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études-coloniales
27 novembre 2012

Obsèques de M. de Raymond, commissaire de la République au Cambodge, le 1er novembre 1951

CA-51-25-R10
Obsèques de M. de Raymond, commissaire de la République au Cambodge, le 1er novembre 1951,
en présence du roi du Cambodge, M. Norodom Sihanouk, et du général d'armée de Lattre de Tassigny,
haut-commissaire de France en Indochine et commandant en chef en Indochine.

 

- à la suite de la publication des deux artiicles suivants sur notre site :

- http://etudescoloniales.canalblog.com/archives/2008/06/09/9515231.html (9 juin 2008)

- http://etudescoloniales.canalblog.com/archives/2009/01/20/12158265.html (9 janvier 2009)

Nous éditons la mise au point suivante :

 

__________________________

 

Mise au point

Les propos de la rubrique «Commentaires sur Indépendance du Cambodge. Histoire officielle, histoire secrète» ci-dessus [cf. articles référencés], exigent une mise au point devant des insinuations infondées et indignes.

Le Gouverneur Jean L. de Raymond, Commissaire de la République au Cambodge depuis mars 1949, a été assassiné le 29 octobre 1951 à l’Hôtel du Commissariat de la République par un domestique vietnamien engagé depuis un mois en remplacement d’un agent qui avait demandé son affectation à Saïgon.

Ce nouveau domestique  n’avait pas été soumis au contrôle de sécurité du Commissariat. Or il avait adhéré au Comité des démarches du Viet-Minh de Phnom Penh depuis février, avait reçu une formation politique en mars et était inscrit au Parti communiste depuis septembre.

Il s’associa un Chinois appartenant au même Parti, un autre Chinois et un boy vietnamien du Commissariat en vue d’effectuer l’attentat qui avait été décidé depuis plusieurs semaines par le chef de la Section de contrôle de ce Comité où il participa à une réunion le 28 octobre. Ce domestique vietnamien commit le crime le lendemain avec le Chinois pendant la sieste de Jean L. de Raymond et déroba des documents avant de rejoindre le Nord Vietnam.

Les meurtriers ont été condamnés à mort par contumace par le Tribunal militaire de Phnom Penh, et le complice vietnamien du Commissariat, à dix ans de travaux forcés et vingt ans d’interdiction de séjour. L’identité des terroristes, les interrogatoires de ceux qui furent arrêtés par la police, les messages du Viet-Minh interceptés et les documents saisis par les services de sécurité français  sont  conservés dans les fonds des Archives nationales.

Le Viet- Minh félicita «l’agent des cadres du Nambo» et donna l’instruction de ne pas divulguer l’information dans des zones dont les habitants «avaient quelque sympathie pour la politique khmérophile de M. de Raymond». Le meurtrier précisa qu’il n’avait pas agi par haine personnelle car «M. de Raymond  avait été un très bon maître, mais bien pour l’intérêt général et pour celui de la résistance ». L’assassinat aurait été «désapprouvé» par le Comité des cadres du Cambodge dont le chef, qui l’avait commandé, a été limogé.

Le Commissaire de la République s’était attiré la sympathie des Cambodgiens et celle des Indochinois avec qui il avait eu depuis longtemps à coopérer et à négocier, comme l’attestent de multiples témoignages. Cet attentat provoqua une grande émotion et «l’indignation unanime de tout le Royaume» selon les termes du Président du Conseil, notamment à Phnom Penh où le Commissaire de la République était très estimé et où sa bonté était connue, au point que sa confiance a été trompée.

Le roi Norodom Sihanouk pleura ; il rappela les «qualités de courtoisie et le sens élevé de l’humanité» dont  faisait preuve le gouverneur de Raymond qui était «un des rares Français ayant toujours su lui dire avec courtoisie, la vérité, ce qui a évité beaucoup de déboires au Cambodge», et il témoigna : «son nom est intimement lié à l’indépendance de mon Royaume dont il est un des artisans français». Le Souverain le cita à l’ordre du Cambodge. Il voulut même faire supprimer, en signe de deuil, les cérémonies traditionnelles du «Tang Tôc» et il fit annuler les réjouissances populaires organisées devant le Palais et au Phnom.

La  vie et l’œuvre du gouverneur Jean L. de Raymond, Mort pour la France, seront mieux connues grâce à sa biographie complète en préparation, qui en précisera les réalisations et présentera les témoignages utiles à l’histoire.

Jean-François de Raymond
fils de Jean L. de Raymond,
docteur d’État ès-lettres et sciences humaines,
professeur d’université honoraire, ancien diplomate
(novembre 2012)

 

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15 septembre 2012

l'art militaire de la France à l'extérieur

 RaczynskiAleksander

 

technologie et art militaire lors des opérations

extérieures de l’armée française

général Maurice FAIVRE

 

L'armée française a une expérience ancienne des guerres coloniales, des décolonisations et aujourd'hui des opérations extérieures. Il paraît donc intéressant de rappeler ce qu'ont été les technologies militaires mises en œuvre autrefois, de les comparer à celles mises en oeuvre actuellement, et de voir si certaines techniques anciennes sont encore utilisées ou ont été éliminées par le progrès scientifique. La conclusion soulignera l'influence de la technique sur la tactique et sur l'organisation des unités.

La monarchie française a possédé une Empire colonial, en particulier en Amérique du Nord, qu'elle a perdu lors du traité de Paris de 1763, et récupéré en partie en 1814 ; il n'est pas étudié dans cet exposé. Au XIXe siècle, la colonisation française se réfère à l'idéologie des Lumières, exprimée par Victor Hugo : «un peuple éclairé va trouver un peuple dans la nuit».

Cet exposé se limite aux conquêtes coloniales du XIXe siècle, aux décolonisations du XXe siècle et aux opérations extérieures qui ont commencé dans les années 1950 et se poursuivent au XXIe siècle.

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un zouave en Algérie
carte postale ancienne

 

Les conquêtes coloniales

La conquête de l'Algérie, de 1830 à 1849, se poursuit jusqu'en 1891 par l'occupation du Sahara. Des années 1840 aux années 1890, la colonisation française se développe en Afrique noire, en Tunisie, en Indochine et dans les océans Indien et Pacifique. Le protectorat du Maroc est établi en 1912, et des mandats sont confiés à la France après la guerre de 1914-18 (Togo, Cameroun, Liban et Syrie).

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fusil mokhala kabyle

L'Algérien Mohammed Harbi écrit que «l'armée d'Abd-el-Kader est vaincue par une armée supérieurement équipée». Contre la cavalerie algérienne, très mobile et agressive, des lignes de blockhaus sont édifiées en 1832 et 1840. Les fusils mokhala de fabrication locale, utilisés de façon désordonnée, sont inférieurs aux fusils français modèle 77 et surtout 1842 à percussion, et à la carabine rayée de 1837.

collection de fusils par alain gillot-05
fusil français 1842

À l'occasion de deux trêves, des accords secrets ont sans doute permis à l'émir de recevoir des armes modernes, mais il dispose de peu d'artillerie, et la poudre des munitions est de mauvaise qualité, alors que Bugeaud dispose du système d'artillerie Valée et des canons Gribeauval. Enfin Abd-el-Kader n'a pas de logistique organisée.

Un des procédés utilisés est celui de la razzia, qui prive l'ennemi de ses ressources alimentaires. Les colonnes mobiles de Bugeaud alternent le feu et le mouvement, et ses formations en losange désorganisent l'armée marocaine à la bataille de l'Isly. «La sauvagerie des indigènes, selon Daniel Rivet, rejaillit sur l'occupant par effet de contagion mimétique».

Le recrutement de soldats et de supplétifs locaux, l'utilisation de mulets pour le transport, et de dromadaires pour le combat en zone saharienne, renouvellent les procédés mis en œuvre par Bonaparte en Égypte. Des Bureaux arabes initient au progrès les populations.

transport de guerre Maroc 1907
transport de guerre pour la campagne du Maroc, 1907-1911

Sur le théâtre marocain en 1912, la supériorité de l'armement se confirme. Le fusil Lebel à tir rapide de 1886, le mousqueton de 1892, les mitrailleuses Hotchkiss, les canons de 65 et 75 mm réalisent des portées doubles de celles des armes antérieures.
Lyautey, à l'école des principes de Gallieni, progresse en tache d'huile en évitant les destructions, et en multipliant le recours aux goumiers et aux officiers des Affaires indigènes ; pour lui, quatre médecins valent quatre compagnies d'infanterie. En 1925, la guerre du Rif pilotée par le maréchal Pétain met en œuvre les blindés et l'aviation qui ont été expérimentés en 1917.

batterie de 75 Maroc
artillerie au Maroc, batterie de 75

En Afrique noire, les comptoirs côtiers sont protégés par des fortins en bois contre les incursions des potentats locaux qui disposent d'armes de traite modernes. Le général Faidherbe, ayant l'expérience de l'Algérie, est le pacificateur du Sénégal de 1854 à 1863. Il construit un fort à Médine, base avancée à 600 km à l'est pour les expéditions vers le Soudan. Il forme les unités d'élite des tirailleurs sénégalais et crée pour les enfants des notables une école des otages, destinée à former les futurs administrateurs.

Dans les années 1890, des expéditions pénètrent en profondeur jusqu'au Tchad et au Nil (Opérations Foureau-Lamy et  Marchand : en 1896, le colonel Marchand traverse l'Afrique d'Ouest en Est en passant par  Fachoda ; avec 150 soldats, il parcourt 7.500 km en deux ans et demi) ; leur logistique repose sur le recours aux pirogues et aux porteurs. À Madagascar en 1896, Gallieni applique les procédés de pacification qu'il a mis au point en Indochine.

Lors des guerres mondiales, les troupes indigènes, et en particulier les tabors marocains, deviennent des unités classiques disposant de toute la technologie moderne des armements d'infanterie.

figurines unités coloniales
tout à fait à gauche, thabor marocain

 

Contre-insurrection

Les guerres d'Indochine, d'Algérie, et les combats du Maroc et de Tunisie ont débuté par des insurrections nationalistes. Ce sont pour la France des guerres post-coloniales ou de décolonisation, pour les nationalistes des guerres de libération, d'indépendance et des révolutions politiques. Ayant duré de 7 à 9 ans, ces conflits asymétriques, où prédominent la guérilla et le terrorisme, sont dénommés à tort conflits de basse intensité, car des batailles de type classique ont été conduites sur la Route coloniale n°4, à Na San, à Dien-Bien-Phu, et sur la frontière tunisienne (bataille de Souk-Ahras).

Guerre d'Indochine

La guérilla du Vietminh débute en 1946 avec des armes livrées par les occupants japonais et par les service américains, avant d'être alimentée massivement par la Chine de Mao-Tse-Tung. Grâce à ce renforcement, la guérilla généralisée se transforme en corps de bataille de 125.000 hommes, contre lequel le Corps expéditionnaire français d'Extrême-Orient, composé de soldats de métier, de légionnaires et de troupes coloniales se trouve en infériorité numérique, dans un terrain difficile, où la forêt montagneuse, la brousse dense et les marécages constituent les deux-tiers du territoire. La montée en puissance d'unités autochtones, et l'armement de maquis dans les minorités montagnardes, contribuent au contrôle en surface, tandis que l'aide américaine permet peu à peu d'assurer le recomplètement des armes et des munitions.

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Corps expéditionnaire français d'Extrême-Orient

Dans cette guerre sans front, le commandement français réagit avec le maximum d'efficacité et résiste à la pression communiste en mettant en œuvre des moyens technologiques avancés :

- la recherche électromagnétique lui permet de suivre les grandes unités adverses et de suppléer à la carence du renseignement local ;

- la construction de tours et de points d'appui fortifiés assure la protection du delta tonkinois contre les incursions rebelles, grâce à l'appui d'une artillerie de position et d'intervention permanente et instantanée ;

- 18 groupements mobiles interarmes (dont 7 vietnamiens) ont pour mission de «casser du Viet», en bénéficiant de l'appui des blindés et de l'aviation (4 groupes de chasse et 4 de bombardement). 14 bataillons parachutistes motivés (dont 8 vietnamiens) effectuent 150 opérations aéroportées et mettent au point une doctrine d'emploi adaptée à la menace adverse ;

- le regroupement des populations contribue à la pacification et à l'action psychologique. Les hiérarchies parallèles du Vietminh sont mises en évidence.

Des formes non orthodoxes de combat participent à l'action : commandos d'action en profondeur, groupements amphibies équipés de crabes M29C et alligators LVT4, dinassauts [divisions navales d'assaut] d'action côtière et fluviale (2 LCM et 4 LCVP), bataillons légers vietnamiens, aviation légère d'observation d'artillerie, escadre d'hélicoptères (25 Hiller et 25 Westland en 1952 - 9.640 évacuations soit deux tiers des blessés), lucioles d'éclairage nocturne, réseau de transmissions performant, groupe d'exploitation de l'Intendance, recours accru au personnel féminin (4.200 radios, plieuses et ambulancières).

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évacuation sanitaire dans le camp retranché de Na-San, 1952

Le système des bases de manœuvre permet de fixer et détruire les grandes unités ennemies ; c'est un succès à Na San qui est évacué par surprise, mais un échec à Dien-Bien-Phu où 60.000 vietminh, ravitaillés par des milliers de coolies en bicyclette, et par camions chinois, grignotent la position tenue par 15.000 combattants, grâce à des travaux de tranchées et de sapes. Son artillerie enterrée en contre-pente (11 batteries de 105) interdit le terrain d'aviation et contrebat l'artillerie française. Les pertes sont très lourdes pour les deux camps.

 

Guerre d'Algérie

Après une première tentative de soulèvement, le 8 mai 1945, écrasée brutalement, les nationalistes algériens, initialement divisés et minoritaires, disposant d'armes anciennes et dépareillées (fusils Mauser et Stati, FM Bren), n'entraînent pas derrière eux la majorité du peuple algérien. Ils suppléent à cette faiblesse en employant conjointement la propagande identitaire et la brutalité du terrorisme aveugle, des mutilations corporelles, et l'organisation politico-administrative des villageois, chargés d'actions de sabotages.

Ils organisent en même temps le trafic d'armes obtenues dans les pays arabes et socialistes, et acheminées par les frontières de Tunisie et du Maroc. Organisant alors leur implantation dans les campagnes (Congrès de la Soummam), ils décident en 1956 d'installer le terrorisme urbain en ville d'Alger. Ils perdent successivement trois batailles, le 20 août 1955 dans le Constantinois, en 1957 la bataille d'Alger, et en avril 1958 la bataille des frontières.

Ils décident alors de transférer l'action terroriste en France, et d'agir par le canal de la diplomatie à l'ONU, dans les pays socialistes et dans le Tiers monde. Ils mettent enfin sur pied une armée des frontières en Tunisie et au Maroc, organisée de façon régulière et disposant de mitrailleuses MG 34 et 42, et d'artillerie (canons de 75 et de 105 sans recul, mortiers de 120) ; après son échec de 1958, cette armée bien équipée se contente de harceler les barrages.

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ALN, armée des frontières, en Tunisie, 1962

Les réactions du pouvoir français sont d'abord de renforcer les effectifs en faisant appel à la conscription et au recrutement de nombreux supplétifs. Deux systèmes de forces sont alors constitués :

- 75 Secteurs qui quadrillent le territoire et protègent la population (5.000 postes pas toujours confortables) ;

– trois divisions de réserve générale, à base de parachutistes et de tirailleurs musulmans, qui, dans de grandes opérations de nomadisation, balaient le territoire d'Ouest en Est en détruisant les maquis algériens.

