les trois internes de l’hôpital ont leurs fonctions bien définies.
Le matin Jean Bidegaray est en salle d’opération avec le Docteur Botreau-Roussel [cf. ci-dessous : ajouts au texte]. Ça barde, car ce chirurgien d’une compétence exemplaire ne tolère pas la moindre anicroche. Les coups de pied dans les tibias sous la table d’intervention ne sont pas rares, en guise de rappel pour plus de vigilance ou pour une Péan passée à la place d’une Kocher.
«Jeannine Louette assure la consultation des femmes et l’après-midi avec le Dr Popoff celle des enfants et des nourrissons.
«La consultation débute de très bonne heure, en fait hiver comme été avec le lever du soleil, elle va largement au-delà de midi. Le réveil a été donné par le chant du muezzin appelant du minaret de la mosquée qui jouxte l’internat, à la première prière du matin. Le drapeau blanc a été hissé, que je vois de la tête de mon lit dans l’encadrement de la fenêtre.
«Les consultants sont arrivés bien avant, et si l’on est rentré un peu tard le soir d’une sortie en ville, on les trouve déjà là couchés derrière le portail de l’hôpital. On est obligé de les enjamber et on ne peutnic s’empêcher de penser que c’est dans de telles circonstances que le Dr Charles Nicolle [photo ci-contre - source] découvrit le rôle du pou dans la transmission du typhus. Beaucoup viennent du bled et ont dû se mettre en route à la tombée du jour.
«Consultants : plusieurs dizaines ? Plusieurs centaines, plutôt chaque jour. Le tri est vite effectué, d’un côté les hommes regroupés par les infirmiers marocains, de l’autre côté les femmes regroupées idem.
«Un bon nombre de ces consultants viennent pour recevoir les piqûres d’entretien du traitement de leur syphilis : au moins a-t-on une thérapeutique bien codifiée : bismuth et novarsénobenzol. En ces fins d’années quarante, on ne dispose pas encore à volonté de pénicilline et ce n’est que plus tard que seront entreprises les campagnes d’éradication de la syphilis par injection de doses massives de peni.
«Restent encore quelques dizaines de patients. La difficulté consiste à ne pas laisser passer les affections graves notamment celles qui nécessitent une hospitalisation: paludisme pernicieux qui peut emporter le malade en quelques heures- à différencier d’un simple accès palustre passager- pleurésies purulentes, appendicites aiguës voire perforations d’ulcus qui attend avec patience son tour d’être examiné. De temps à autre une lèpre, une bilharziose.
«La fréquence de la tuberculose pulmonaire étonne. Le BCG ne débutera que plus tard. Les soupçonnés phtisiques sont gardés pour examens radioscopiques qui se feront dans l’après-midi.»

Cette longue citation montre mieux que des chiffres la quantité et surtout la qualité des diagnostics et des soins prodigués parfois dans des conditions difficiles. Elle est aussi révélatrice de l’enthousiasme et de la compétence des futurs praticiens qui se voyaient confrontés là à une misère particulièrement atroce et inconnue dans notre métropole.
Certains jeunes médecins, rarement il est vrai, repartaient la première semaine, se sentant incapables d’affronter cette misère.
Enfin, nous voyons bien à travers ce récit comme à travers beaucoup d’autres, que ces pauvres malades n’hésitaient pas à confier leurs souffrances en toute sérénité - et ils avaient raison - à la médecine moderne.

Marie-Claire Micouleau-Sicault

_____________________________

 

ajout au texte par la rédaction d'Études Coloniales

«Comme vous me le demandiez dans votre courrier du 15 juillet 2004, permettez-moi de retracer en quelques lignes l’exercice médical au Maroc de mon père le Docteur Paul Botreau-Roussel, notamment lors de la fondation de l’Hôpital Ibn Sina.

Né le 13 juin 1910, mon père mena à bien ses études de médecine à la faculté de Paris et soutint une thèse sur la pathologie de l’œsophage. C’est à l’occasion de son service militaire qu’il arriva au Maroc en 1935-1936, ce qui lui donna l’occasion d’exercer en milieu rural, puis notamment dans la ville de Taza.

Il fut captivé par l’observation de la vie quotidienne dans le Maghreb de l’époque, où les  traditions coutumières étaient bien conservées avant la survenue de la deuxième guerre mondiale. Il appris d’abord l’arabe dialectal maghrébin, puis une dizaine d’années après s’adonna à l’étude de l’arabe classique.

Libéré de ses obligations militaires, il fut d’abord interne en chirurgie à Casablanca en 1936. Il exerça ensuite en qualité de chirurgien hospitalier à partir de 1938 à l’Hôpital Moulay-Youssef de Rabat.

Mon père exerça la chirurgie à l’Hôpital Ibn Sina jusqu’en 1958, puis travailla en France où il termina sa carrière en qualité d’Inspecteur général au Ministère de la santé. Il décéda le 23 avril 1978.»

Docteur Pierre Botreau-Roussel
fils du docteur Paul Botreau-Roussel
ancien chirurgien à l'hôpital
(source) et (autre source)

 

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4 mars 2006

Ghettoïsation : un cran d'arrêt (Michel Wieviorka)

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Ghettoïsation : un cran d'arrêt

Le Conseil représentatif des associations noires mérite

les encouragements des démocrates

Michel WIEVIORKA, sociologue

 

Les violences urbaines de novembre ont mis à mal non pas l'idéal républicain, mais les discours incantatoires qui, depuis près d'un quart de siècle, l'ont transformé en «républicanisme». Pour les tenants de cette manière de voir, quiconque s'en écarte, intellectuellement ou pratiquement, est nécessairement un «casseur de la République», un communautariste dangereux s'il s'agit d'un penseur ou d'un chercheur, un délinquant s'il s'agit d'un acteur. Mais l'intégration à la française est en panne : sociale, puisque des pans entiers de la population sont durablement exclus ; institutionnelle, puisque les institutions de la République ne tiennent pas pour tous leur promesse de liberté, d'égalité et de fraternité ; politique, puisque le système des partis n'offre aucune perspective réaliste d'inflexion; et culturelle, puisque divers particularismes viennent contester le monopole de la nation dans sa capacité à absorber ou transcender les identités.

