Réponse d'un «repentant» à un «non-repentant» (Pascal Blanchard)
Réponse d'un «repentant» à un
«non-repentant»
interview de Pascal Blanchard par Olivier Menouna
Dans Pour en finir avec la repentance coloniale (éd. Flammarion), Daniel Lefeuvre entend rétablir la vérité sur la colonisation. De «mensonges» en «lamentos compassionnels», les «Repentants» auraient falsifié la mémoire coloniale. L'historien Pascal Blanchard, spécialiste de la question, lui répond.
Africa International. - M. Lefeuvre vous fait «l’honneur» de vous classer en compagnies d’autres historiens dans le camps des «Repentants». Que cela vous inspire-t-il ?Pascal Blanchard. Quand on veut se fabriquer des ennemis, on leur attribue des qualificatifs qui renvoient à des choses qui n’existent pas. Cette méthode et [sic] bien connue des penseurs d’extrême-gauche et d’extrême-droite. C’est trop facile de citer quelques auteurs, pour englober ensuite sous le même qualificatif les centaines de chercheurs sur la mémoire collective. En fait, la notion de «repentance» est plutôt anglosaxonne. Il n’y a pas d’héritage de dette entre les colons et un blanc d’aujourd’hui. Je réprouve cela autant que le raisonnement d’un Africain qui exigerait des papiers français au nom d’un lien entre lui, l’histoire de son grand père colonisé et celle de la France. Je ne réponds donc pas aux critères de M. Lefeuvre qui construit, a posteriori, la vision d’une école de pensée pour arriver ainsi à construire une opposition de discours. C’est une manière de décrédibiliser les travaux. C’est ce qu’on fait quant on n’arrive pas à les contester sur le plan scientifique.
A. I. - Mais M. Lefeuvre prétend justement se baser sur des faits et des chiffres historiques précis et non sur des extrapolations ou des partis pris comme le feraient les «Repentants»…
P.B. 99 % de ses chiffres ne concernent que l’Algérie. C’est une manière assez curieuse de lire l’histoire que de prendre le cas extrêmement particulier qu’est l’Algérie qui était un département français, pour l’étendre à tout l’empire et prétendre ainsi qu’il y a eu des bienfaits. Car M. Leufeuvre [sic !] est bien plus explicite dans son ouvrage précédent, où il explique qu’il est un auteur «révisionniste», et que si la France n’était pas allée en Algérie, les «pauvres Algériens» seraient morts de faim. Par ailleurs, les chiffres, vous pouvez en faire ce que vous voulez à partir du moment où vous n’en prenez qu’une partie. C’est ce que fait Lefeuvre, avec peu de qualité d’ailleurs. Ses chiffres ont une valeur intrinsèque mais pas une valeur analytique. Dire qu’au moment des Trente Glorieuses l’immigration algérienne représentait moins de 1 % de la main-d’œuvre française, pour en conclure que la jeunesse française d’origine algérienne n’aurait pas de mémoire coloniale légitime, c’est aberrant ! Ce n’est pas parce que le pourcentage des Français morts dans les camps de la Shoah est faible que la célébration de la mémoire de la Shoah n’est pas légitime en France.
A.I. - Un tel livre ou du moins, avec un tel titre, aurait-il pu être publié par Flammarion il y a dix ans ?
P.B. Lefeuvre s’inscrit dans la mouvance du marketing du moment. C’est un mauvais livre avant tout, mais il tombait à un moment où les médias en avaient besoin, un an après les événements des banlieues, six mois après la loi du 23 février 2005. Il n’y a qu’à voir Le Figaro, qui a titré «On peut enfin être fier de la colonisation», sans même s’attarder sur le fond du livre.
A.I. - M. Lefeuvre critique le concept de «fracture coloniale» qui lie la situation actuelle des Français issus de l’immigration à celle de leurs ancêtres. Faut-il, comme il le préconise, tourner la page, afin qu’ils trouvent leur place dans la société au lieu de s’enfermer dans le sentiment d’être un «indigénat [sic !] de la République» ?
P.B. A-t-on tourné la page sur Napoléon ? Sur Jeanne d’Arc ? Les quatre siècles et demi de présence française en Afrique ont été rejetés à la périphérie de notre histoire. Le débat sur la colonisation émerge à peine en France ! Tourner la page, bien sûr, mais avant il faut faire acte de connaissance. La jeunesse française originaire des anciennes colonies doit avoir une identité commune avec la Nation et pour cela on doit laisser l’histoire s’écrire. Sinon ces jeunes vont s’inventer une identité mythologique et dans dix ans ce sera bien plus violent qu’aujourd’hui. C’est la connaissance de l’histoire qui fonde les valeurs de la République.
Africa international, n° 346, novembre-décembre 2006
- sur les "entrepreneurs d'idéologie fonctionnant à la médiatisation..." : voir, sur ce site, la lettre de Gilbert Meynier (5 février 2006) à Arte après la diffusion du documentaire Les trois couleurs de l'empire.