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piton 517, une batterie d’artillerie en appui d’une opération dans la vallée, grande Kabylie (source)

Simultanément, l'édification de barrages frontaliers, minés, électrifiés et surveillés par un système de radars-canons, asphyxient peu à peu la rébellion intérieure. 20 batiments de la marine surveillent la mer et saisissent les bateaux de ravitaillement.
Quant à la lutte contre le terrorisme urbain, elle est conduite d'abord par l'emploi de sévices. «Certains, pendant la bataille d'Alger en particulier, ont été confrontés à un dilemme : se salir les mains en interrogeant durement de vrais coupables, ou accepter la mort certaine d'innocents. S'il y eut des dérives, elles furent marginales» (Livre blanc de l'armée française, 2002) lors des interrogatoires, dans un deuxième temps par la pénétration des réseaux terroristes. L'intoxication des chefs rebelles se traduit par le massacre de centaines de faux traîtres (bleuïte).

Le commandement français a peu à peu réorganisé 20 divisions, qui à l'exception des unités rapatriées d'Indochine, n'étaient pas préparées à la contre-guérilla. Les matériels sont alors modernisés : fusils Garant remplacés par le Mas 36 puis le Mas 49/56 semi-automatique et lance-grenade.

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pistolet-mitrailleur Mat 49 ("Mat 49" signifie : manufacture d'armes de Tulle, 1949)


Sont peu à peu mis en place : le pistolet-mitrailleur Mat 49 et la mitrailleuse AA52, les mortiers de 60 et 81 au niveau compagnie et bataillon, les canons sans recul et les obusiers de 105HM2 et TF50, les postes radios TRPP8, ANGRC10 et C9, les chars Chaffee M24 puis AMX13. Trois cents automitrailleuses AMM8, achetées en 1956, sont complétées par les Engins blindés de reconnaissance Panhard.

Les camions GMC sont blindés, puis remplacés par des Simca 4X4 et des Berliet GBC, aménagés pour un débarquement rapide. Les tenues de combat allégées favorisent la mobilité, les rations de combat sont généralisées. Le soutien logistique est porté à 13 kg par homme-jour. Le ravitaillement en munitions est abondant (40.000 obus par mois).

L'effort le plus important concerne les moyens aériens qui comptent 900 avions et 400 hélicoptères. L'aviation légère de l'armée de terre est mise sur pied aux côtés de l'armée de l'Air et de l'Aéronavale. 25% des appareils sont des avions d'appui T6, complétés ensuite par les T28 Fennec. Les autres appareils sont des Corsair de la marine, des chasseurs Skyraider et des bombardiers B26.

L'emploi du napalm est autorisé sur les groupes armés. Les hélicoptères lourds comptent 55 Banane H21 et 120 Mammouth H34 ou HSS (certains, appelés Pirates, sont armés d'un canon de 20 ; d'autres sont équipés de missiles SS1 et spécialisés dans l'attaque des grottes). La doctrine d'emploi des Détachements d'intervention hélicoptères (DIH) est mise au point, en même temps que la coopération Air-Terre est assurée par l'organisation de 3 Groupements tactiques, de PC Air directeurs et de PC volants. En 1955, les Alouette II médicalisées sont complétées par les Vertol et les Mamouth ; on compte 30 minutes pour les évacuations sanitaires, plus 30 minutes pour l'hospitalisation.

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impact sur le sol de bidons de napalm lâchés par un B-26 du GB 2/91 durant la guerre d'Algérie.
Le B-26 pouvait emporter sous ses plans quatre bidons de napalm qu'il ne fallait pas larguer de trop haut,
les bidons ayant de très mauvaises qualités balistiques et le tir n'étant pas précis (source)

Comme en Indochine, la source principale du renseignement est constituée par la recherche électromagnétique. Les postes radios ennemis sont localisés par goniométrie et homing, ou soumis à des intrusions.

Le général Challe puis Crépin décident de supprimer les postes HF de l'ennemi. La surveillance aérienne relève les traces menant vers les postes de commandement insurgé (méthode Lanlignel). De nombreux organismes participent successivement à la centralisation des renseignements : Service des liaisons nord-africaines – Sécurité du territoire – Deuxième Bureau - Système Renseignement-Action-Protection, devenu Centre de Coordination interarmées – Centres de renseignement et d'action – Bureau études et liaisons – Service technique de recherche opérationnelle – Mission choc (en 1962).

Des formations de combat spécialisées (cavaliers, méharistes, gendarmes, supplétifs, commandos) font face à toutes les formes de menace (maxima atteints) :

- 3 régiments de cavalerie et 5 compagnies muletières (au total 2.500 chevaux et 2.000 mulets) ;

- 434 brigades de gendarmerie départementale et 71 Escadrons de gendarmerie mobile ;

- les Services de sécurité (SSNA), dont 40 compagnies républicaines de sécurité( CRS) ;

- 75 commandos de chasse chargés de marquer les unités rebelles ;

- 2.000 autodéfenses de villages, confiées aux anciens combattants de 1945 ;

- 4 trains blindés ;

- 700 maghzens de protection des officiers SAS qui administrent les communes ;

- 110 Groupes mobiles de sécurité et 800 harkas ;

- 5 compagnies méharistes (montées sur dromadaire), et 9 compagnies sahariennes portées, ;

- 2 détachements secrets d'infiltration au Maroc et en Tunisie.

L'armée conduit en même temps des actions civilo-militaires de pacification par le canal des officiers SAS, des équipes médico-sociales itinérantes, de l'assistance médicale gratuite, des instituteurs militaires, des Comités de salut public, du Service de formation de la jeunesse, des Procureurs militaires de Secteur, du regroupement des populations (2 millions de personnes), des campagnes d'action psychologique (compagnies de haut-parleurs).

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782e Compagnie d'écoutes et de radio goniométrie, Algérie 1957 (source)

 

Opérations extérieures.

Dès 1948, l'armée française a participé à une mission d’observation en Palestine, qui a été suivie d'une quarantaine de missions de maintien de la paix ou d’interposition, réalisées avec l’accord des parties au conflit. Certaines missions sont des initiatives françaises (Cameroun, Tchad, Congo, Calédonie, Côte d’Ivoire), d’autres sont commanditées par l’ONU.

Depuis la fin de la Guerre froide (1989), les OPEX se sont intensifiées et ont eu recours à des spécialistes civils et à une composante policière. L’ONU a pris en charge des États en décomposition en vue de les reconstruire, avant d’être relayée par l’OTAN, puis par l’Union européenne. Ce fut le cas lors de la guerre du Golfe de septembre 1990 à janvier 1991, où la division Daguet comptait 13.000 Français. Ensuite les OPEX ont engagé 8.000 hommes dans les années 1990, elles ont atteint 13.000 soldats français en 2008, et ont été réduites à 9.500 en 2010. En novembre 2007, l'opération EUFOR au Tchad, dirigée par un général Irlandais, comprend des unités polonaises, autrichiennes, suédoises et néerlandaises.

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en Afghanistan

Les OPEX conduites par la France ne peuvent pas être toutes mentionnées dans cet exposé, qui se limitera à une analyse thématique des technologies particulières mises en action. Une observation majeure réside dans le fait que l'État-Major américain se réfère à la doctrine mise au point par des officiers français qui ont servi en Indochine et en Algérie. Il s'agit des colonels Roger Trinquier et David Galula, et de leurs inspirateurs Gallieni et Lyautey.

Considéré comme le Clausewitz de la contre-insurrection, le lieutenant-colonel Galula a observé les révolutions chinoise, grecque et algérienne. Il en tire un plan de lutte en 8 étapes, qui est essentiellement une politique de prise en main des populations, et n'aborde les conditions militaires que sous l'angle de la supériorité des forces ; il préconise une progression en tache d'huile, par l'occupation progressive de tous les villages, ce qui à l'évidence n'a pas été la solution retenue en Afghanistan. Le colonel Trinquier en revanche préconise de porter la guerre chez l'ennemi en spécialisant des commandos supérieurement armés, et en regroupant les populations hors des zones-refuges des insurgés.

Parmi les procédés de supériorité militaire, l'action aérienne tient la première place. On lui doit la destruction d'unités insurgées en Mauritanie, en Côte d'Ivoire, et en Afghanistan, grâce à d'étroites liaisons Air-terre, mais au prix de dégats collatéraux sur les populations. Des succès stratégiques ont été obtenus en Serbie (1995), au Kossovo (1999) et en Libye.

Cette opération de Libye, conduite en 2011 sans engagement au sol, est tout à fait remarquable par la rapidité de l'intervention, par la coordination interarmées et interalliée, et par son soutien logistique à longue distance. Des conseillers des Services spéciaux sont intervenus en Côte d'Ivoire, Somalie, Libye, Afghanistan et Sahara. Les armements les plus modernes ont prouvé leur capacité ; c'est le cas du porte-avion nucléaire, du bâtiment de projection et de commandement, des avions Rafale et Mirage qui ont fait 5.600 sorties et détruit 1.000 objectifs, des hélicoptères qui en vol de nuit ont opéré 600 destructions (30 sorties de 3 à 12 hélicoptères : en général 2 Puma, 4 Gazelle et 2 Tigre), des drônes Male et Harfang, des missiles de croisière et modulaires, de la nacelle de reconnaissance aérienne, des hélicoptères Cougar et Caracal.

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avion de combat Rafale

En Afghanistan, un effort particulier a été porté sur la protection des combattants au sol, qui bénéficient d'un appui aérien immédiat, se réfugient dans des bases opérationnelles avancées (FOB), et sont revêtus de l'équipement Félin à liaisons intégrées.

La protection contre les engins explosifs improvisés (EEI ou Improvised Explosive D) est assuré par des robots de détection et des véhicules d'ouverture de route Buffalo et Arcadis ; il fait l'objet d'un plan d'action auquel participent plusieurs nations alliées.

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prise en charge d'un blessé afghan, 2010 (source)

Les délais d'évacuation sanitaire vers l'hopital français de Kaboul sont estimées à deux heures (88 tués et 685 blessés depuis 2001). Après le retrait en 2012 des «unités combattantes» (sic), décidé en contradiction avec les plans alliés, il restera en Afghanistan les instructeurs et moniteurs de l'armée afghane (650 hommes des opérations Epidote et Operationnal Mentor Liaison Team).

Les opérations extérieures sont l'occasion de vérifier la fiabilité des équipements. Ainsi sont expérimentés les camions équipés du système d'artillerie CAESAR (155 mm, portée de 40 à 50 km, rapidité de mise en batterie et du calcul de tir, mobilité et précision), les véhicules à haute mobilité, les petits véhicules protégés, les véhicules blindés de combat d'infanterie, le lance-roquette unitaire. Par rapport aux activités du temps de paix, tout cela représente un surcoût, qui est estimé de 60.000 à 100.000 euros par homme et par an selon le territoire considéré.

La participation à ces opérations ne s'improvise pas. C'est ainsi que les unités pour l'Afghanistan sont mises en condition avant projection (MCP) au cours d'un stage de 4 à 6 mois, suivi d'un exercice de vérification de 3 semaines en camp de manœuvre. Un memento du chef de section en contre-rébellion est distribué aux sous-offciers.

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Au retour, un SAS de décompression de 3 jours a lieu dans un hôtel de Chypre. Un Groupement interarmées des affaires civilo-militaires, de 100 personnels et 400 stagiaires, a été créé à Lyon. Une cellule d'intervention et de soutien psychologique se préoccupe de sensibiliser les personnels au stress opérationnel. Enfin, une cellule d'aide aux blessés (CABAT) a été constituée, ainsi qu'une Association de Solidarité Défense présidée par l'amiral Lanxade.

Certaines missions ont un caractère humanitaire. C'est le cas de l'Élément médical militaire d'intervention rapide (EMMIR) qui a été dénommé Bioforce et est intervenu en Haïti en 2010. Ce sont aussi les unités de protection civile, engagées lors des catastrophes naturelles.

 

Influence des technologies sur les opérations
et les formations

L'évolution des opérations évoquées permet de retenir les enseignements suivants :

- la supériorité et la modernisation des armes de contre-insurrection est une réalité, depuis les armes à percussion du XIXe siècle, aux canons et aux aéronefs du XXe siècle, contre lesquels les insurgés réagissent par la guérilla, le terrorisme, la dispersion et les explosifs improvisés. Il leur arrive cependant d'atteindre le niveau du combat classique (Indochine,  frontière tunisienne, Libye). Des armes surpuissantes sont utilisées, selon le principe de versatilité : qui peut le plus peut le moins.

- la fortification des bases d'opération est constante, du Sénégal à l'Indochine et à l'Afghanistan. L'exposition Eurosatory en juin 2012 a mis l'accent sur la protection. Une protection excessive (gilets pare-balles) limite cependant la mobilité et impose une motorisation accrue des unités ; le moteur a remplacé le cheval. Des véhicules adaptés sont mis au point (Sherpa light de Renault Trucks Défense) ;

- l'arme aérienne apporte un surcroit de puissance et de réactivité. En Indochine, elle facilite l'observation d'artillerie et contribue à la destruction des unités insurgées, mais se trouve en limite de portée. En Algérie, elle est en concurrence avec la précision et la souplesse des hélicoptères, lesquels remplacent le parachutage. En Afghanistan et en Libye, les drones de différents types (armés, logistiques, détecteurs d'IED) sont expérimentés ;

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le Ventura, affecté à l'Extrême-Orient comme avion de liaison
personnel du Haut-commissaire en Indochine (l'Amiral Thierry d'Argenlieu)

(source)

- les performances des armes influent sur la tactique des unités, telles que la formation en losange de Bugeaud, la progression en tache d'huile, l'infiltration des commandos, le recours au recrutement autochtone ;

- les techniques d'information provoquent une nouvelle révolution de l'art militaire. La radio est utilisée pour la propagande, les écoutes, les liaisons interarmes à longue distance et les émissions brèves. Les radars localisent les mouvements ennemis. L'informatique génère les munitions intelligentes, la numérisation de l'espace de bataille,  les liaisons par internet, et la robotisation (Félin) ;

- les actions civilo-militaires n'ont cessé de se développer, depuis les Bureaux arabes et les SAS, l'assistance médicale gratuite, les hiérarchies parallèles et le regroupement des populations en Indochine et Algérie jusqu'aux moniteurs de formation en Afghanistan et aux cellules de soutien psychologique et de solidarité.

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"l'autoroute de la mort", Koweit-Irak, guerre du Golfe, 1991

Il semble  enfin que la technologie joue un rôle négatif sur l'opinion publique. Les frappes chirurgicales à distance de sécurité, les appareils sans pilote et le télé-traitement médical persuadent l'opinion que la guerre est devenue idéale, courte et propre. Le mythe du zéro mort dévalorise la vocation militaire, il réduit le fossé entre les civils et les soldats, lesquels ne sont plus que des techniciens exerçant un métier à risque.

général Maurice Faivre

 

 

Bibliographie sommaire

ANOCR, Amiraux Guillaud et Ausseur, Général Rozeau, Ing. Gal Torrès.

Aspect humain des opérations extérieures, 2012.

ARMEES d'aujourd'hui, Généraux Irastorza, Sorret et Carmonat, colonel Chauvancy.

Dossier Harmattan, février 2012.