Une dimension cruciale de cette crise tient à la faiblesse des acteurs qui pourraient, de bas en haut, impulser des dynamiques de changement et réenchanter notre vie politique. C'est ainsi que dans les quartiers les plus démunis, le Parti communiste, principal animateur des «banlieues rouges» de l'époque, a décliné et le tissu associatif a dépéri.

Dans ce contexte qui serait encore plus désespérant si des élus locaux n'avaient pas maintenu une certaine présence municipale, ni les projets d'un Parti socialiste inaudible, ni les propositions cosmétiques d'un Premier ministre sans ressources, ni l'agitation médiatique d'un ministre de l'Intérieur au profil de plus en plus bonapartiste n'apportent de quoi mettre fin aux inquiétudes sur l'avenir.

Pourtant ces dernières semaines, un espoir est apparu, avec l'annonce de la création d'une fédération regroupant quelque cinquante associations «noires», le Cran (Conseil représentatif des associations noires). Cette naissance tombe à pic. Elle souligne le caractère réactionnaire jusqu'à l'absurde des parlementaires de droite, qui ne veulent pas revenir sur le texte de loi demandant que les manuels scolaires d'histoire soulignent les mérites de la colonisation. Elle marginalise Dieudonné, dont les dérives antisémites transformaient en haine et en irrationalité la cause des descendants de la traite, de l'esclavage et de la colonisation.
Elle annonce une plus grande capacité de lutte contre le racisme et les discriminations, tant il est vrai que dans l'espace public, ce type de combat est d'autant plus efficace qu'il est porté par ses victimes, qui cessent d'être dominées ou aliénées, de se taire, ou de tout attendre d'autres qu'eux-mêmes – aussi bien intentionnés qu'ils soient, démocrates, humanistes, religieux. Le nouveau mouvement noir n'a rien à voir avec la haine antisémite, est ouvert à la connaissance historique, à la raison, et d'ailleurs, il compte en son sein des historiens professionnels.

S'il parvient à s'installer dans la durée, il devrait apporter la démonstration qu'il est possible en France, sans mettre en cause le moins du monde l'idée républicaine, d'affirmer l'existence d'une identité particulière dans l'espace public, d'agir pour transformer la mémoire en histoire, et de combattre pour faire reculer le racisme. Cela vaut assurément mieux que les propos «républicanistes» qui vouent aux gémonies tout ce qui marque la présence d'une minorité dans ce même espace public. Après tout, si aujourd'hui, notre connaissance du régime de Vichy a pénétré jusqu'aux manuels scolaires, c'est bien parce qu'il y a eu une mobilisation dans laquelle des membres d'un groupe particulier, en l'occurrence juif, ont exercé une pression considérable. On est en droit d'attendre le même type de progrès du nouveau mouvement «noir».

Mais ne nous leurrons pas, des difficultés considérables attendent les nouveaux acteurs «noirs», et pas seulement parce qu'ils s'opposent aux nostalgies réactionnaires de ceux qui ne veulent considérer que des individus libres et égaux en droit, sans ancrage ni rivage particuliers, pas seulement non plus parce qu'ils ferment la voie au discours de la haine, qu'elle soit «antiblanche» ou autre. Les premières tiennent à l'adjectif «noir» qui est ainsi revendiqué. Car cet adjectif ramène les acteurs à leurs seules dimensions biologiques, à la couleur de peau, et donc à un attribut synonyme de violences subies, physiques comme symboliques. Etre «noir», c'est être avant tout victime, être défini par un passé fait de destructions, d'oppression, de domination, de rejet et de mépris. Pour se constituer durablement, tout en évitant de se raidir lui-même dans la violence, le mouvement «noir» devra se doter d'une identité positive, et pas seulement victimaire, il lui faudra montrer sa capacité à se définir par un apport à l'humanité, et à la société dans laquelle il se développe - une culture, des formes artistiques, une littérature, des langues, une mémoire qui ne soit pas seulement «lacrymale», selon le mot de l'historien juif Salo Baron. C'est ce qu'ont bien compris dès les années 70 certains militants de la cause noire aux Etats-Unis, surtout parmi les couches moyennes éduquées, qui, à l'instar de Jessie Jackson, ont commencé à imposer l'usage du qualificatif d'African-American et l'abandon de celui de Black. Car être African-American, c'est mettre en avant divers aspects positifs de l'identité, historiques, culturels, et pas seulement demander reconnaissance d'un passé et d'un présent fait de discriminations et de vexations – ce qui se voit, par exemple, dans la démultiplication des départements d'African-American Studies dans les universités américaines. Un premier enjeu, pour le mouvement naissant en France, sera de trouver les mots lui permettant d'adosser une identité positive, à une identité «négative», détruite, qu'il ne s'agit donc pas de sous-valoriser.