ASAF, Armée et Algérie 1830- 1962, juin 2012.

BARTHES, lieutenant, Journal de marche au 21°Rima, 2009.

BEAUFRE André, général, La guerre révolutionnaire, les formes nouvelles de la guerre, Fayard, 1972.

BOUCHE Denise, Histoire de la colonisation française, Fayard 1991.

BRISSET Jean-Vincent, Manuel de l'outil militaire, A. Colin, 2012.

CADEAU, capitaine, La guerre d'Indochine et la genèse du rapport Ely, SHD, 2011.

Casoar, Dossier Algérie, juillet 2012.

COCHET François, Armes de guerre, XIXe-XXe siècle, Mythes, symboles, réalités, CNRS, 2012, 320 pages.

DELAFOSSE François, Historique du secours héliporté, La Cohorte mai 2012.

ELY Paul, général, Les enseignements de la guerre d'Indochine, 1945-1954, SHD 2011.

FAIVRE Maurice, Le renseignement dans la guerre d'Algérie, Lavauzelle, 2006.

FLEURY, Jean, général, La nouvelle donne géopolitique, Picollec, 2012.

FREMEAUX Jacques, La France et l'Algérie en guerre, Economica, 2002.

9782717845662

FORGET Michel, Guerre froide et guerre d'Algérie, Economica 2002.

GALULA David, Contre-insurrection, théorie et pratique, Praeger 1964, Economica 2008.

HARBI Mohammed, La guerre commence en Algérie, Complexe, 1981.

ISC, Insurrection et contre-insurrection, Stratégique, juin 2012.

MATHIAS Gregor, David Galula, combattant, espion, maître à penser de la guerre contre-révolutionnaire, Economica 2012.

MEDARD Frederic, Technique et logistique en guerre d'Algérie , Lavauzelle, 2002.

MUELLE Raymond, Cdt, Services spéciaux, GCMA Indochine, Edit. Crépin-Leblond, 1992.

NATO, Plan d'action anti-IED, Wikipedia, mai 2012.

RICHARDOT Philippe, Les chemins de la tactique. Des origines à nos jours. CLIP, 2011, 368 pages.

RIVET Daniel, Le Maghreb à l'épreuve de la colonisation, Hachette, 2002.

ROUDIER Philippe, Duel d'artillerie à Dien-Bien-Phu, le Casoar, avril 2012.

Theatrum Belli, Kadhafi et Gbagbo tombent à l'eau, mars 2012.

TRINQUIER Roger, La guerre moderne, Table ronde 1961, Economica, 2007.

TOURRET Hubert, Lt colonel, Arme blindée en Indochine, UNABC, 1988.

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Illustrations

1) Poste fortifié en Indochine.
Construit selon les règles de l'art, ce poste de 60 hommes peut résister plusieurs heures à une attaque, jusqu'à l'intervention d'un groupement mobile et de feux aériens et d'artillerie.

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2) Manoeuvre d'interception sur le barrage algéro-tunisien.
Le barrage frontalier présente les caractéristiques suivantes : - l'électrification permet de localiser immédiatement un franchissement – 5 régiments blindés patrouillent jour et nuit sur la herse – 5 régiments paras sont en attente pour intervenir sur un groupe ayant franchi le barrage.

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3) Porte-avion nucléaire, avions Rafale et batiment de projection et de commandement (BPC).
Les avions Rafale sont prêts à décoller du porte-avion nucléaire. Les hélicoptères d'attaque sont en attente sur le BPC.

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4) Memento du chef de groupe et de section en opération en Afghanistan.
Ce memento est distribué aux officiers et sous-officiers avant le départ en Afghanistan.

Memento

 

Biographie du général (2S) Maurice Faivre

Saint-Cyrien de la promotion Rhin et Danube (1947-49), Maurice Faivre a servi 5 ans en Algérie, a commandé le 13ème régiment de dragons parachutistes, puis les 2ème Bureaux des Forces françaises en Allemagne, et de la 1ère Armée à Strasbourg.

Docteur en science politique, il est vice-président de la Commission française d’Histoire militaire et membre de l’Académie des Sciences d’outre-mer.

Outre sa thèse sur les nations armées, il a publié neuf ouvrages sur la guerre d’Algérie, dont les Combattants musulmans, les archives inédites, Conflits d’autorité, le général Ely, le renseignement dans la guerre d’Algérie, l’action sociale de l’armée de 1830 à 2006, et la Croix-Rouge pendant la Guerre d’Algérie. Il a participé à huit ouvrages collectifs et publié des dizaines d’articles historiques.

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général Maurice Faivre

 

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11 avril 2012

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Benjamin Stora: "La France et l'Algérie

devraient respecter tous les morts"

 

[Benjamin Stora nous a fait remarquer le déséquilibre instauré sur Études Coloniales entre les points de vue favorables à son film La Déchirure et les critiques de ce documentaire (dominantes). Il a raison. Mais il faut dire que les éloges n'ont pas manqué ailleurs dans la presse et que celle-ci a très peu relayé les critiques. Dans un souci d'objectivité, nous relayons ces appréciations favorables. Études Coloniales]

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Propos recueillis par Emmanuel Hecht, publié le 18 mars 2012 à 10:04
L'Express

Historien, homme engagé, Benjamin Stora, 61 ans, est sans doute le meilleur spécialiste de l'histoire contemporaine de l'Algérie, sa terre natale. Scénariste de Guerre d'Algérie, La Déchirure, remarquable documentaire réalisé par Gabriel Le Bomin, il revient sur ce que fut la tragédie algérienne, son oubli et son retour dans les mémoires. De part et d'autre de la Méditerranée. 

Benjamin Stora, scénariste de Guerre d'Algérie, la déchirure, remarquable documentaire réalisé par Gabriel Le Bomin, revient sur ce que fut la tragédie algérienne, son oubli et son retour dans les mémoires.  

Aucune manifestation officielle n'est prévue en France pour commémorer la fin de la guerre d'Algérie. Certes, il s'agit d'une défaite, mais ne pouvait-on pas espérer une phrase, un geste, en guise d'apaisement ?

On est toujours dans la guerre des mémoires, où chaque camp dit : "Ma souffrance est supérieure à la vôtre, mes morts sont plus nombreux." Cinquante ans après la fin de la guerre, il serait temps d'en finir avec cette logique mémorielle communautaire. Je souhaiterais que la France et l'Algérie respectent toutes les victimes : Algériens, harkis, immigrés, pieds-noirs, appelés. Ne serait-ce que par considération pour les morts.

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Vous venez d'écrire le scénario de Guerre d'Algérie, La Déchirure. En revisitant cette période, avez-vous eu le sentiment qu'on n'en parle plus de la même façon aujourd'hui ?

Lorsque j'étais étudiant à Nanterre au début des années 1970, on n'en parlait pas du tout ! La société française avait tourné la page. C'est René Rémond qui m'a suggéré de travailler sur le sujet. Il m'a présenté au grand spécialiste d'alors, l'historien Charles-Robert Ageron. C'est sous sa direction que j'ai rédigé ma thèse sur Messali Hadj (1898-1974), le pionnier du nationalisme algérien.

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Vous imaginez... Non seulement l'Algérie n'intéressait personne, mais encore moins le nationalisme, à une époque où les sujets à la mode tournaient autour du socialisme, du mouvement ouvrier, de la lutte des classes... D'ailleurs, j'étais son seul étudiant. Je dois beaucoup à Ageron. Il m'a tout appris du métier d'historien : le bon usage des sources, l'esprit critique, la méfiance à l'égard de l'idéologie. Le tiers-mondisme était très bien porté à l'époque et je militais depuis l'âge de 18 ans dans un mouvement trotskiste, que j'ai quitté quelques années après ma soutenance de thèse en 1978. 

À quelle date commence-t-on à reparler de l'Algérie ?

On sort du silence - et pour le chercheur, de la solitude... - en octobre 1988, avec les émeutes d'Alger, qui feront près de 500 morts. Une foule de questions sont alors posées. Comment les Algériens en sont-ils arrivés là ? Comment expliquer cette violence ? Y a-t-il un rapport avec la première guerre d'Algérie ? Ces événements engendrent un retour de mémoire. Les journalistes s'y intéressent, puis des chercheurs.  

Le temps passant, je suis de plus en plusfrappé par la grande violence de cette guerre 

Mais le grand tournant date de 1992 - moment de l'interruption du processus électoral en Algérie et début d'une terrible lutte entre l'Etat et les islamistes - et du trentième anniversaire de l'indépendance. Les archives françaises sont rendues publiques.

Ce matériau extraordinaire alimente les nombreuses thèses sur les appelés, les harkis, la torture... auxquelles s'attelle une nouvelle génération de chercheurs, plus distante, moins impliquée affectivement. L'année 2002 constitue une autre date marquante. Pour la première fois, un ex-officier supérieur, le général Aussaresses, reconnaît la pratique de la torture. Cet aveu va créer le scandale et l'étonnement. Du côté algérien, les témoignages sur la guerre se multiplient : pas moins de 300 ouvrages sont publiés entre 1995 et 2010. 

Dans les années 2000, également, le cinéma et la littérature s'emparent de l'Algérie...

On assiste en effet à un basculement dans la fiction cinématographique et littéraire. De mémoire, je citerai un certain nombre de ces films sortis dans ces années-là : Mon colonel, de Laurent Herbiet, L'Ennemi intime, de Florent Emilio Siri, La Trahison, de Philippe Faucon, Hors-la-loi, de Rachid Bouchareb, Nuit noire, d'Alain Tasma, sur le 17 octobre 1961, Vivre au paradis, de Bourlem Guerdjou, Sous les pieds des femmes, de Rachida Krim, etc. De jeunes romanciers s'emparent, eux aussi, du sujet : Jérôme Ferrari (Où j'ai laissé mon âme), Laurent Mauvignier (Des hommes), jusqu'au dernier Goncourt, Alexis Jenni (L'Art français de la guerre). Cette profusion par la fiction donne à la guerre d'Algérie une autre dimension.

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Avec le recul, pensez-vous que la meilleure formule pour résumer cette période est La Tragédie algérienne, le titre du livre de Raymond Aron, publié en 1957 et qui provoqua l'ire - et les insultes - de la droite ?

Oui, c'est une tragédie. Le temps passant, je suis de plus en plus frappé par la grande violence de cette guerre. Même si le bilan des victimes est toujours difficile à établir et sujet à polémique, on peut rappeler que de 350 000 à 400 000 civils algériens sont morts, soit 3 % des 9 millions d'habitants algériens : un pourcentage identique à celui des morts de la Grande Guerre de 1914-1918 ; que 1,5 million de paysans algériens ont été déplacés au prix d'un bouleversement total du paysage agricole.
On doit y ajouter de 15 000 à 30 000 harkis, 30 000 soldats français, 4 500 pieds-noirs tués et les 800 000 d'entre eux déplacés en métropole... 

Il faut bien avoir à l'esprit qu'en quelques mois un siècle et demi de présence française s'effondre. L'Algérie n'est pas une colonie comme les autres. Il y a une pénétration de la culture française, des habitudes, des comportements qui vont laisser des traces.
La France s'en remettra parce que c'est une grande nation industrielle et une puissance européenne. D'autant qu'elle feint de tourner la page. Il suffit d'écouter la chanson de Claude François, Cette année-là, consacrée à 1962. Le texte évoque le rock'n'roll, les Beatles, Marilyn... Tout y est... sauf l'Algérie. Pas un mot. Alors que les gens du Sud - pieds-noirs, harkis, soldats - vivent une tragédie, la France célèbre les années yé-yé. Deux histoires se chevauchent. Dans l'indifférence totale. 

Films, livres, préfaces, interviews : vous êtes partout une sorte de "Monsieur histoire d'Algérie". Comment expliquez-vous cette position centrale ? Est-ce seulement la consécration d'un travail ?

J'ai publié des ouvrages sur l'histoire du Vietnam et du Maroc, pays où j'ai vécu plusieurs années. Mais, en France, c'est toujours de l'Algérie qu'on me parle...

Sûrement y a-t-il le résultat de trente-cinq ans de travail, la publication de dizaine d'articles, de livres, de films. J'ai voulu très tôt transmettre mon savoir en produisant des documentaires pour la télévision, ce que, jusqu'à une période récente, peu d'universitaires faisaient. Cette exposition augmente la notoriété, mais aussi l'inimitié et la jalousie...

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Toutes ces explications ne suffisent pas. Sans doute ai-je creusé un sillon d'où surgissent des questions essentielles pour la société française d'aujourd'hui : l'histoire coloniale et les minorités, les communautés et la République, la religion et l'immigration... J'avancerai une autre hypothèse, plus personnelle. Issu de la communauté juive d'Algérie, peut-être suis-je, par mon origine, à l'intersection de ce qu'on appelait les mondes "indigène"-musulman et "européen"-pied-noir, une sorte de passerelle. Je vous livre tout cela en bloc, ce ne sont que des pistes.

propos recueillis par Emmanuel Hecht

 

Benjamin Stora en 6 dates
1950
Naissance à Constantine (Algérie).
1978
Doctorat d'histoire sur Messali Hadj, pionnier du nationalisme algérien.
1986
Maître de conférences à Paris VIII.
1991
Directeur scientifique à l'Institut Maghreb-Europe (Paris VIII).
1996
Membre de l'Ecole française d'Extrême-Orient (Hanoi).
Depuis 2001 Professeur d'histoire du Maghreb à l'Inalco ("Langues O") et à l'université Paris XIII. 

Bibliographie
Benjamin Stora a écrit une trentaine de livres. Le dernier paru est La Guerre d'Algérie vue par les Algériens, coécrit avec Renaud de Rochebrune (Denoël). À noter que son Histoire de l'Algérie en trois tomes (La Découverte) est rééditée en coffret. 

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Comment un tel gâchis a-t-il été possible ?

Quelles en furent les étapes, d’illusions

en mensonges, de crimes en crimes ?

 

Algérie
Bruno Frappat, 17 février 2012 - La Croix

Appel général : au début de mars – à une date qui sera précisée prochainement – France 2 diffusera un documentaire à couper le souffle de tous ceux qui ont connu, de près ou de loin, la guerre d’Algérie (1954-1962). Et à instruire ceux, encore plus nombreux, qui ne peuvent savoir comment ce cancer a rongé l’âme de la France, des deux côtés de la Méditerranée.

Disons-le avec netteté et émotion : on n’a pas le droit de rater cette diffusion ! Ce documentaire en deux parties (diffusées le même jour en «prime time» et suivies d’un débat) est un coup à l’estomac. Il s’appelle Guerre d’Algérie, La Déchirure.

Nous sommes sorti tout retourné de la projection en avant-première réservée à la presse. «Éprouvant» est le mot qui est venu immédiatement à l’esprit. Car ce n’est pas une partie de plaisir, ni une distraction qui attend les téléspectateurs. Mais une épreuve pour la mémoire, une épreuve pour les sentiments, une épreuve pour l’idée que l’on se fait des relations entre les êtres humains, une épreuve sur l’échelle du Bien et du Mal. Une épreuve pour l’intelligence : comment un tel gâchis a-t-il été possible ?

Quelles en furent les étapes, d’illusions en mensonges, de crimes en crimes ? Comment n’a-t-on pas perçu, à l’époque, l’engrenage maudit qui aboutirait à ce divorce d’une brutalité sans nom ?

Gabriel le Bomin, comme réalisateur, Benjamin Stora, comme historien, sont les deux auteurs de cet impeccable travail. Leur texte, dénué de tout aspect polémique, est lu par le comédien Kad Merad.

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Gabriel Le Bomin et Kad Merad

Tous les documents, dont beaucoup d’inédits, sont des films d’époque. Ils ont été retrouvés dans les archives de l’armée française, mais aussi dans celles des anciens «pays de l’est» qui, se situant du côté des «rebelles» du FLN (Front de libération nationale) ont filmé l’autre côté de la guerre. Films tournés par des soldats, par des gendarmes, par des familles de pieds-noirs au moment de leur fuite éperdue de 1962.

Il y a des images insoutenables, jamais vues, comme celles des soldats français égorgés par le FLN, la couleur ajoutant à l’horreur. Ou comme ces vues prises par des Français de soldats abattant, dans le dos, un «musulman» (ainsi parlait-on des «indigènes», à l’époque) qui marche sur un sentier et s’abat dans sa djellaba blanche. Il y a des séquences d’actualité que les Français n’avaient jamais eu la possibilité, à l’époque, de regarder, comme la visite triomphale de Fehrat Abbas, le leader algérien, en Chine. Ou des camps d’entraînement des soldats de l’ALN passés en revue, du côté de la Tunisie, par les futurs négociateurs des accords d’Évian (Krim Belkacem, notamment).

C’est un exploit que d’avoir réalisé un document non polémique, d’une grande honnêteté, ne cherchant pas à donner tort aux uns et raison aux autres. C’est un exploit que de rendre compte, avec une sobriété terrible, d’événements marqués par la passion, la violence, la haine et l’incompréhension.

Il se trouvera sûrement des gens pour critiquer cet équilibre qui ne prend pas partie. Mais l’émotion, justement, vient de cette honnêteté. Nous sommes émus de retrouver, souvent en couleurs alors que nous avions le souvenir d’une guerre en noir et blanc, les acteurs et les terrains d’un conflit qui déchira la France. Qui ne fut conclu que par la prescience et la duplicité stratégique de de Gaulle, accédant au pouvoir grâce aux partisans de l’«Algérie française» alors qu’il savait d’emblée que l’indépendance serait au bout.

Gâchis immense, à faire pleurer. Gâchis de la violence cruelle et aveugle, des attentats contre les civils, des assassinats, de la torture, de l’armée s’engageant contre la nation au prétexte de la défendre, du lâchage des harkis livrés aux vengeances, de l’abandon des pieds-noirs floués à la fois par la métropole, par les pouvoirs et par l’OAS qui, prétendant les représenter, hâta par sa fureur destructrice la fin cauchemardesque de leur présence sur la terre qui les avait vus naître.

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Pertes et profits de l’histoire : les soldats tués au combat, les civils meurtris, les habitants chassés, les relations futures entre les deux pays marquées par l’incapacité de renouer des liens qui furent trop charnels, sans doute, au «temps des colonies». Et tout cela parce que le mépris des évidences et des gens avait, durant des lustres, entretenu une illusion de puissance et de domination éternelles.

Il faut, pour revenir là-dessus à l’occasion de la vision de ce film, avoir le cœur bien accroché. Mais c’est bien avec le cœur qu’il faut le regarder. Un cœur plus large que celui des protagonistes du temps jadis. Un cœur accueillant à l’idée que nous étions dans le schéma classique d’une tragédie non maîtrisable et qui ne fait que des victimes. Sur lesquelles il y a de quoi pleurer.

Bruno Frappat

 

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"Guerre d'Algérie, la Déchirure" :

un film tout en archives, parfois inédites

 

Créé le 15 février 2012 - Le Nouvel Observateur

Pour les 50 ans des accords d'Évian, France 2 diffusera en mars un documentaire événement, "Guerre d'Algérie, la déchirure", premier film tout en images d'archives sur le conflit, dont certaines totalement inédites, avec l'ambition de restituer tous les points de vue.

Ce film, en deux parties de 55 minutes, a été conçu par le réalisateur Gabriel Le Bomin, auteur notamment d'un long métrage remarqué sur la Première guerre mondiale, "Les Fragments d'Antonin", et par l'historien Benjamin Stora, spécialiste de l'Algérie coloniale et de la guerre d'Algérie.

Pour le préparer, ils ont eu accès à des archives inédites de l'armée française, des sources algériennes, des images de la BBC et de télévisions d'Europe de l'Est, des fonds amateurs collectés par des cinémathèques régionales, des films familiaux ou de la Croix-Rouge suisse.

"Au total, on avait 140 heures de rushs disponibles, pour deux heures de récit. L'ECPAD (Établissement de communication et de production audiovisuelle de la défense, ndlr) nous a permis de travailler à partir de rushs d'origine, et non de films montés. Nous avons aussi été autorisés à utiliser des films dont la diffusion était jusque là interdite", explique Gabriel Le Bomin.

"C'était vraiment une grande nouveauté. Il y a aussi eu tout un travail dans des cinémathèques, notamment d'anciens pays de l'Est, où l'on a pu accéder aux archives des maquis algériens. C'était l'ambition du film, d'avoir un champ/contre champ: raconter le point de vue français, mais aussi celui du FLN".

Film global

L'optique était double : réaliser un documentaire global racontant de manière pédagogique l'ensemble de la guerre d'Algérie, et faire "le premier film français tout en archives" sur le sujet, sans témoignages mais accompagné d'un commentaire en voix off de l'acteur Kad Merad, lui-même né en Algérie en 1964, explique Benjamin Stora.

"C'est un film très original et très difficile à faire, parce qu'il y a des épisodes de cette histoire qui n'ont pas d'archives filmées. Donc il a fallu travailler à leur représentation filmique", ajoute-t-il.

Les attentats ou la torture manquent ainsi d'archives directes, mais ont pu être racontés notamment à travers des images de victimes.

Parmi les archives jamais vues à la télévision française, le film montre des images de cadavres de soldats, parfois mutilés. Ou la visite en 1958 en Chine de Ferhat Abbas, président du Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA, front politique du FLN), accueilli par une foule immense.

Il a fallu un peu moins d'un an pour fabriquer Guerre d'Algérie, La Déchirure, qui a fait l'objet d'un travail de colorisation, certaines images étant originellement en couleur et d'autres en noir et blanc. Sa diffusion, dont la date exacte n'est pas encore précisée, sera suivie d'un débat animé par David Pujadas.

D'autres documentaires seront programmés à la télévision pour marquer les cinquante ans de la fin de la guerre d'Algérie: "Algérie, notre histoire", de Jean-Michel Meurice, avec Benjamin Stora, ou "Palestro, Algérie: histoire d'une embuscade", de Rémi Lainé, sur Arte, ou encore "Une histoire algérienne", de Ben Salama, sur France 5.

Du côté des fictions, Arte donnera le célèbre film "La bataille d'Alger", de Gillo Pontecorvo, tourné deux ans après l'indépendance et censuré en France jusqu'en 2005. France 3 diffusera "Pour Djamila", fiction TV retraçant l'histoire de Djamila Boupacha, militante du FLN accusée d'avoir posé une bombe à Alger, qui avait été défendue par l'avocate Gisèle Halimi.

source

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voir aussi : Benjamin Stora : "Guerre d'Algérie, la déchirure" in "La Provence.com". 29 mars 2012

 

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sur Études Coloniales

- réponse de Benjamin Stora à Daniel Lefeuvre et réplique de celui-ci

- Les bombardements du cinquantenaire, le point de vue de Michel Lagrot

- réponse de Benjamin Stora à Guy Pervillé et réaction de Guy Pervillé, à propos du documentaire "La Déchirure"

- critique de Guy Pervillé du documentaire "La Déchirure", sur Études Coloniales

- texte définitif de la critique de Guy Pervillé sur son site

- voir : "La Déchirure" : ce documentaire n'est pas un outil de référence, Daniel Lefeuvre

- voir la mise au point du général Maurice Faivre et les remarques de Michel Renard

 

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image du film "La Déchirure"

 

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8 février 2012

8 février, répression de la manifestation au métro Charonne

Alain Dewerpe, Charonne, 8 février 1962 :

anthropologie historique d’un massacre d’État


Régis MEYRAN
 
Paris, Gallimard, 2006, 897 p., notes bibliogr., index, ill., plans (« Folio histoire » 141).
Régis Meyran
 
Nul n'ignore la définition de l’État selon Max Weber, presque devenue un lieu commun des sciences sociales. Le sociologue l’a résumée dans une conférence de 1919 (1); partant d’un aphorisme de Léon Trotski («Tout État est fondé sur la force»), il énonçait : «il faut concevoir l’État comme une communauté humaine qui […] revendique avec succès pour son propre compte le monopole de la violence physique légitime» (2). Or, quand on considère la notion de «crime d’État», on en vient à penser qu’une telle définition doit être complétée, car ce type de crime, si on en admet l’existence, suppose une opposition entre violence légitime et violence illégitime.
Pour dire les choses autrement, que se passe-t-il si des pratiques violentes commises par des agents de l’État ne sont pas acceptées par les citoyens ? Lorsque, pour reprendre une expression de Didier Fassin, un «seuil de l’intolérable  vient d’être dépassé (3) rendant cette violence illégitime ? De ce point de vue, le crime de Charonne, qui entre dans la catégorie des violences «extrêmes», constitue un cas d’école. L’historien Alain Dewerpe s’est livré à une étude érudite d’anthropologie historique sur ce sujet, qu’il a consignée dans un copieux ouvrage (presque 900 pages), résultat de longues années de recherche.

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Rappelons brièvement les faits. Le 8 février 1962, des syndicats ouvriers (CGT, CFTC), étudiants (UNEF) et enseignants (SGEN-CFTC, FEN) – auxquels s’étaient adjoints deux partis de gauche, le PSU et le PCF – appelèrent à manifester à Paris, entre 18 h 45 et 19 h 30. Il s’agissait de répondre aux attentats commis à l’explosif par l’OAS la veille, en même temps que de réclamer la paix en Algérie. Or, le préfet de police, Maurice Papon, avait proscrit tout rassemblement sur la voie publique. Pour faire respecter cette interdiction, la police donna la charge, ce qui coûta la vie à neuf manifestants à la station de métro Charonne.
 
Comment expliquer que des policiers aient eu droit de vie ou de mort sur des citoyens qui défilaient pacifiquement ? On a là quelque chose qui ressemble à un «fait social total», dans la mesure où cet événement – qui n’a pas duré plus de vingt minutes – renferme un ensemble de significations qui éclairent, sous un certain angle, les structures politiques de la société française du XXe siècle. Car, affirme Alain Dewerpe en introduction, un tel massacre ne relève en rien de «l’anecdote» ou du «dérapage» : il a sa logique propre, qui est le résultat de «pratiques sociales» comme de «logiques politiques» (p. 24). [mais tout est le résultat de "pratiques sociales" et de "logiques politiques"... note de Michel Renard]
 
L’auteur a construit son livre en trois parties : tout d’abord, il s’est focalisé sur les mécanismes de la violence policière ; puis, il a analysé le mensonge consistant à nier la responsabilité du gouvernement ; enfin, il a disséqué la façon dont l’appareil judiciaire a tout simplement évacué la responsabilité de l’État. Alain Dewerpe commence par brosser un tableau historique et sociologique de la manifestation de rue.
 
Le modèle qu’il étudie trouve ses origines dans les années 1920 ; il prend la forme de cortèges multiples se déplaçant au hasard, mais convergeant vers un rendez-vous fixé à l’avance. Cette pratique sociale comporte un «enjeu physique et symbolique», puisqu’il s’agit pour les manifestants de «posséder la rue», dans un face-à-face avec les policiers. Une «dramaturgie» se met en place : chaque individu se fond dans la foule en franchissant la barrière symbolique qui sépare le trottoir de la chaussée, et en passant du silence au slogan scandé. L’auteur rappelle qu’un tel exercice est le résultat d’un apprentissage : il existe des «postures [corporelles]» et des «mémoires manifestantes», ainsi qu’une théâtralité collective – même si celle de Charonne fut «modeste» et «retenue» (p. 46).

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Après la foule manifestante, c’est le dispositif policier mis en place ce 8 février qu’Alain Dewerpe a étudié très en détail. Celui-ci visait à reconquérir le territoire : à la façon des stratèges militaires, l’état-major policier, ne lésinant pas sur les moyens, a découpé l’espace urbain en secteurs, qu’il a fait quadriller par des compagnies d’intervention (4). Le nombre impressionnant de policiers mobilisés (3 000) créait une «saturation» numérique de l’espace, tout en formant des barrages fixes pour contenir la foule. Les policiers, équipés de casques, de gants de toile, d’une matraque (le «bidule», bâton long de 83 cm inventé dans les années 1950) et de grenades lacrymogènes, usaient d’une technique simple, mais terriblement efficace : ils refoulaient tout d’abord les manifestants, puis effectuaient la charge.
 
Cette technique comportait un gros risque de dérive vers le massacre, note Alain Dewerpe (p. 188), car les policiers arrivaient en courant, plus ou moins alignés et à «vitesse maximum», sur la foule afin de la «traverser». Le but de la manœuvre n’était certes pas la destruction, mais la «dispersion» ; or, pour que l’efficacité soit maximum, il était conseillé aux compagnies d’intervention d’agir « sans demi-mesure »…
 
Le résultat de la charge à Charonne fut accablant. S’appuyant sur l’accumulation et le croisement des témoignages de manifestants, Alain Dewerpe montre que, après la dispersion de la foule, les policiers ne s’arrêtèrent pas (p. 111) : ils pourchassèrent les manifestants même isolés, les attendirent cachés sous une porte cochère pour les matraquer, et continuèrent à les frapper, même à terre, même blessés. Leur violence fut aussi verbale, faite d’injonctions de tuer. Plus encore, ils violentèrent le moindre passant, fût-il une personne âgée ou une femme, et saccagèrent les immeubles et locaux traversés durant leur course-poursuite. Les policiers utilisèrent, outre leur bidule et des lacrymogènes, les projectiles les plus divers (tout ce qui passait à portée de main, semble-t-il) et notamment des grilles métalliques pour arbres qu’ils laissèrent tomber dans la bouche du métro Charonne, sur une foule entassée en bas des escaliers (p. 130).
 
Que s’est-il passé dans l’esprit de ces policiers pour qu’ils se laissent aller à de tels débordements de violence ? On ne peut s’empêcher de penser à ce phénomène de «basculement dans l’irrationnel», décrit par le politologue Jacques Sémelin (5), c’est-à-dire à un processus d’escalade dans la violence, partant de décisions rationnelles mais qui s’emballent et deviennent finalement incontrôlables. Et si le moment de violence extrême échappe en partie à l’analyse, on peut en tout cas reconstituer la succession des étapes qui y mènent. C’est ce qu’a fait Alain Dewerpe, en remontant à la genèse de cette violence policière.

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Dans un premier temps, il prouve, par une étude approfondie des archives de la police (6), que la charge meurtrière n’était nullement due à l’initiative personnelle d’un commissaire de police, comme l’affirma par la suite Maurice Papon (pp. 137-138), mais bien à un «ordre direct de l’état-major». Il ajoute que les policiers disposaient malgré tout d’une marge de manœuvre certes «limitée mais réelle» : pour un même ordre de charger, il semble y avoir eu, chez les chefs de section, des degrés divers d’administration de la violence, à l’image de ce commissaire qui alla jusqu’à refuser – «avec énergie» – de charger (mais fut muté à cause de ce choix).
 