Un deuxième ensemble de difficultés tient à l'hétérogénéité de la population qu'il s'agit pour l'heure de fédérer. Le terme «noir», en effet, pourrait ne pas résister aux différences qui séparent, par exemple, ceux dont l'histoire résulte de la traite négrière et l'esclavage, notamment aux Antilles, de ceux qui ont plutôt été victimes de la colonisation française, en particulier en Afrique subsaharienne. Là encore, l'expérience des Etats-Unis devrait inciter à réfléchir : la distance revendiquée y est grande, par exemple, entre descendants des esclaves, African-Americans, et nouveaux migrants en provenance d'Afrique subsaharienne, et ni les uns, ni les autres ne se confondent avec ceux qui viennent des Caraïbes. La raison, l'acceptation du savoir historique, l'idée d'un combat diversifié, mais contre le même adversaire – le racisme, la négation historique – devront s'imposer à tous malgré des différences importantes, que le mouvement devra apprendre à gérer, et à ne pas laisser se transformer en conflits et en déchirements internes.

Mais dans le climat plutôt déprimant qui est le nôtre, nous devons saluer l'émergence d'un acteur qui devra, certes, surmonter bien des écueils, mais qui mérite les encouragements de tous ceux qui entendent conjuguer l'idée républicaine et la démocratie – et non pas les opposer.

© Libération, 19 décembre 2005

- Dernier ouvrage paru : La Tentation antisémite. Haine des juifs dans la France d'aujourd'hui, Robert Laffont.

 

 

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Pas d'accord...

Michel RENARD

 

Michel Wieviorka défend des thèses que je ne partage pas. Il s'est toujours montré partisan d'une affirmation et d'une visibilité des "identités particulières dans l'espace public". Je ne vois pas en quoi cela permettrait de dépasser les discriminations qui existent ni de dissoudre les "ghettos"... Une communautarisation de l'espace public, même "soft", alimente une dynamique de filières protégées, de clientèles et de ghettos. À propos des discriminations, il faudrait songer à incriminer la formation reçue à l'école qui, sous l'emprise du pédagogisme, a désarmé les enfants des milieux les plus défavorisés et gravement perturbé leurs possibilités d'acquérir de réels savoirs.

La prise en compte plus grande de l'histoire et des origines d'éléments de la population française provenant de l'ancien empire colonial, est évidemment souhaitable. Mais elle ne doit pas être inféodée aux groupes qui déforment la réalité historique et réduisent la période coloniale à un "système" dépersonnalisant, uniquement oppressif et exploiteur, tels que s'y emploient les leaders des "Indigènes de la République".

Michel Wieviorka développe une vision simpliste de la place prise par l'épisode de Vichy (1940-1944) et par la persécution des juifs dans l'histoire de France. Selon lui, elle serait due à une "mobilisation dans laquelle des membres d'un groupe particulier, en l'occurrence juif, ont exercé une pression considérable". Désolé, mais il s'agit d'un point de vue rétrospectivement "communautariste"... La réalité, ce sont bien sûr les initiatives des époux Klarsfeld, de Marcel Ophuls (le film Le chagrin et la pitié), de Claude Lanzmann ou de Bernard-Henry Lévy... qui sont intervenues dans un contexte particulier : affaire Darquier de Pellepoix qui niait les chambres à gaz en 1978. Initiatives dont la valeur en terme de connaissance n'est pas égale d'ailleurs... : le film Shoah survalorise le témoignage sans aucune critique historienne, et le livre de BHL, L'idéologie française, a été sévèrement étrillé par les historiens pour ses amalgames et raccourcis.

Mais la réalité, c'est aussi le travail d'historiens tels que Jean-Pierre Azéma, Serge Klarsfeld, justement, Pascal Ory, Fred Kupferman, Pierre Vidal-Naquet, et bien sûr les Américains Stanley Hoffmann, Robert Paxton (la traduction de la France de Vichy date de 1973) et Herbert Lottman, qui a permis un débat de connaissances sur le passé. Sur ce point, il faut lire l'ouvrage d'Henry Rousso, Le syndrome de Vichy (1987).

La république et la démocratie ne sont pas à opposer, ainsi que le souhaite avec raison Michel Wieviorka. Pour cela, laissons la concurrence des mémoires se développer dans l'espace démocratique (c'est inévitable), mais reconnaissons à l'institution républicaine et à ses composantes (école, université notamment...) le soin d'énoncer des savoirs historiques susceptibles de servir de références rigoureuses et, pour cela, admissibles par tous dans la vie de la nation. La République ne saurait être placée à la remorque de la démocratie dont l'un des inconvénients (mais c'est aussi, pour une part, une garantie des libertés) réside dans le déploiement confus des identités essentialisées et exaltées.

Michel Renard


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4 mai 2007

Sultans (souverains) du Maroc de 1631 à 1999

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Sultans (souverains) du Maroc

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Succédant aux Saadiens (1524-1659), les Alouites, venus d'Arabie en 1266, étaient installés dans la région du Tafilalet. Ils portaient le titre de chorfas, c'est-à-dire de descendants de Muhammad (Mahomet) par Alî et Fatima (la fille du Prophète).

img_pres_long_4505- "Les dynasties mérinide et saadienne qui gouvernèrent le Maroc montèrent au zénith, atteignirent leur apogée et déclinèrent. Leur trajectoire fut brillante, mais éphémère. Lorsque le dernier souverain saadien mourut en 1659, il laissait le Maroc dans une situation navrante. Si l'unité territoriale était disloquée, le pouvoir central ne l'était pas moins. Les limites du Maghzen n'avaient cessé de se rétrécir. Dans le Moyen Atlas, la famille Dilaî occupait Fès et tout le nord du pays. dans le Souss, la famille Filali avait érigé en capitale sa forteresse d'Iligh. Dans le nord-ouest du Maroc, des chefs militaires s'étaient arrogé des prérogatives exorbitantes, sous prétexte de lutter contre les Portugais et les Espagnols qui occupaient les côtes de l'Atlantique et de la Méditerranée. Les derniers souverains saadiens ne conservaient plus que Marrakech. Encore n'y exerçaient-ils que l'ombre du pouvoir...
Vers qui se tourner pour sauver le pays ? Des esprits éclairés estimèrent que seuls les Alaouites étaient en mesure de le faire. Ne descendaient-ils pas directement du Prophète ? N'étaient-ils pas investis d'une baraka qui avait déjà fait ses preuves ? Une délégation d'ulémas se rendit à Sigilmassa auprès de leur chef, Moulay Ali Cherif, qu'auréolait une atmosphère de sainteté. Ils le conjurèrent de prendre la situation en main.
L'heure historique des Alaouites avait sonné. Les dynasties précédentes s'étaient hissées au pouvoir par la force des armes et de leurs allégeances tribales. Eux étaient conviés à monter sur le trône en raison de leur ascendant religieux."