Dans un deuxième temps, Alain Dewerpe entreprend d’établir l’existence de «cadres cognitifs» propres à certains secteurs de la police, et notamment aux compagnies d’intervention, parmi lesquelles s’est propagée une véritable «culture de la violence». Celle-ci était le résultat d’un processus historique, amorcé à la fin du XXe siècle avec la peur du «Rouge» (syndicalistes, anarchistes, socialistes, etc.). Cette peur se mua dans les années 1920 en un «anticommunisme» policier, qui perdura jusque sous l’Occupation.
 
Un tel imaginaire permit l’avènement, au moment de la guerre froide et de la ­décolonisation, d’un «habitus» et d’une «morale» de la violence (p. 181) articulés autour de nouvelles figures de l’ennemi (l’Algérien, l’étudiant, l’intellectuel, le communiste). Dans les représentations des policiers, les manifestants enfreignaient la loi puisque les rassemblements étaient interdits : ils devenaient alors les responsables de la violence qu’ils subissaient. Pire encore, les policiers croyaient user à leur égard d’une «légitime défense», car ils percevaient la foule comme dangereuse. Un tel renversement de perspective les aidait à justifier leurs actes : le manifestant devenait un Autre diabolisé, un étranger menaçant dont il fallait à tout prix se défendre. Il s’agit là d’une construction fantasmatique bien connue, notamment depuis les travaux d’Omer Bartov sur la violence des soldats allemands sur le front de l’Est, pendantla Seconde Guerre mondiale (7). Selon cette logique consistant à déshumaniser l’Autre, le policier avait le droit de se faire justice lui-même : il était à la fois juge et bourreau.
 
À un stade plus conjoncturel, il faut, pour comprendre cette violence, également tenir compte d’une culture d’extrême droite (p. 186), exacerbée par des sympathies avec l’OAS, notamment chez les chefs de compagnies. En outre, en cette période très tendue de la fin de la guerre d’Algérie, Charonne vient s’inscrire dans la droite ligne d’épisodes sanglants antérieurs, comme ceux du 17 octobre et du 19 décembre 1961. Selon cet enchaînement, un massacre en entraîne un autre, comme par habitude, pourrait-on dire…
 
Dans un troisième et dernier temps, Alain Dewerpe ajoute que cette logique de la violence résulte d’un choix politique : elle est la conséquence directe de la décision prise par le gouvernement, à partir de 1958, de réprimer les mouvements nationalistes algériens, surtout à Paris. C’est donc le cadre institutionnel qui a permis l’asymptote meurtrière… La violence extrême était à la fois enseignée, encadrée et légitimée, sans pour autant être parfaitement contrôlée. Passons à l’étape de la légitimation. Une fois le massacre perpétré, le gouvernement ne pouvait que dissimuler ou mentir (p. 287).
 
Ces seuls choix possibles sont la conséquence, écrit Alain Dewerpe, d’un processus de débrutalisation, grâce auquel a pu émerger la possibilité d’une indignation collective. Face au «scandale civique», le gouvernement a choisi le mensonge. Il y eut d’abord le mensonge tout de suite fabriqué par la police. On lit, dans les rapports de synthèse de la police, à la fois les faits bruts, mais aussi le «travail politique d’interprétation» qui fabrique le «récit légitime de la réalité» (p. 136).
 
L’idée développée dans ce récit était que les communistes avaient utilisé la bonne foi des manifestants honnêtes en fomentant une «émeute». Les policiers avaient alors été obligés de répliquer, et les morts étaient donc le résultat malheureux d’une contre-attaque. Par la suite, le gouvernement produisit une seconde interprétation, contradictoire avec la première, selon laquelle des activistes de l’OAS auraient déclenché la violence, soit en se mêlant aux manifestants, soit en infiltrant les rangs de la police pour accomplir la tuerie. Puis vint la seconde dimension du mensonge, liée cette fois au fonctionnement du droit et des institutions judiciaires. L’historien a accédé ici à un dossier complet, incluant l’enquête préliminaire, le jugement au pénal (qui prononça un non-lieu), une enquête de droit administratif (l’institution se déclarant finalement «incompétente» en la matière), puis un jugement d’ordre civil, qui débouche sur une «responsabilité sans faute»…
 
L’auteur en conclut que tous les ordres judiciaires ont été convoqués pour souffler au citoyen ce qu’il fallait penser du crime de Charonne et donner une décision justifiée par le droit. On ne pouvait se contenter d’une sorte de couverture illégale, dont le modèle serait l’affaire Dreyfus – où le Conseil de guerre s’était prononcé au vu de pièces «secrètes» –, il fallait plutôt une succession de procès légaux, par lesquels se mit en œuvre une façon de contourner le problème. Par exemple, dans le procès en pénal, le juge d’instruction a clos l’affaire et utilisé une amnistie pour signifier que les coupables n’avaient pas à être jugés ; dans le cas du civil, la responsabilité fut attribuée à la fois à la ville de Paris et aux victimes… Finalement, au bout de dix ans de procédure, personne ne fut ni jugé ni condamné, et l’État se déclara incompétent pour juger de cette affaire. De plus, on attribua aux victimes une responsabilité dans la tuerie dont ils avaient été la cible.
 
Alain Dewerpe termine par l’étude de la mémoire de ce 8 février 1962. Il note qu’à partir des années 1980, le massacre du 17 octobre n’est plus occulté, mais que sa réapparition sur la scène publique a pour effet de déprécier l’événement du 8 février (pp. 663 sq.). Aujourd’hui, en revanche, les deux massacres apparaîtraient de plus en plus liés dans la mémoire collective nationale.
 
Au total, l’historien nous livre une recherche magistrale à bien des égards : à la fois étude sur la bureaucratisation de l’État – déjà bien effectuée par Max Weber, mais réalisée ici dans le détail, à la façon de la micro-histoire – et analyse des effets de cette bureaucratie quand elle rend possibles la violence et les mensonges en contexte de crise. Par ailleurs, on y lit comment l’exigence de la mémoire peut servir à rétablir des vérités.
 
Tout cela fournit également des pistes sérieuses pour comprendre les conditions d’existence de la démocratie, dont une partie se joue sur la scène publique, dans les confrontations et négociations entre l’État, les médias et les citoyens. C’est dire l’actualité d’un tel sujet, car si les violences policières sont peut-être moins extrêmes qu’hier, les questions de «mémoire» réinvestissent en force l’espace public. Or, pour comprendre les enjeux des débats sur les mémoires par exemple «noires» ou sur la fracture dite «coloniale», on ne saurait que trop recommander d’en faire l’étude à la fois historique et anthropologique.

Régis Meyran

notes
 
1 - «Le métier et la vocation d’homme politique (Politik als Beruf)», in Max Weber, Le Savant et le Politique, Paris, Plon, 1963 [1959] (« 10/18 ») : 123-222.
2 -  Ibid. : 125.
3 - Cf. Didier Fassin & Patrice Bourdelais, Les Constructions de l’intolérable : études d’anthropologie et d’histoire sur les frontières de l’espace moral, Paris, La Découverte, 2005 («Recherches»).
4 -Les compagnies d’intervention, faites de policiers non permanents, étaient à distinguer des compagnies républicaines de sécurité et des gendarmes mobiles. Bien que non clandestines, l’État rechignait à reconnaître leur existence (p. 178).
5 - Jacques Sémelin, Purifier et détruire : usages politiques des massacres et génocides, Paris, Le Seuil, 2005 («La couleur des idées»).
6 - Ces archives ont, note Dewerpe, un caractère extrêmement bureaucratisé. Tous les dossiers sont faits de la même manière : 1) brouillons, mémos ; 2) feuilles de minutage tenues en temps réel par chaque unité de police, et feuilles de trafic radio ; 3) après coup, comptes rendus des commissaires ; 4) enfin, rapport de main courante établi par l’état-major qui produit la «synthèse autorisée» de l’événement.
7 - Omer Bartov, L’Armée d’Hitler : la Wehrmacht, les nazis et la guerre, Paris, Hachette, 1999 [1990] (« Littératures »).Régis Meyran, «Alain Dewerpe, Charonne, 8 février 1962 : anthropologie historique d’un massacre d’État», L’Homme, 182 | avril-juin 2007, mis en ligne le 16 mai 2007. URL : http://lhomme.revues.org/index4286.html. Consulté le 07 février 2012 - EHESS, Paris.

 

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5 septembre 2011

Expériences contrastées des soldats en Algérie

9782862609324FS 

 

témoignages de soldats en Algérie

général Maurice FAIVRE

 

- Jean-Charles Jauffret, Soldats en Algérie. 1954-1962. Expériences contrastées des hommes du contingent, Edition Autrement, revue et augmentée, 2011, 383 pages, 55 photos, 25 €.

La première édition avait été recensée par le Cercle des combattants d’AFN en 2001 (1), qui avait souligné  l’intérêt d’une analyse de quelques 430 témoignages traitant des manifestations des rappelés en 1955-56, de la disponibilité des hommes du rang, de la distinction entre réserves générales et troupes de Secteurs, de la compétence des officiers et sous-officiers de réserve, de la solidarité des soldats, des conditions de vie en poste (initialement précaires), de certaines incohérences administratives, de la modernisation des systèmes d’armes (hélicoptères et guerre électronique), de l’efficacité des évacuations sanitaires et de l’acheminement du courrier, des méthodes de pacification  (5ème Bureau, AMG, regroupements, scolarisation), de la confiance accordée aux officiers  (favorable à 78%), du volontariat de nombreux musulmans, des pertes militaires après Evian.

La nouvelle édition tient compte de nouveaux témoignages, portés à 800, des ouvrages et des films diffusés depuis 2000, des débats en cours sur les victimes des irradiations nucléaires et sur la politique de la mémoire (Fondation, mémoriaux, loi de 2005, date de commémoration). Les cadres d’active sont cependant peu sollicités.

L’exploitation des témoignages recueillis, plus de 20 ans après les faits, pose un problème de méthodologie que l’auteur n’occulte pas quand il les décrit contrastés, parfois contradictoires et déformés par le temps (p.113). Il en est ainsi des jugements portés sur les fautes de la IVème République et du Haut Commandement, sur la gabegie des effectifs, sur la finalité du conflit, sur la nébuleuse de la contre-révolution. Sur ces sujets, les directives militaires (Ely, Challe, Olié, Trinquier) et les projets des politiques (Soustelle, Lacoste, Delouvrier, Debré) apportent des réponses qui méritent la discussion. Quant à la démoralisation des soldats, on peut comprendre ceux qui déclarent qu’ils ont perdu le temps  de leur jeunesse. Qui peut se réjouir d’avoir participé à une guerre perdue, alors qu’il a cru pouvoir la  gagner ?

soldats

 

La pertinence des témoins ne peut être reconnue que s’ils sont vérifiés par d’autres (c’est la règle du recoupement des 2èmes Bureaux). Jean Pouget applique cette régle en interrogeant ses subordonnés (p. 181). D’autres témoignages ont été ainsi confirmés ou infirmés au moment des faits. Mais la confrontation des témoins aurait dû s’imposer dans les cas suivants :

- Rocard contredit par Delouvrier, de Planhol, Olié, Bugnicourt et Adjoul

- R.Branche nuancée par la Commission de Sauvegarde du droit et le CICR (2)

- Mauss-Copeaux critiquée par Gilbert Meynier et Roger Vétillard ; Lacoste-Dujardin par Jacques Frémeaux et Vincent Joly ; Bollardière par Allard, Salan et Ely ;  PH Simon par Robert Lacoste, Beaufre, Ely, Debré, Challe ; Favrelière par son capitaine Bôle du Chaumont ; le photographe Garanger par son chef de corps de Mollans,

- Lacheroy réhabilité par la biographie de Paul Villatoux ,

- l’aumônier Peninou  à confronter au Père Casta… etc…

Il faut refuser enfin, comme contraires à l’histoire vécue, des fictions qui prétendent présenter la réalité. Ainsi en est-il, entre autres, des films de Rotman-Siri, de Mehdi Charef , Alain Tasma ou Laurent Herbier.

Ces réserves (3) dites, le livre de JC Jauffret mérite d’être lu et étudié pour son exposé détaillé des expériences des hommes du contingent.

Maurice Faivre
le 4 septembre 2011



1 - Mémoire  et vérité des combattants d’AFN, L’Harmattan, 2001, page 87.
2 - M.Faivre. Conflits d’autorité durant la guerre d’Algérie, L’Harmattan 2004, p. 123.
3 - Certains témoignages appellent la contestation, ou éventuellement des vérifications en archives :
- la participation de la 7ème DMR à l’opération Djenad (p.120)
- l’absentéisme des officiers (p. 255)
- la guerre d’extermination en 1957( p. 298, démenti par Med Harbi)
- le décès à la suite d’une brimade (p. 53)
- les chefs de poste croulant sous la paperasse (p. 105)
- les DOP créés en 1957 (1956 selon Ely)
- les mechtas détruites au napalm (p. 342, étaient-elles occupées ?)
- le contrôle des populations par les SAU qui s’inspirent des nazis et des soviétiques (p.186),
- le ralliement au putsch de la Base de Télergma (p. 134)
- les dégroupements en 1961-62 (p. 274, en réalité un échec)
- la pratique courante des viols selon Mouloud Feraoun (p. 304).

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30 avril 2009

Débat sur l’écriture de l’histoire controversée algéro-française

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Stora et Harbi

déterrent le passé colonial en Algérie

 

 

Débat sur l’écriture de l’histoire controversée algéro-française
jeudi 30 avril 2009.

Dans une conférence magistrale au Centre culturel français d’Alger, les deux historiens, Mohammed Harbi et Benjamin Stora, ont abordé, chacun avec son approche, la complexité de l’écriture de l’histoire contemporaine entre l’Algérie et la France.

Porté par le poids du passé colonial, le professeur de l’histoire du Maghreb, Benjamin Stora, le premier à ouvrir le débat, a estimé que «la guerre d’Algérie était au cœur de l’empire français pour avoir connu la naissance de la 5ème République».


de l'amnésie à la guerre mémorielle

Dans sa rétrospective, l’historien reconnaît que «les Français ont entretenu une stratégie d’oubli et d’amnésie après avoir consommé leur défaite politique dans cette guerre. En reléguant la question coloniale dans les banlieues de l’histoire, prise en otage par les différents groupes, entre ceux qui veulent affronter leur passé et ceux qui en font un rempart mémoriel, au lieu de devenir une question centrale dans la recherche historiographique ».

Selon Benjamin Stora, «ce n’est qu’en 1980 qu’il y a eu le réveil de l’autre mémoire, tirée par la communauté des Beurs» ou ce qu’il appelle «les partisans de la nostalgérie».

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manifestant algérien, le 17 octobre 1961 à Nanterre,
photo Élie Kagan

Revenant sur les fameuses manifestations du 17 octobre 1961, en France, le conférencier dira que ces événements lui rappellent qu’on ne peut pas «séparer le processus de l’écriture de l’histoire des mouvements sociaux».

Mais le saut en France, ajoutera-t-il, «a été mis en branle entre 1988-1992, notamment à l’effondrement de l’URSS, de la défaite de l’Armée rouge en Afghanistan, de la chute du mur de Berlin et de la fin du système du parti unique en Algérie». Pour Benjamin Stora, «cette période d’effervescence extrême va ouvrir les énergies sur l’écriture de l’histoire.