Histoire des Alaouites [1970], Perrin, 1994, réimpr. 2001, p. 65-66
Jacques Benoist-Méchin (1901-1983)

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- Moulay Cherif ben Ali : 1631-1640

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Moulay Mohammed ben Cherif : 1640-1664

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- Moulay Er Rachid : 1664-1671

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- Moulay Ismaïl : 1671-1727

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- "Alors apparut sur la scène marocaine une des personnalités les plus fascinantes de son histoire, le Roi-Soleil d'un pays où le soleil brille d'un éclat particulier. On a souvent comparé Moulay Ismaïl à Louis XIV en raison de son goût du faste, de sa fureur de construire, de la longueur de son règne et des relations diplomatiques qu'il entretint avec la cour de Versailles. Mais serait-il plus juste de le comparer à Shah Jahan ou à Soliman le Magnifique, car la violence de son tempérament et ses réactions imprévisibles le rapprochaient davantage de ces grands conquérants que du fils de Louis XIII et d'Anne d'Autriche.

Dans l'histoire du Maroc, Moulay Ismaïl représente un sommet. À travers lui, toute l'énergie accumulée pendant des siècles dans les steppes du Tafilalet, explose comme un ouragan. S'il consacra vingt-six ans de son règne à réprimer les révoltes toujours récurrentes des Sanhaja, des Dilaï et des Aït-Atta - opérations au cours desquelles son armée, rentrant un jour de Marrakech, fut surprise et dispersée par une tempête de neige au col de Telouet (1679) -, cette activité guerrière lui permit de mener une foule d'autres tâches : création d'un vaste réseau routier, acquisition d'une flotte, renforcement de l'administration et réoganisation de l'armée. Ses déplacements étaient si rapides qu'il semblait posséder le don d'ubiquité. Étonnée de voir un seul homme paraître presque simultanément en tant d'endroits différents, la rumeur publique assura qu'il s'était rendu possesseur de l'anneau magique de Salomon et qu'il lui suffisait d'en tourner le chaton vers l'intérieur de sa main pour que les djinns accourussent de toutes parts pour se mettre à son service.

Bâtir était une de ses passions dominantes. On a calculé que, durant son règne, il a déplacé une masse de terre représentant huit fois le volume de la grande pyramide. De cette frénésie de constructions il nous reste le palais de Meknès, dont Moulay Ismaïl avait fait sa résidence.
C'est un ensemble cyclopéen d'une superficie de 475 000 mètres carrés, entouré de 42 kilomètres de remparts flanqués de bastions, à l'intérieur desquels se trouvent des bâtiments d'habitation, des jardins, des réservoirs d'eau, des greniers à blé et des écuries assez vastes pour contenir dix mille chevaux et soixante-dix mille cavaliers. Quant au palais lui-même, l'impression qui s'en dégage est celle d'une volonté de puissance proprement illimitée."

Histoire des Alaouites [1970], Perrin, 1994, réimpr. 2001, p. 70-71
Jacques Benoist-Méchin (1901-1983)

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Meknès, palais royal

 

- Moulay Ahmed Ed Dehbi  : 1727-1728

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- Moulay Abdelmalek : 1728-1729

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- Moulay Abdallah : 1729-1757

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- Sidi Mohammed : 1757-1790

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- Moulay Yezid : 1790-1792

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- Moulay Slimane : 1792-1822
mène une politique religieuse anti-confrérique après son adhésion au wahabisme

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- Moulay Abderrahmane : 1822-1859

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- Sidi Mohammed : 1859-1873

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- Moulay Hassan (Hassan 1er) : 1873-1894 m. lors expédition contre rebelles

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les trois sultans qui lui succèdent sont ses fils :

- Moulay Abdellaziz : 1894-1907 monte sur le trône à 14 ans

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- Moulay Hafid (frère du précédent) : 1907/1908 -1912
  confirmé par oulémas à Fez, le 3 janvier 1908
  c'est Moulay Hafid qui signe le traité de protectorat, le 30 mars 1912

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à gauche Si Kaddour ben Ghabrit

 

- Moulay Youssef  : 1912-1927
sultan depuis le 12 août 1912 (proclamé le 17 août à Fez)
mort le 17 novembre 1927
c'est lui qui inaugure la Mosquée de Paris en juillet 1926

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à gauche, à Paris en juillet 1926 ; à droite, en compagnie de Lyautey (derrière ce dernier, Si Kaddour ben Ghabrit)

 

- Sidi Mohammed Ben Youssef : 1927-1953/1961
déposé le 20 août 1953
retour le 16 novembre 1956
Roi sous le nom de Mohammed V le 15 août 1957
meurt le 26 février 1961

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- Hassan II : 1961-1999

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- Mohammed VI : 1999

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19 février 2007

Domination coloniale et administration - colloque (Samya El Mechat)

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Domination coloniale et administration

Samya EL MECHAT


Institut d’Histoire du temps présent
Groupe de recherche «Les administrations coloniales»