Obligeant pour la première fois la France, 30 années après, à ouvrir ses archives d’État, soumises certes à dérogation, mais sources intarissables de fichiers militaires et policiers».

«Durant les années 1990, poursuit l’historien, l’éclatement du récit traditionnel avec le retour des chefs historiques Aït Ahmed, Ben Bella, feu Boudiaf..., relayé notamment dans les colonnes de la presse, a été pour beaucoup dans la remise en cause des faits historiques».

Cela étant, Stora cite deux témoignages phares ayant été à l’origine de l’accélération de l’écriture de l’histoire controversée de ces deux pays, à savoir l’aveu terrible de liquidation physique de Ben M’hidi par Aussaresse et l’exercice systématique de la torture, et la très polémique loi du 23 février louant du rôle positif du colonialisme et son discours de l’anti-repentance qui a installé, selon Stora, «une guerre mémorielle sur les champs français et algérien».

S’y ajoutent, d’après lui, «de nombreuses thèses de jeunes chercheurs qui ont relevé l’existence de 15.000 militaires opposés à la guerre et quelque 150.000 photographies». Sans oublier ces nombreux ouvrages à son actif.


trois grands courants

Pour sa part, l’historien Mohammed Harbi nous renvoie aux trois grands courants qui ont traversé l’Histoire contemporaine de l’Algérie. Le premier, «de type culturaliste, caractérisé par l’interrogation identitaire des Oulémas».

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M'barek El-Mili (1896-1955)

«Divisés en deux tendances, l’une moderniste avec à sa tête M’barek El Mili et Cheikh El Madani, l’autre de type autoritaire (croisade culturelle) à la vision excessive et simpliste prônée par El Ibrahimi et Ibn Badis».

Le second courant, «de type social incarné avant l’indépendance, en particulier par Ferhat Abbas qui a qualifié la colonisation de destruction de l’Algérie traditionnelle». S’y ajoutent après l’indépendance, selon Harbi, «les contestations contre les inégalités entre nations, l’impérialisme et les blocages infrastructurelles».

Le dernier courant politique reflète, d’après le conférencier, «la dynamique interne de la société algérienne qui croyait que si on est colonisé, c’est parce que la société avait des carences qu’un pays étranger est venu combler». Mais aussi, qu’on était gouverné par «un pouvoir non productif et autoritaire sous le règne de la caste ottomane».

La déduction du professeur Harbi, affirmant par la suite que «les secteurs liés à la colonisation sont ceux qui ont bénéficié de l’indépendance», a soulevé le courroux de nombreux présents, venus en grand nombre assister à ce débat historique. Pour Mohammed Harbi, «l'histoire a non seulement été mise au service de la légitimité des pouvoirs en place après l’indépendance, mais a ruiné les départements d’histoire de l’Algérie».

Il ajoutera que «la mise sous muselière de la liberté de parole et du débat contradictoire a fait que l’Histoire absout et condamne, fait et défait les héros. Alors que les médias et les acteurs politiques du moment ont fait de la dénonciation et de l’exclusion un attribut très fort dans cette société».

«Aucun pays ne peut se nourrir des ressentiments et des oppositions usées», dira-t-il enfin avant de revendiquer «l’examen serein du passé colonial et de cesser la mise sous haute surveillance de l’Histoire».

La Voix de l’Oranie
source

 

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Benjamin Stora, Mohammed Harbi

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17 décembre 2007

La France doit exiger des excuses de l'Italie (Jacques Marseille)

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La France doit exiger des

excuses de l'Italie

Jacques MARSEILLE

 

À l'heure où le gouvernement algérien exige des «excuses» de la France pour les crimes imputés à la colonisation, il est temps que la France se libère enfin du poids qui l'étouffe depuis plus de deux mille ans... et exige à son tour de l'Italie des excuses pour les crimes perpétrés par César et ses légions contre nos ancêtres les Gaulois.

En effet, si la conquête romaine, comme la conquête française de l'Algérie, a fait bénéficier notre pays de certains bienfaits, elle l'a fait au prix de massacres et d'asservissements dont il n'est pas illégitime de rappeler les manifestations les plus cruelles.  

Il faut tout d'abord souligner que la Gaule était au moment de l'agression italienne un pays de cocagne. Loin d'être un ensemble de villages repliés sur eux-mêmes - contrairement à ce que veut montrer Astérix -, les campagnes de la Gaule étaient densément peuplées. Loin d'être de féroces éleveurs de troupeaux habitant dans de misérables huttes au milieu des forêts, nos ancêtres étaient les acteurs éclairés d'une économie en plein développement qui a permis une expansion démographique sans précédent.

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Histoire de France, pour les cours élémentaires, 1969

À la veille de sa conquête par les colonisateurs italiens, la Gaule comptait sans doute 8 millions d'habitants. Techniciens habiles et artisans réputés, les Gaulois produisaient en série le verre plat utilisé pour les fenêtres, les vases à boire, les bouteilles trapues, les gobelets, les vases à parfum, les gallicæ (grosses galoches à semelles épaisses) et les chariots qui s'exportaient dans l'ensemble du monde méditerranéen. Exploité activement dans le Limousin, l'or excitait l'imagination et la convoitise des étrangers. Dans les villes qui se multipliaient, les techniques ne différaient pas de celles utilisées dans ce qu'on appelait alors le monde «civilisé».

C'est ce pays prospère à la culture originale que va conquérir le colonisateur italien (c'est-à-dire romain) au prix de méthodes qui sont autant de violations des droits de l'homme. Pour s'emparer de sa proie, au mépris des conventions internationales, Jules César multiplie des campagnes terroristes qui en font, plus que Napoléon ou le père Bugeaud, celui dont Hitler a certainement dû s'inspirer. Outre les 600 000 ou 700 vlcsnap_21612000 tués-soit le dixième de la population que comptait alors la Gaule indépendante ! -, César s'est livré à de véritables opérations d'extermination, comme celles dont furent victimes, en 53 avant J.-C., les Eburons. Ces «ancêtres» des Belges s'étant révoltés, César voulut, écrit-il lui-même, «anéantir leur race et leur nom même», une définition avouée de ce qu'on nomme aujourd'hui un génocide.

En -52, excédé par la résistance des habitants d'Avaricum (Bourges), il se livre à un carnage qui témoigne d'une véritable folie meurtrière. Seuls 800 habitants sur 40 000 en réchappèrent. En -46, lorsqu'il fait étrangler Vercingétorix à Rome, il bafoue sans vergogne la future convention de Genève de 1929 sur le traitement des prisonniers de guerre. Enfin, en imposant à la Gaule leur langue, leur religion et leur culture, les Italiens se livrent à un véritable génocide culturel. Imaginons ce que serait aujourd'hui une France celtisée où la langue anglaise et le tempérament irlandais s'allieraient pour faire de notre pays un des champions de la mondialisation. C'est tout ce potentiel de croissance que les Romains ont brisé et dont les Italiens devraient s'excuser lors de la prochaine visite officielle de leur président du Conseil en France.

Ridicule et grotesque, pensez-vous ? Evidemment ! Comme l'est l'exigence du gouvernement algérien. Comme le grand historien Marc Bloch le rappelait, la compréhension du présent repose sur la connaissance du passé et non pas sur son instrumentalisation. Comprendre le passé, c'est se demander pourquoi, de Victor Hugo à Zola et de Jaurès à Maupassant, personne ou presque n'a remis en question les principes de la colonisation française. Qui condamnerait Jaurès [portrait ci-dessous] d'avoir osé proclamer en 1903 à la Chambre des députésjaures : «[...] la France a d'autant le droit de prolonger au Maroc son action économique et morale qu'en dehors de toute entreprise, de toute violence militaire, la civilisation qu'elle représente en Afrique auprès des indigènes est certainement supérieure à l'état présent du régime marocain » ?  

On le voit, Nicolas Sarkozy a fait beaucoup et peut-être trop pour «excuser» les méfaits du système colonial français en Algérie. En fait, si les Algériens voulaient trouver des réponses à leur mal-développement, ils devraient surtout exiger des excuses de ceux qui les gouvernent depuis l'indépendance. Si l'Algérie est aujourd'hui un pays riche peuplé par des pauvres, elle le doit surtout aux gaspillages, aux erreurs de gestion et à la corruption qui gangrènent sa classe politique. En 1962, le PIB par habitant était en Algérie de 1 433 dollars (de 1990). En Tunisie, autre pays soumis au système colonial français, il s'élevait à 1 379 dollars. Quarante ans plus tard, il est de 2 813 dollars en Algérie et de 4 710 dollars en Tunisie, qui ne possède pourtant ni gaz ni pétrole. Est-ce la colonisation qui est responsable d'un tel décalage ?

13/12/2007 - Jacques Marseille
© Le Point - N°1839

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l'Algérie augmente son Pib/hab de 95 % en 40 ans alors que la Tunisie,
avec moins d'atouts, gagne 241%... Comment incriminer la colonisation pour
rendre compte d'une telle différence alors que les deux États sont indépendants ?

réalisation Études Coloniales

 

_____________________

 

liens

- cf. Pourquoi les Vietnamiens n'ont-ils pas revendiqué des excuses ?

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- cf. Les points aveugles d'une certaine rhétorique algérienne "anticoloniale"

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15 décembre 2007

France-Algérie : dépasser le contentieux historique (pétition)

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France-Algérie

dépasser le contentieux historique

texte de pétition

Le passé colonial ne cesse de resurgir, faisant obstacle à des relations apaisées entre la France et les pays qu’elle a autrefois colonisés. Dans ce passé, l’Algérie a une place particulière, en raison des drames qui s’y sont déroulés. Aujourd’hui encore, trop souvent, l’évocation de la guerre d’indépendance algérienne (1954-1962) est soumise à la concurrence des victimes, avec leurs souffrances et leurs mémoires, alors que l’ensemble des citoyennes et citoyens des deux rives de la Méditerranée aspirent à passer à autre chose. Mais pour construire un avenir de partage, il faut, au présent, voir en face le passé.

L’histoire apprend, au premier chef, que le système colonial, en contradiction avec les principes affichés par la République française, a entraîné des massacres de centaines de milliers d’Algériens ; et qu’il les a dépossédés, «clochardisés» – pour reprendre le terme de Germaine Tillion – à une grande échelle, exclus de la citoyenneté, soumis au Code de l’indigénat, et sous-éduqués, au déni des lois en vigueur. Mais, aussi, qu’il y eut de multiples souffrances de Français, parfois déportés en Algérie pour raisons politiques, ou embrigadés dans les guerres coloniales, ou encore pris dans un système dont ils sont devenus, à son effondrement, les victimes expiatoires – comme l’ont été les harkis, enrôlés dans un guêpier qu’ils ne maîtrisaient pas –, sans compter ceux qui ont soutenu l’indépendance algérienne et qui en ont payé le prix.

Quelles qu’aient été les responsabilités de la société, c’est bien la puissance publique française qui, de la Restauration en 1830 à la Ve République en 1962, a conduit les politiques coloniales à l’origine de ces drames. Sans omettre la complexité des phénomènes historiques considérés, c’est bien la France qui a envahi l’Algérie en 1830, puis l’a occupée et dominée, et non l’inverse : c’est bien le principe des conquêtes et des dominations coloniales qui est en cause.

En même temps, nous sommes attentifs aux pièges des nationalismes et autres communautarismes qui instrumentalisent ce passé. Ainsi qu’aux pièges d’une histoire officielle qui utilise les mémoires meurtries à des fins de pouvoir, figeant pour l’éternité la France en puissance coloniale et l’Algérie en pays colonisé. Et c’est précisément pour les déjouer – comme pour déjouer les multiples formes de retour du refoulé – que nous voulons que la souffrance de toutes les victimes soit reconnue, et qu’on se tourne enfin vers l’avenir. Cela ne peut être accompli par des entreprises mémorielles unilatérales privilégiant une catégorie de victimes, mais par un travail historique rigoureux, conçu notamment en partenariat franco-algérien.

Plus fondamentalement, dépasser le contentieux franco-algérien implique une décision politique, qui ne peut relever du terme religieux de «repentance». Et des «excuses officielles» seraient dérisoires. Nous demandons donc aux plus hautes autorités de la République française de reconnaître publiquement l’implication première et essentielle de la France dans les traumatismes engendrés par la colonisation en Algérie. Une reconnaissance nécessaire pour faire advenir une ère d’échanges et de dialogue entre les deux rives, et, au-delà, entre la France et les nations indépendantes issues de son ancien empire colonial.

Paris-Alger, le 28 novembre 2007

 

Pour celles et ceux qui souhaiteraient se joindre à cet appel :
- allez sur le site de la Ligue des Droits de l’Homme de Toulon (procédure de signature électronique) en indiquant vos nom et qualités.
- ou envoyez un mail à France.algerie@mailfr.com

Sidi_Ferruch_1830

 

présentation

Cette pétition résulte d'une initiative de jeunes historien(ne)s français(e)s (comme Eric Savarèse, Sylvie Thénault et Raphaëlle Branche), de Pierre Sorlin, Omar Carlier, François Gèze, Gilles Manceron, Tewfik et Brigitte  Allal et moi-même. Elle a reçu notamment l’accord de Hocine Aït Ahmed, de Abdelhamid Mehri, de Mohammed Harbi et de Benjamin Stora (ci-dessous la liste du noyau des premiers signataires), etc.

Au-delà de la critique des politiques mémorielles et des histoire officielles, ce texte est une adresse politique aux plus hautes autorités de la République française aux fins de “reconnaissance de l'implication première et essentielle des traumatismes engendrés par la colonisation en Algérie” – une adresse faite en commun par des Français et des Algériens, mais aussi par quelques autres ( Tunisiens...) qui estiment que le devenir de relations apaisées entre les deux pays est important.

Des personnalités politiques algériennes et françaises ont été pressenties pour signer cette pétition. Elle a été publiée le 1er décembre 2007 par les journaux suivants : Al Khabar (en arabe), El Watan, Le Quotidien d'Oran, L'Humanité et Le Monde.