Appel à communications
Les propositions (titre de la contribution et bref résumé)
sont à envoyer avant le 10 avril 2007

- renseignements sur la journée d'études du 30 mars 2007


Journée d’études du 30 novembre 2007
_______________________________________________________
Colloque des 15-16-17 mai 2008


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Magaria. Les fêtes du 11 novembre 1955, la tribune dressée devant la case
du chef de canton - Niger
(source)


Présentation

Le rapport entre domination coloniale et administration est au cœur des problématiques qui fondent aujourd’hui les questionnements sur la colonisation. L’administration est à la base des processus constitutifs de l’hégémonie impériale des différentes puissances coloniales. La mise en place de structures et de logiques administratives qui permettent de souder les territoires coloniaux à la métropole répond à un souci prioritaire : le maintien de l’ordre colonial. En ce sens, l’administration assure les liens entre l’État colonial, les colons et les indigènes.
   
Dans toute forme de pouvoir colonial et/ou national, la «représentation» et la «mise en scène» du politique (P. Legendre), qui assurent le pouvoir du colonisateur sur le colonisé et qui suscitent l’acceptation ou la résistance du colonisé, trouvent leur expression dans l’administration.

Cette vision pose clairement la question de la capacité du pouvoir colonial à faire des choix et à les imposer, à gommer les différences en transposant les structures administratives et en monopolisant le pouvoir de décision ; et/ou de sa volonté de tenir compte des différences, des institutions existantes. Sous ces deux aspects, cette approche se nourrit de multiples interrogations :

- comment l’administration peut-elle perpétuer un système colonial et assurer sa cohérence ?

- comment peut-elle diriger une société ?

- comment l’administration a-t-elle associé dans un même mouvement une forme de centralisation et des modes d’administration tolérant l’expression d’un pouvoir local ?

- a-t-elle réussi à accommoder le «devoir de civilisation», et l’impératif d’ordre colonial, aux réalités locales ?
   
Cette réflexion sur les administrations coloniales, conduite sur un espace très large et dans une démarche comparative, permet de comprendre la logique, les contradictions et la complexité des systèmes coloniaux dans leur ensemble. Les comparaisons avec d’autres empires coloniaux et à l’intérieur d’un même empire, la manière dont des pays comme la France, l’Angleterre, l’Espagne (Maroc) ou l’Italie (Libye) ont conçu leurs administrations permettront de dégager les analogies, les symétries, voire les spécificités et les dissemblances.   

Après avoir consacré la première journée d’études du 30 mars 2007 à l’état et aux tendances de l’historiographie, aux structures et aux acteurs de l’administration coloniale, les thèmes retenus pour la deuxième journée d’études (30 novembre 2007) et le colloque (15-16-17 mai 2008) s’inspirent des orientations définies dans la précédente présentation d’ensemble du projet.


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en attendant l'administration, Sénégal colonial (source Caom, base Ulysse)


 

Journée d’études du 30 novembre 2007


Deux thèmes ont été retenus :

1 - Formation des élites administratives et des fonctionnaires coloniaux
L’étude des administrations coloniales ne peut se limiter à celle des pratiques administratives. S’impose ici non  seulement l’examen des stratégies administratives, mais aussi celui de la doctrine dont se réclament les institutions et les centres de formation.
Le rôle des administrateurs civils et militaires est dans la plupart des cas prégnant. Leur rôle a besoin d’être reconnu, établi d’autant plus nettement que le pouvoir colonial entend fonder sa puissance sur l’administration, notamment par l’appel à une centralisation accentuée dans le cas français. On mettra en perspective les orientations et les types de formation, leur évolution au fil du temps, les différents cadres institutionnels de formation : école coloniale, facultés de droit et de médecine, école d’administration implantée dans les territoires coloniaux.   


2 - Notabilités locales et autorités coloniales
La domination de l’État colonial est une réalité fluctuante, elle dépend de différents types de facteurs qui n’ont pas la même intensité. Elle peut donc susciter des résistances locales ou se heurter à des «forces» concurrentes. L’étude des notables citadins et/ou ruraux, religieux et lettrés dans leur rapport aux systèmes coloniaux, et celle du rôle de l’administration coloniale dans la consolidation ou l’affaiblissement des élites indigènes, sont à cet égard intéressantes.

Dans cette approche, deux orientations ont été retenues. La première consiste à s’interroger sur les stratégies du pouvoir colonial dans l’intégration ou le rejet des notables et à évaluer leur portée :
- comment a-t-on utilisé les notables pour asseoir la domination coloniale ?
- quel statut leur accorde-t-on ?
- comment ont-ils été associés au contrôle politique et social ?
- quels sont leurs liens avec les administrés ?

La deuxième orientation privilégie la réaction des notables, lettrés et citadins, au transfert de structures administratives, à l’application de lois et de normes édictées en métropole :
- quel sens ont-ils donné à cet appareil normatif ?
- comment ont-ils perçu la tentative de modernisation et d’adaptation des  structures d’encadrement et de commandement ?
- comment ont-ils perçu les contradictions et les ambiguïtés de la colonisation, associant le langage civilisateur à l’érosion, voire à la destruction des fondements des sociétés indigènes ?   

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Magaria, garde de cercle auprès de son cheval - Niger (source, Caom, base Ulysse)


 

Colloque des 15-16-17 mai 2008


Quatre axes ont été retenus :

- «Tout-État colonial» ou «compromis colonial» ?
Il est généralement admis que l’administration fournit à l’État les moyens de sa puissance. Elle est au cœur de l’État, c’est elle qui transmet et assure l’exécution de ses ordres. En ce qui concerne l’État colonial, la propension naturelle est de transposer des règles conçues pour la métropole, de mettre en place une administration omnipotente et un système d’encadrement et de contrôle social efficace.
L’objectif de cet axe est de saisir la manière dont les différentes administrations ont appliqué les conceptions coloniales, pour mieux repérer les dynamiques à l’œuvre à l’intérieur de chaque empire. Les administrations ont-elles opté pour une stratégie «totalisante» ou pour ce qu’on a appelé «le compromis colonial» ? De ce point de vue, la prise en compte des contraintes et des résistances, qui sont autant le fait des colons que des indigènes est nécessaire à la compréhension de l’action de l’administration.

- Les formes de la puissance étatique et les conditions de leur réception au niveau des sociétés colonisées
La recherche sur les administrations coloniales amène à prendre en compte la relation entre l’administration et les administrés. L’attention sera d’abord portée aux formes de l’administration (administration directe et/ou indirecte), avant de s’intéresser à sa traduction et à ses objectifs. Quel a été le rôle des structures administratives mises en place ? Quels sont les objectifs de l’administration coloniale, civile et/ou militaire (assimilation, subordination ou «conciliation» )? Quelle signification donner aux réformes du statut des personnes, du régime foncier, de la justice… ? Comment l’administration a-t-elle géré les différences ? Comment ces manifestations et transformations ont-elles été perçues et comprises par les indigènes ?

- Les paradoxes et les dérives de l’administration coloniale
Dans un cadre élargi aux autres puissances coloniales européennes (France, mais aussi Grande-Bretagne, Italie, Espagne), cet axe propose une réflexion sur les pouvoirs de l’administration et la fonction du droit. Depuis l’avènement de l’État moderne et son fondement démocratique, le droit, instrument de régulation des rapports sociaux, s’est fait le garant des libertés fondamentales et de l’égalité devant la loi accompagnée de toutes ses déclinaisons : égalité de traitement, égalité devant les charges publiques, dans l’accès aux emplois publics…

Or, la transposition de ce cadre juridique à un contexte colonial s’est faite généralement dans le déni des valeurs sur lesquels se fonde l’Etat démocratique et sur le refus aux peuples colonisés des droits individuels et politiques qui déterminent la citoyenneté. Il ne reste plus du droit transposé que la domination et la contrainte, les valeurs de la modernité assurant la promotion du sujet en citoyen, que sont la liberté et l’égalité, étant soigneusement évacuées. En dépit de la négation de ces principes, le droit transposé comme le droit colonial restent porteurs de contradictions. Celles-ci ont ouvert des possibilités de jeu avec les normes instituées dont ont pu parfois s’emparer les ressortissants des territoires coloniaux.

Le rôle du législateur dans l’organisation des territoires coloniaux est au cœur de cet axe. Quelle place accorde-t-il à la représentation des populations indigènes ? Comment joue-t-il de la différence entre citoyens et sujets ? Quel rôle politique assigne-t-il à ces deux catégories ? Les dérives de l’administration seront également évoquées : confusion des corps et des fonctions (administrateurs et juges, exercice de compétences législatives par les gouverneurs ou les résidents généraux), abus de pouvoir, discriminations, clientélisme, corruption. Sur ce dernier point, on se posera la question de savoir si l’administration coloniale a modifié les rapports entre les chefs indigènes et les populations.
Ce thème abordera enfin le rôle et l’action des institutions et des structures administratives de la métropole dans l’application des textes conçus en métropole et des législations spécifiques aux territoires colonisés, constituant ce qu’on a appelé le droit colonial.

- Transposition et pérennité des systèmes politiques, juridiques et administratifs
Cet axe permet de mettre en perspective le rôle de l’administration coloniale dans la construction de l’Etat moderne et post-colonial. Il en va ainsi du fonctionnariat, de la délimitation des frontières, des systèmes administratifs et juridiques calqués sur les concepts métropolitains. L’apport de l’histoire coloniale comparée à la connaissance générale des formations des «nouveaux États» ainsi que l’étude des interactions entre pouvoir colonial et organisation politique et administrative des Etats post-coloniaux seront privilégiés.

                                      Samya El Mechat


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résidence de M'Bout, chef-lieu de la subdivision de M'Bout, cercle de l'Assaba (source Caom)

 

Contacts :

Samya El  Mechat : s.mechat@wanadoo.fr
Anne-Marie Pathé : anne-marie.pathe@ihtp.cnrs.fr
Malika Rahal : rahal@ihtp.cnrs.fr

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19 janvier 2007

Militantisme algérien et franco-algérien en Algérie coloniale (Gilbert Meynier)

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Militantisme algérien et franco-algérien

en Algérie coloniale

Gilbert MEYNIER

 

GALLISSOT René (dir.), Algérie : Engagements sociaux et question nationale. De la colonisation à Gallissot_chez_les_Indig_nes_R_pl’indépendance de 1830 à 1962. Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier. Maghreb, Les Éditions de l’Atelier, Le Maitron, Paris, 2006, 605 p.


Voici le dernier né du «Maitron». Y ont collaboré une douzaine de chercheurs  autour de René Gallissot [photo ci-contre], qui en fut le maître d’œuvre et a rédigé la grande majorité des notices. Gallissot fait partie de ces savants modestes qui ont fureté quatre décennies durant dans l’histoire du Maghreb. Il est pourtant peu connu du grand public, cela en raison même de son ampleur de vues et de ses talents, qui ne le désignent pas précisément à occuper une place de vedette dans le système médiatico-rentier contemporain ; pas plus, par exemple, que le regretté historien-militant Abderrahim Taleb-Bendiab, qu’un Louis-Pierre Montoy, auteur de recherches approfondies sur le Constantinois, mais qui n’a jamais été publié, ou qu’un Jean-Louis Planche, qui, dans les années 1980, a publié sans bruit la douzaine de numéros de la revue Parcours, l’Algérie, les hommes et l’histoire, à laquelle l’auteur de ces lignes a collaboré, et dont plusieurs notices du «Gallissot» sont inspirées.