Gilbert Meynier

 

parmi les premiers signataires

Hocine Aït Ahmed, Zineb Ali-Benali (professeur de lettres, université de Paris 8), Tewfik Allal (typographe, syndicaliste), Henri Alleg, Brigitte Bardet-Allal, professeur de lettres), Fethi Benslama (psychanalyste), Fatima Besnaci-Lancou (éditrice), Sophie Bessis (historienne), Simone de Bollardière, Mourad Bourboune (écrivain), Raphaëlle Branche (historienne, MC à la Sorbonne-Paris-I), Rony Brauman (médecin), Pierre Brocheux (historien, professeur, université Paris 7), Omar Carlier (historien, professeur université Paris 7), Alice Cherki (psychanalyste, Paris), Catherine Coquery-Vidrovitch (historienne, professeur émérite à l'université de Paris VII), Jocelyne Dakhlia (historienne, EHESS), Nicole Dreyfus (avocate), Driss El Yazami (journaliste, secrétaire général FIDH), Nabile Farès (psyvhanalyste, écrivain), Jacques Frémeaux (historien, Professeur à la Sorbonne-Paris IV), Jean-François Gavoury (président association des victimes de l'OAS), François Gèze (directeur des éditions La Découverte), Sadek Hadjeres (responsable politique), Mohammed Harbi (historien, professeur émérite à l'université de Paris 8), Ghazi Hidouci (économiste, ancien ministre), Badié Hima (philosophe), Jean-Charles Jauffret (historien, Professeur à l'IEP d'Aix en Provence), Feriel Lalami (politologue), Alban Liechti (association cause anticoloniale), Gilles Manceron (historien, Ligue des Droits de l'Homme), Abdelhamid Mehri (ex-secrétaire général du FLN), Arezki Metref (écrivain, journaliste), Gilbert Meynier (historien, professeur émérite à l'université de Nancy 2), Nadir Moknèche (cinéaste), Me Jean-Philippe Ould-Aouadia (président de l'association Marchand, Feraoun et leurs compagnons), Hassan Remaoun (historien, université d'Oran), Noureddine Saadi (juriste, écrivain), Eric Savarèse (MC de Sciences politiques, université de Perpignan Via Domitia), Ouanassa Siari-Tengour (historienne, université Mentouri, Constantine), Charles Silvestre (journaliste, L'Humanité, iniateur de l'Appel des douze), Pierre Sorlin (historien, professeur émérite à l'université de Paris III-Sorbonne nouvelle), Benjamin Stora (historien, professeur à l'INALCO), Wassyla Tamzali (écrivain), Sylvie Thénault (historienne, chargée de recherche, CNRS)

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12 décembre 2007

au sujet du livre de Benjamin Stora, "La guerre des mémoires"

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une vraie réflexion

sur les contorsions de mémoires

Nathalie GALESNE

 

profile«Benjamin Stora, souligne astucieusement Thierry Leclère, sait d’où il parle. Juif d’Algérie, né à Constantine…, il a gardé en héritage de cette saga familiale heurtée une indéracinable foi en la République, quasi mystique. Doublée d’une grande sensibilité aux minorités et d’une allergie aux dénis de justice». Thierry Leclère, lui, est journaliste, grand reporteur à Télérama, réalisateur de documentaires. Les deux hommes se sont bien trouvés. Le livre d’une fluidité rare, vu les concepts qu’il soulève, se lit d’un trait, au rythme d’une parole vivante irriguée par la clarté de l’analyse à laquelle sont soumis les faits historiques, et le décryptage du présent.

Ce petit ouvrage d’une centaine de pages tombe à point nommé. Sur fond de campagne électorale aux relents parfois haineux où la France se révèle scindée en deux, il permet de dépasser les stéréotypes pour enclencher une vraie réflexion sur les contorsions de mémoires et les soubresauts identitaires qui agitent l’hexagone, l’être français, et plus généralement sur le malaise qui traverse la France depuis plusieurs décennies. Il faut dire que cette grande dame républicaine, tantôt affublée d’une oublieuse mémoire, tantôt victime de «saignements mémoriels» a du mal à rassembler toutes ses ouailles sous ses sacro-saints principes fondateurs.

Que s’est-il passé ? Pourquoi la France a failli, par les exactions qu’elle a commises dans ses colonies, à ses valeurs républicaines et n’a toujours pas achevé le deuil de son empire colonial ? «Harkis, pieds noirs, descendants d’esclaves ou petits-enfants de colonisés… La guerre des mémoires enfle. Chaque communauté, réelle ou autoproclamée, réclame une stèle, un mémorial, une loi. Pourquoi ce débat s’est-il réveillé depuis quelques années ?» interroge Leclère. Benjamin Stora répond tout d’abord par un constat simple : la France, c’est aujourd’hui 18 millions d’individus qui ont des ascendants étrangers, huit millions environ de Français sont issus des anciennes colonies, soit le double par rapport aux années 1980. Or, il ne fait pas bon vivre en douce France 1196776476602_1_0quand on s’appelle Mohamed, Yasmina ou Abdou, que l’on cherche un emploi ou un logement, et que l’on bute quasi systématiquement sur des refus qui passent en boucle la même rengaine d’exclusion.

«Les jeunes issus de l’immigration essentiellement maghrébine et africaine, explique Benjamin Stora, se posent des questions sur leurs origines et sur les raisons des discriminations dont ils sont victimes.(…) La troisième génération qui arrive aujourd’hui revendique plus d’égalité politique ; les jeunes de l’immigration post-coloniale veulent être français à part entière. Ils ne supportent plus le regard porté sur eux, et lorsqu’ils réfléchissent au pourquoi des discriminations, ils se heurtent inévitablement à l’histoire coloniale. Ils y retrouvent des processus semblables de ségrégation et de mise à l’écart. C’est pourquoi leurs revendications et leurs interrogations sur le passé colonial viennent aujourd’hui bousculer la société française, ses élites, ses intellectuels, ses historiens».

Au coeur de ses mémoires en souffrances, entre amnésie et surenchère, dans «cette foire d’empoigne» de mémoires antagonistes, la guerre d’Algérie se fraye la place d’honneur. Longtemps, massacres et torturesmedium_hollande_314456_tn perpétrés par l’armée française sur les Algériens ont en effet été gommés des discours officiels. Tous les partis politiques ont fait jouer l’oubli. Le général De Gaulle en premier lieu, qui compensa la défaite coloniale et la perte de l’empire en confectionnant à la France un nouvel habit de leader du tiers monde. La gauche aussi passa sous silence ses responsabilités durant la guerre d’Algérie puisque ce fut «le gouvernement de Guy Mollet qui remit, en 1956, les pouvoirs spéciaux à l’armée, et François Mitterrand était ministre de la justice à l’époque où l’on pratiquait la torture». Or, il faudra attendre les déclarations de François Hollande, premier secrétaire du parti socialiste, pour qu’un regard critique soit enfin porté «au nom du Parti socialiste» sur l’implication historique de son parti. En attendant, le trou de mémoire qui a prévalu en France, au lendemain de l’indépendance algérienne, a entraîné un véritable problème de retransmission : rien de cette page de l’histoire dans les manuels scolaires, aucune excuse n’a été adressée par la France au peuple algérien, d’ailleurs aucun recours n’a été possible pour les victimes du colonialisme grâce aux lois et au décrets d’amnistie signés par l’État français.

Cet évitement est symptomatique d’une incapacité de tourner réellement la page de la décolonisation, et d’accepter pleinement la perte de l’Algérie française. Grande blessure narcissique, «la perte de l’empire a conduit à une crise du nationalisme français qu’on a essayé de dissimuler», commente Benjamin Stora. Quelques 50 ans plus tard, ce symptôme ressurgit dans la loi du 23 février 2005 louant le rôle positif du colonialisme, et sur laquelle Jacques Chirac dut faire marche arrière. Comment envisager alors une réconciliation aboutissant à la construction d’un récit national qui prendrait en compte toutes les composantes de la société française ? En évitant le simplisme, propose Stora, celui par exemple d’un Nicolas Sarkosy regrettant, lors de son discours à Alger en 2006, «les souffrances des deux côtés», alors que la guerre d’Algérie fit au moins 10 fois plus de victimes côté algérien (400 000 morts minimum). Le simplisme, c’est aussi celui du fameux choc des civilisation que réfute l’historien : «Tout le monde récuse ‘le choc des civilisations’, mais en réalité, beaucoup d’intellectuels s’inscrivent totalement dedans. Je pense qu’il faut, au contraire, trouver des espaces de convergence. C’est ma ligne de conduite. Je veux être un passeur entre les deux rives. Mais pour certains, c’est déjà suspect. Dès qu’on veut entrer dans la complexité de ce monde situé au sud, on est tout de suite taxé de complaisance, On nous oblige à choisir un camp, à être dans une logique de guerre».

Rama_Yade_Rachida_Dati_y_Bernard_KouchnerPour Stora prendre en compte cette complexité ne signifie à aucun moment abandonner les valeurs de la république française auxquelles il aspire plus que jamais : «Dans ma conception, explique-t-il, la République débarrassée du système colonial, doit s’enrichir des minorités. Je crois au multiculturel, c'est-à-dire au brassage des identités». En revanche, Stora dénonce le trop plein mémoriel qui pousse certains groupes à ressasser l’histoire sans jamais parvenir à la métaboliser : «On peut étouffer sous le poids de l’histoire, dit-il. La posture victimaire devient un danger quand elle conduit à la passivité et à l’enfermement identitaire».

Malgré la pertinence des questions formulées par Thierry Leclère et la finesse des analyses proposées par Benjamin Stora, on sera en droit de leur reprocher de ne pas avoir suffisamment pris en compte les répercussions de la guerre en Irak, ou du conflit israélo-palestinien sur les populations d’origine maghrébine vivant en France. Ce sont pourtant ces grands conflits qui entretiennent, tel un feu sans cesse ravivé, la mémoire meurtrie des millions de musulmans qui participent de «ce malheur arabe» auquel Samir Kassir a consacré son dernier ouvrage. Cette remarque faite, La guerre des mémoires n’en reste pas moins un livre essentiel à lire d’urgence pour comprendre dans toute sa complexité et toute sa profondeur historique l’identité multiple des Français d’aujourd’hui.

Nathalie Galesne (6 mai 2007)
bibliographie

- cf. le compte-rendu de Jean-Pierre Renaud

 

compositionHoriz
en lien : bibliographie de Benjamin Stora

 

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10 novembre 2007

Colonisations et répressions, XIX°-XX°siècles (colloque Sedet)

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Colloque International

Colonisations et répressions

XIXe - XXe siècles

Paris, 15-17 novembre 2007

 

 

Laboratoire Sedet – UMR CNRS 7135
Université Paris Diderot-Paris 7
Lieu du colloque :
Salle des Thèses – 2ème étage
Immeuble Montréal – 103 rue de Tolbiac / 59 rue Nationale
75013 PARIS

 

PROGRAMME

Jeudi 15 novembre 2007

13h30 - Accueil

14h00 – 18h30

Introduction : Chantal Chanson-Jabeur et Faranirina Rajaonah

1)    Les expressions de la répression brutale :

Rapporteur : D. HEMERY
T. Rakotondrabe (Univ. Toamasina) :  Les insurgés face aux militaires dans le district de Brickaville (Est de Madagascar) en 1947
• Catherine Coquery-Vidrovitch (Sedet)  (contribution écrite)  : Violence coloniale en AEF : Les “scandales du Congo” et ses suites
• Maher Charif (IFPO Damas) : Comment les Autorités du mandat britannique ont étouffé la révolte de 1936-1939 en Palestine
• Jean Martin (Univ.Lille) : La répression des mouvements de résistance aux Comores (1856-1891)
• Benjamin Stora  (Sedet/Inalco) : D’une répression à l’autre, le Nord Constantinois en 1945 et 1955
• Ouarda Siari-Tengour (Université de Constantine) : L’affaire Sidi Ali Bounab, septembre 1949
• Clotilde Jacquelard (Université d’Orléans) : Une explosion xénophobe, le massacre des chinois de Manille par les Espagnols en 1603
• Andreas Eckert (Univ. de Berlin) : Un système colonial exceptionnellement répressif ? Violence, répressions et l’Etat dans les colonies allemandes
        Discussion et débats

2) Les instruments de la répression ordinaire :

        A –
Rapporteur : I. THIOUB
• Sylvie Thénault (Centre d’Histoire Sociale du XXe siècle) : L’internement pendant la guerre d’Algérie
• Daniel Hémery (Sedet) : Poulo Condore l’archipel inversé
• Habib Belaid (ISHMN Tunis) : La prison civile de Tunis à l’époque coloniale : politique pénitentiaire et résistance (1906-1956)
• Omar Carlier (Sedet) : Le camp d’internement de Djenien Bouerezg dans l’Algérie de Vichy (1940-1943), lieu de répression et école de formation politique
• Alain Rouaud (Sedet) : Le bagne d’Obock entre mer et désert
        Discussion et débats

 

Vendredi 16 novembre 2007

9h00 – 12h30
                        B – Les appareils :
Rapporteur : A. FOREST   
• Nicolas Bancel (Univ. Strasbourg II/Univ. Lausanne) : Transmission de l’appareil policier de l’État colonial aux exécutifs territoriaux en 1957 en AOF
• Yoshiharu Tsuboï (Université Waseda, Tokyo) : La gendarmerie japonaise (Kenpei) et les répressions dans les régions colonisées – Mandchourie et Indochine – pendant la Seconde Guerre mondiale
• Joël Glasman (Doctorant Sedet) (contribution écrite) : Policer «le pays des 25 coups». Stratégies sécuritaires et police coloniale au Togo (1884-1939)
• Samuel Sanchez (Doctorant Sedet) : Escarmouches, prises d’otages. Stratégies de conquêtes et de soumission dans les petites colonies françaises de Madagascar et des Comores (1818-1885)
• Dominique Bois (Sedet) : La police à Diego Suarez
• Naoyuki Umemori (Université de Waseda, Tokyo) : On some characteristics of Japenese colonial government in Korea : Collusive relationship between nation state and colonial state
• Patrice Morlat (Sedet) et Charles Fourniau (Université d’Aix-Marseille)  :  Mouvement national et appareils  répressifs en Indochine (1905-1925)
• Amadou Ba (Doctorant Sedet) : Le rôle des tirailleurs sénégalais dans la répression dans l’Empire colonial français
        Discussion et débats

                        C – Législation :
Rapporteur : T. RAKOTONDRABE
• Laurent Manière  (Docteur - Sedet) : Code de l’Indigénat en AOF (1887-1946)
• Alain Tirefort (AIHP – UAG Martinique) : Une législation coercitive comme réponse à l’abolition de l’esclavage : la main-d’œuvre carcérale à la Martinique sous le second Empire
• Pierre Ramognino  (IHTP) : La répression en  AOF dans les colonies françaises sous l’autorité du régime de Vichy (1940-1943)
        Discussion et débats

Déjeuner buffet

14h30 – 18h30

    3) Violences coloniales et sociétés locales :

A – Culture et religion :
Rapporteur : J. WEBER
• Faranirina Rajaonah (Sedet) : Histoire exclue, histoires revisitées. Enseignement et autres apprentissages de l’histoire  à Madagascar de 1916 à 1951
• Didier Nativel (Sedet) : Ségrégation, répressions politiques et culturelles à Lourenço Marques (des années 1940 à 1975)
• Abdelmadjid Merdaci (Université de Constantine) : Constantine et son double, les territoires de l’autre et de l’interdit
• Isabel Castro Henriques (Univ. de Lisbonne) Dynamiques africaines d’autonomisation en situation coloniale : l’exemple angolais

B – Presse, cinéma et médias :
Rapporteur : J. WEBER
• Odile Goerg (Sedet) : Cinéma et censure en Afrique coloniale française   
• Lucile Rabearimanana (Université d’Antananarivo) : Censure de presse et répression  du mouvement nationaliste après l’insurrection de 1947 à Madagascar
• Jamaa Baïda (Université de Rabat) : La presse écrite sous le Protectorat français au Maroc : un régime d’état de siège
        Discussion et débats

Samedi 17 novembre 2007
9h00 – 13h00

C – Travail et migrants :
Rapporteur : O. SIARI-TENGOUR
• Pierre Brocheux (Sedet) : La répression dans le monde du travail en Indochine
• Eric Guerassimoff (Sedet) : Répression des activités politiques des émigrés chinois à Singapour et en Malaisie entre les deux guerres
• Anissa Bouayed (Sedet) : Répression et  presse : faire état de la répression syndicale, une prise de risque
• Issiaka Mandé (Sedet) : Violences coloniales, violence au quotidien : le travail forcé en AOF
• Jean-Michel Mabeko-Tali (Howard University) :  Nkayi, ou la mémoire de violence : la corvée du transport fluvial dans le Nord Congo, sous la colonisation française
• Chantal Chanson-Jabeur (Sedet) :  Conflit syndical et répression brutale : le 5 août 1947 à Sfax (Tunisie)
• Daouda Gary-Tounkara (docteur Sedet) : Violences coloniales, migrations des sujets de l’AOF et représailles des résistants. Les peuples de la zone forestière face à la «pacification» de la Côte d’Ivoire (1903-1915)
        Discussion et débats