Et pourtant, toute l’œuvre de Gallissot fait de lui un expert en matière de mouvement ouvrier maghrébin et de militantisme national. En témoigne ce dernier né, auquel il a travaillé vingt ans durant. L’enquête, vaste, féconde et productive, a débouché sur ce bel instrument de travail érudit, enfermant pas moins de 471 notices biographiques de responsables, de militants et de dirigeants, une indispensable table des sigles et une non moins nécessaire chronologie, ainsi qu’une introduction fermement problématisée qui entremêle histoire du nationalisme, histoire sociale et réflexions sur le militantisme politique.

 

trois types d’itinéraires militants

Gallissot a conçu ce dictionnaire comme un carrefour de trois types d’itinéraires : celui de «la part européenne» d’Afrique du Nord, qui releva souvent de ce qu’il a ailleurs dénommé un «socialisme colonial», en tout cas un socialisme marqué de créolité ; cela même si - il le montre - elle put s’interpénétrer et s’aboucher avec l’itinéraire d’une autre «part», celle des «nationaux», nationaux qu’il ne réduit pas pour autant aux seuls nationalistes. Il y a enfin la «part», si historiquement productive, de «l’émigration-immigration». Le tout est surplombé au XXe siècle par la marche vers la nation algérienne : peu ou prou elle se réfère, volens nolens, à ces trois «parts». Il y a donc centralité de la question nationale, cela sans contradiction avec une centralité de la question sociale. En tout cas, on n’est plus, avec ce grand livre, seulement dans un «dictionnaire du mouvement ouvrier», sauf à énoncer en Algérie l’intrication substantielle du «mouvement ouvrier» avec le mouvement national : ce qui est à la fois plausible et inexact.

Dans nombre de cas, en effet, le militantisme ouvrier n’a pas débouché sur l’engagement nationaliste ; et il y eut bien des responsables du FLN à n’avoir été, ni dans le syndicalisme, ni dans des partis du mouvement ouvrier français et/ou algérien - la plupart, naturellement, passèrent par le PPA-MTLD. Il reste que, en Algérie, un mouvement ouvrier, un combat de classes, ne pouvaient pas ne pas se poser la question nationale : le colonialisme français y était à la fois expression du national français et volonté de mise en oeuvre d’un îlot capitaliste. Il reste que la grande majorité des notices que publie Gallissot parlent de gens qui, à un titre ou à un autre, et au moins à un moment de leur vie, ont été dans le système français en colonie, ou à sa marge, ou encore en réaction contre lui, comme syndicalistes, socialistes, communistes, étoilistes/PPA-MTLDistes, FLN…

On en jugera par le palmarès des gens les plus honorés par le dictionnaire en termes de nombre de pages : il est indicatif de valeurs, et aussi des choix finalement retenus. La palme échoit à Henri Curiel (10 pages) ; viennent ensuite Frantz Fanon (8 pages), Messali Hadj (6,5 pages), Henri Alleg, Maurice Laban et André Mandouze (6 pages), Charles-André Julien (5,5 pages), Idir Aïssat (5 pages), Mohamemd Harbi, Amar Ouzegane et Maurice Viollette (4,5 pages), François Chatelet, Gaston Donnat, Sadek Hadjeres et Max Marchand (4 pages), Abdelhamid Benzine, Mohammed Boudiaf, Émilie Busquant et Yacine Kateb (3,5 pages), 9561919René Justrabo et Victor Spielmann (>2 pages), Roger Garaudy (2 pages). Certes la documentation plus ou moins abondante peut expliquer, en partie, ces résultats. En tout état de cause, on aura perçu l’extrême variété - politique, religieuse, nationale…–  des humains nommés  à ce tableau d’honneur.

C’est avec joie qu’on voit la place assignée au peu connu, mais remarquable philosophe François Chatelet, à l’ancien maire communiste de Bel Abbès René Justrabo, à Émilie Busquant, qui n’est plus seulement reléguée à son seul rôle de compagne de Messali. (son origine ouvrière lorraine est bien notée, mais pas les ancrages anarcho-syndicalistes de son père, ouvrier aux hauts fourneaux de Neuves Maisons, au sud de Nancy. Pourtant, sur sa tombe, à Neuves Maisons, une seule mention : «Madame Messali»), ou encore à Victor Spielmann, dont les sympathies anarchistes sont, là, bien notées ; mais qui n’est pas mort en 1943, mais en 1938 : le chaykh Abdelhamid Ben Bâdis (mort en 1940) a rédigé pour lui dans son journal, Al Chihâb, une notice nécrologique émue et enthousiaste, rendant grâce à l’homme des éditions du Trait d’Union et ancien porte-plume de l’émir Khaled, où il l’appelle «l’ange gardien du peuple algérien». Autre libertaire originel, devenu un semi-officiel libéral proche de Lyautey, Victor Barrucand, dont l’historien désireux de comprendre l’Algérie du début du XXe siècle ne peut ignorer le journal, L’Akbar. En revanche, pour Spielmann, l’affirmation selon laquelle lui et son journal, Le Cri de l’Algérie, étaient plus anticapitalistes qu’anticolonialistes est à nuancer : les dénonciations inlassables du régime inique des communes mixtes coloniales, et ses accents de fraternité internationaliste qu’on y trouve ne relèvent pas seulement, à mon sens, du seul anticapitalisme.

Pour dire le vrai, l’auteur de ces lignes a été un peu troublé par la quasi absence de notices sur des militants libertaires/anarchistes, alors même que le journal Le Flambeau est sur le sujet un document important à dépouiller ; et que le mouvement ouvrier, du moins le socialisme colonial,  ne peuvent s’étudier sans lui. Sur un point précis, pourquoi une notice Barrucand, mais rien sur Paul Vigné d’Octon, qui fut pourtant nettement plus engagé ? Plus généralement, les anars, en Algérie, étaient, dans bien des sensibilités européennes, plus importants que ne l’indique le livre, même s’il est bien vrai qu’ils furent in fine secondarisés par le PCA, quand ils ne furent pas engloutis dans le colonio-colonial. Mais, avec honnêteté, René Gallisot m’a appris qu’il avait dû sacrifier les deux tiers de ses notices originelles pour cause de manque de place. À preuve, il m’a fait parvenir toutes les notices des Ripoll qu’il a enlevées - Ripoll fut le patronyme de nombreux militants anarchistes d’Algérie. Soit, mais le lecteur est en droit d’être mis au courant des raisons qui ont présidé aux choix terminaux. Et, avis aux jeunes chercheurs : on attend encore à ce jour la thèse qui fera le point sur l’anarchisme en Algérie et au Maghreb.

 

une réalité historique finalement plus large que le titre du livre

Il n’empêche : Gallissot fait connaître, ou mieux connaître des militants inconnus ou jusque là laissés dans l’ombre, ou au parcours atypique, comme des gens aussi différents que Gaston Donnat et Roger Garaudy. Et ce qui est dit dans son livre est bien dit et emporte la plupart du temps l’adhésion. On est heureux de voir souligné, par exemple, le fait que, chez Messali Hadj, les références à l’arabisme et à l’islam existaient bien avant sa rencontre avec Chekib Arslan, en Suisse, en 1935, qui a parfois été tenue pour fondamentale et initiatrice en la matière. En effet, Messali fut sans doute davantage influencé dès sa jeunesse pas un «milieu arabo-musulman très fervent» qu’il ne fut marqué par une condition ouvrière dans laquelle il ne vécut pas très durablement, au sein d’une ghurba très tôt marquée pour lui par la professionnalisation de la politique. Concernant Messali, j’ajouterai que la Darqawa était bien une «confrérie populaire en Oranie», mais bien aussi «populaire» pas son recrutement social et ses aspirations.

Ce qui, à mon sens, pourrait être étoffé dans nombre de notices, c’est le poids du communautarisme d’estampille musulmane de tels acteurs. Même chez un Benyoussef Ben Khedda, il y eut durablement9561919 méfiance communautariste, cela malgré telles de ses sympathies de jeunesse dans le scoutisme, les œuvres sociales et le dialogue islamo-chrétien. On comprend pourtant, même si ce trait n’est pas noté, que Ben Khedda ait été retenu pour le dictionnaire. Aït Ahmed aussi, même si son activité à l’assemblée nationale, au lendemain de l’indépendance, en faveur de l’autogestion, n’est pas relevée. Si, pour l’auteur, la question sociale est centrale, on saisit bien pourquoi un Hocine Zehouane, dont le rôle est signalé dans le redémarrage de l’UGTA en 1962, a droit à une notice.

Mais on comprend mal pourquoi Larbi Ben M’hidi a été retenu quand Rabah Bitat ne l’a pas été. Question de stature, sans doute. Mais, à notre connaissance, Ben M’hidi n’a jamais été ni ouvrier ni syndicaliste quand Bitat a, lui, connu la situation de salarié. Ou alors il aurait fallu mieux marquer le statut social d’où proviennent les gens retenus, ou le statut qu’ils se sont construit : salarié, Bitat fut néanmoins assez tôt un professionnel de la politique, tout comme Mourad Didouche, également absent du dictionnaire. Le passage à la CGT d’un commandant Si Mohammed (Djilali Bouanama) ou d’un colonel Si M’hamed (Ahmed Bouguerra) est bien noté pour le début de leur carrière. Soit. Mais alors, pourquoi n’avoir pas retenu le chef historique du FLN Mohammed Khider, issu originellement d’une petite élite syndicale ? Va pour le silence sur Ahmed Ben Bella et sur Belkacem Krim. En revanche, Boudiaf a droit à une notice de trois pages et demi. Pourquoi ? Serait-ce parce que, politiquement, il a été estimé mieux correspondre au faisceau de critères énoncés par René Gallissot, ou bien parce que sont en passant notées ses «aspirations sociales» ?

Bien sûr, aucun choix n’est jamais parfait, et la perfection n’existe qu’en Dieu si on y croit, ou dans sa propre configuration de valeurs si on n’y croit pas. Le choix de René Gallissot a été, finalement, de peindre, grâce à une vaste palette, une réalité historique finalement plus large que le titre de son livre ne le laisse présager. Il aurait pu finalement l’appeler Militantisme algérien et franco-algérien en Algérie coloniale. Le Gallissot fait notamment réfléchir sur les possibles de l’histoire algéro-française, où s’entrechoquèrent un terroir algérien profond et des vents de l’extérieur inaboutis, mais dans de telles contradictions qu’elles débouchèrent in fine sur la cruelle guerre algéro-française de 1954-1962, à la fois, côté français, guerre de reconquête nationale/coloniale, et côté algérien, guerre de décolonisation et de libération nationale. Pour terminer, un vœu : on aimerait que René Gallissot, sur le même sujet, livre une synthèse destinée à un plus large public : la somme ineffaçable qu’il a conçue et dirigée mérite d’être rendue abordable pour d’autres que les seuls familiers du «Maitron».

Gilbert Meynier

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