4) Décolonisation : discours et aspects contemporains de la répression coloniale
Rapporteur : Y. TSUBOI    
Alessandro Triulzi (Université de Naples) : Les silences de l’outre-mer : les pièges de la mémoire coloniale italienne
• Monique Chemillier-Gendreau (Sedet) (communication écrite) : La colonisation au regard du droit international
• F. Angleviel (Univ. de Noumea) : Autochtones et répression en Nouvelle Calédonie
• Alain Ruscio : L’image fausse de la décolonisation «pacifique» de la Tunisie, 1950-1956
• Anne Marchand : Légitimes, illégitimes ? Les violences coloniales sous le regard de la presse française : le cas du Maroc (1950-1956)
• Jacques Weber (Univ. Nantes) : La répression coloniale  au Bangladesh en 1971
• Marion Libouthet (Doctorante Univ. Nantes) : La répression coloniale  au Tibet depuis 1950
        Discussion et débats

13h00 – 13h30 Synthèse : A. Forest et P. Morlat

 

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RÉSUMÉS DES INTERVENTIONS

 

 

1) Les expressions de la  répression brutale

T. Rakotondrabe (Univ. Toamasina)
Les insurgés face aux militaires dans le district de Brickaville (Est de Madagascar) en 1947
Les commémorations du soixantième anniversaire des «évènements» au mois de mars 2007 ont, une fois de plus, montré que 1947 est toujours  l’objet d’amalgames, tant de la part des officiels que des survivants, notamment dans la présentation des différents niveaux de la répression. Il s’avère plus que jamais nécessaire de distinguer dans 1947 différents «évènements» auxquels correspondent différents types de répression. Il y a d’abord l’insurrection proprement dite à laquelle le pouvoir colonial répond par une campagne de répression militaire dans les zones rurales concernées. Ensuite, une répression policière en milieu urbain qui, sous prétexte de l’insurrection, vise à réduire au silence les appareils régionaux et l’organe national du MDRM. Enfin, le pouvoir colonial s’attelle à criminaliser  les acteurs de ces différents évènements par une répression judiciaire sans précédent. L’insurrection étant au cœur des évènements de 1947, l’étude des modalités de la répression militaire est intéressante à plus d’un titre. Partant d’une monographie de l’insurrection dans le district de Brickaville sur la côte est de Madagascar, nous tenterons de dégager en premier lieu les principales caractéristiques d’une «rébellion» anti-coloniale et rurale. Nous procèderons, dans un deuxième moment, à l’analyse des moyens (militaires, politiques et psychologiques) que le pouvoir colonial déploie dans sa campagne de reconquête coloniale. L’hypothèse sous-jacente à notre démarche étant qu’aussi bien l’insurrection que sa répression illustre bien la place centrale de la violence en situation coloniale.


Catherine Coquery-Vidrovitch (Sedet) (contribution écrite)
Violence coloniale en AEF. Les «scandales du Congo» et ses suites
En 1903, le journaliste britannique Edmund Morel contribue à lancer une campagne européenne internationale contre les abus du «caoutchouc rouge» de l’État indépendant du Congo (futur Congo belge) alors soumis au pouvoir discrétionnaire du roi des Belges. Côté Congo français, les abus sont réputés moins criants. Néanmoins ils existent, et le ministre des Colonies était au courant, qui les étouffa au nom de la raison d’État. En témoigne l’action courageuse et indignée d’un tout jeune administrateur colonial face aux exactions de la compagnie concessionnaire La Mpoko, qui exerçait son privilège aux confins du Congo et de l’Oubangui-Chari (République centrafricaine actuelle). Celui-ci a témoigné plus de cinquante ans après les faits, précisant ainsi ce qui n’était pas inscrit dans des archives par ailleurs oubliées jusqu’alors. Cette communication précisera les tenants et les aboutissants de l’affaire, qui concernait l’assassinat de quelque 1 500 « indigènes » et se conclut en 1909 par un non-lieu.


Maher Charif (IFPO Damas)
Comment les Autorités du mandat britannique ont étouffé la révolte de 1936-1939 en Palestine
La révolte de 1936-1939 en Palestine a été, comme le remarque à juste titre Ghassan el Khazen dans son ouvrage La grande révolte de 1936 en Palestine (Beyrouth, Éditions Dar An-Nahar, 2005), un des soulèvements anti-coloniaux les plus importants que l’empire britannique a affrontés dans l’entre-deux grandes guerres. Déclenchée au milieu d’une vague révolutionnaire anti-coloniale qui a déferlé sur de nombreux pays arabes, elle a été le terme de l’accumulation des sentiments faits de colère et de frustration, chez les Arabes Palestiniens, ainsi que l’expression de l’échec des tentatives menées, pendant deux décennies, par la classe dirigeante arabe, pour inciter les autorités du mandat à tempérer leur soutien au projet d’établissement d’un foyer national juif en Palestine.
Cette révolte, dans laquelle la classe des paysans arabes a joué un rôle déterminant, est passée par deux étapes : la première qui débute avec la grève générale déclenchée le 20 avril 1936, et qui s’accompagne d’une lutte armée, à partir du milieu du mois de mai, se termine avec la fin de la grève, le 12 octobre 1936 ; tandis que la deuxième, la plus violente, commence fin septembre et ne s’achève qu’avec la fin du printemps 1939. Quant à ces objectifs, ils ont été clairement formulés par : l’arrêt total de l’immigration juive ; l’interdiction totale de passage des terres arabes aux mains des juifs ; la constitution d’un gouvernement national représentant toutes les parties de la population, en vue de mettre fin au mandat et établir un traité avec la Grande-Bretagne, à l’instar du traité conclu, en 1936, entre la Syrie et la France.
Je propose, dans ma communication, de montrer comment les autorités du mandat britannique ont réussi, en recourant aux mesures de violence les plus féroces et aux diverses manœuvres politiques, à étouffer cette révolte à la veille de la deuxième guerre mondiale.
Pour cela, je vais m’appuyer sur des sources arabes contemporaines des faits, sur quelques rapports publiés par les commissions d’enquêtes britanniques, ainsi que sur des études consacrées à cette révolte.


Jean Martin (Univ. Lille)
La répression des mouvements de résistance aux Comores (1856-1991)
En 1843, la France prit possession de l’île de Mayotte, île la plus orientale du groupe des Comores, dont elle fit, après bien des atermoiements, une petite colonie sucrière. Les marins français placèrent ensuite l’île de Mohéli sous une quasi-tutelle puis en 1886, les trois îles de Mohéli, Anjouan et la Grande Comore furent officiellement placées sous protectorat français.
La domination coloniale fut mal accueillie par les populations et suscita des mouvements de résistance qui furent assez durement réprimés : là comme ailleurs le pouvoir colonial dut recourir à la politique de la canonnière. Nous avons retenu trois exemples : dès 1856, à Mayotte, la politique de confiscation du sol et d’exploitation des travailleurs «engagés libres» provoqua un soulèvement dont la garnison locale put assez rapidement venir à bout. Quelques condamnations de meneurs s’ensuivirent.
En 1867, à Mohéli, la jeune reine Djoumbé Fatima qui avait inconsidérément livré son île au planteur français Joseph Lambert s’engagea dans une politique de résistance qui valut à sa capitale, le village de Fomboni, d’être bombardée à deux reprises (1867 et 1871).  À Anjouan enfin, le protectorat français fut refusé par les insulaires dont les sympathies étaient acquises à la Grande Bretagne, qui avait promis de veiller à l’abolition de l’esclavage. Au début de l’année 1891, la mort du sultan Abdallah III marqua le début d’une guerre civile : esclaves et paysans pauvres des hauts pillèrent la capitale Mutsamudu, et formèrent un pouvoir révolutionnaire qui porta à sa tête le prince Saïd Othman. Un corps expéditionnaire venu de la Réunion écrasa le soulèvement, mais l’autorité française dut proclamer l’abolition immédiate de l’esclavage, intégration d’une revendication des insurgés.


Benjamin Stora (Sedet/Inalco)
D’une répression à l’autre, le Nord Constantinois en 1945 et 1955
En mai 1945 et en août 1955, dans le territoire du Constantinois, situé dans l’Est algérien, deux grandes répressions ont eu lieu faisant des milliers de victimes. En mai 1945, les répressions dans les villes de Sétif et de Guelma, et leurs environs, se sont produites à la suite de la victoire contre le nazisme, et la fin de la seconde guerre mondiale. Les chiffres de victimes varient de 45 000 morts (avancés par les nationalistes algériens) à 1500 morts (avancées par des sources militaires françaises). En août 1955, la grande répression dans les villes de Skikda (Philippeville), Annaba (Bône), Constantine, a provoqué la mort de 12 000 personnes, selon les nationalistes du FLN. Cet événement a marqué un véritable tournant de la guerre d’Algérie.
Cette communication traitera des questions suivantes : pourquoi les plus grands massacres d’Algériens, dans l’histoire du XXe siècle, se sont-ils déroulés dans cette région de l’Est de l’Algérie ? Pourquoi une répétition des formes de violence, par les colonisés et la puissance coloniale, à dix ans seulement d’intervalle, dans cette région particulière ? Quelles traces ces répressions dans le Nord Constantinois ont-elles laissé dans la mémoire collective des Algériens ?


Ouarda Siari-Tengour (Univ. de Constantine)
L'affaire Sidi Ali Bounab, septembre 1949
En septembre 1949, la recherche d'un insoumis – que l'on suppose réfugié au douar Sidi Ali Bounab (Kabylie) –  a mobilisé un détachement de la gendarmerie qui s'est livré à une opération de ratissage en règle. Rien ne fut épargné aux habitants: perquisitions, saccages des gourbis, brutalités contre les hommes et les femmes dont plusieurs furent violées.
Alerté, le journal Alger Républicain diligenta une enquête et livra à l'opinion publique un compte-rendu détaillé de "l’expédition de Sidi Ali Bounab".
Revenir sur le récit des évènements qui ont bouleversé la vie quotidienne à Sidi Ali Bounab (de nombreuses familles quittent le village) est l'occasion d'essayer de comprendre moins la logique de la violence coloniale que la dynamique des changements, survenus du côté des colonisés.


Clotilde Jacquelard (Univ. d’Orléans)
Une explosion xénophobe, le massacre des Chinois de Manille par les Espagnols en 1603
Trente ans après la conquête de Manille, les Espagnols réprimèrent dans le sang, en octobre 1603, plus de vingt mille Chinois, ou sangleys, révoltés contre leur autorité.
Outre l’éclaircissement des causes immédiates qui déclenchèrent l’évènement et des conséquences que celui-ci provoqua sur la situation de la colonie espagnole des Philippines, l’étude de ce massacre oblige l’historien à réfléchir tout d’abord sur la coexistence entre ces deux communautés humaines dans l’archipel, et à mettre en lumière la position géopolitique inédite des Philippines à la fin du XVIe siècle, propulsées au cœur des tensions régionales en mer de Chine méridionale.


Andreas Eckert (Univ. de Berlin)
Un système colonial exceptionnellement répressif ? Violence, répressions et l’état dans les colonies allemandes
Cette contribution analyse l’exemple des colonies allemandes en Afrique, le rôle de la violence et des mesures répressives au cours de la création et de la consolidation de l’Etat colonial dans l’Afrique allemande. Dans les colonies allemandes, l’autorité coloniale était toujours précaire, et la violence n’était pas l’expression du pouvoir omnipotent des colons, mais plutôt de leur faiblesse. C’est pourquoi les Allemands ont choisi une politique de ‘la terreur sélective’ : des massacres, la destruction complète de quelques villages, des pendaisons publiques. La violence coloniale s’est traduite également dans les modes de ségrégation spatiale (le cas de Douala est significatif dans ce contexte) et dans des pratiques juridiques souvent extrêmement racistes. Une partie considérable de ma communication sera consacrée aux deux grandes guerres coloniales quasi-génocidaires : la guerre de l’armée coloniale allemande contre les Héréro et Nama en Afrique Sud-Ouest (Namibie) et la guerre Maji Maji en Afrique de l’Est. Nous allons analyser causes, course et conséquences de ces guerres et surtout les stratégies et la résistance des colonisés. Finalement, on va essayer de mettre la violence dans les colonies allemandes dans le contexte plus large de la violence coloniale au vingtième siècle pour discuter deux questions générales : Est-ce qu’il y avait des pratiques violentes «typiquement allemandes» ? Dans quelle mesure la violence coloniale avait-elle des répercussions dans les sociétés métropolitaines ?



2) Les instruments de la répression ordinaire


A – Camps et internements

Daniel Hémery (Sedet)
Poulo Condore, l’archipel inversé
Bagne modèle de l’univers pénitentiaire colonial dans sa version française, Poulo Condore a été, précocement et durablement, l’un des sous-systèmes essentiels des structures coercitives modernes qu’en Indochine la colonisation a tenté d’acclimater à partir du milieu du XIXe siècle, au lieu et place des modes de répressions antérieurement à l’œuvre.
À la fois espace carcéral, terre de violence et de souffrance, entreprise semi-autarcique, Poulo-Condore a été aussi, et plus qu’aucun des autres bagnes indochinois, un concentré des tensions permanentes, souvent paroxystiques, entre captifs et gardiens. Au point de devenir à partir des années 1930 l’un des foyers paroxystiques, entre captifs et gardiens. Au point de devenir à partir des années 1930 l’un des foyers paradoxaux où se subvertit de l’intérieur l’enfermement colonial


Habib Belaid (ISHMN Tunis)
La prison civile de Tunis à l’époque coloniale : politique pénitentiaire et  résistance, 1906-1956
Parmi les établissements pénitentiaires de la Tunisie coloniale (prison militaire, prison du Bardo, Pénitencier du Djouggar, camps de détention, etc.), la Prison civile de Tunis occupe une place importante dans le dispositif de répression coloniale.
Construite en 1906 pour remplacer l’ancienne prison située dans la Médina de Tunis, devenue trop exiguë et source d’épidémies, la Prison civile de Tunis a été pour les nationalistes tunisiens, un haut lieu de la résistance anticoloniale.
Basée sur les archives officielles et sur quelques témoignages d’anciens prisonniers, cette étude tente de montrer comment la détention (politique essentiellement) a été gérée par les autorités coloniales, face à la montée du mouvement nationaliste en Tunisie. Ainsi, nous nous proposons d’étudier ce lieu de détention selon deux axes :
- la politique pénitentiaire coloniale ;
- la résistance dans la prison, comme les mouvements de grève et de solidarité.



Alain Rouaud (Sedet)
Le bagne d'Obock entre mer et désert
L'offre et la demande se sont conjuguées pour conduire à la création du bagne d'Obock, à l'entrée nord du golfe de Tadjoura, dont l'existence, en tout cas comme bagne colonial, a été éphémère, une décennie, de 1886 à 1895.
La demande ? ... fournir une main-d'œuvre peu coûteuse pour la construction du chef-lieu d'une colonie naissante qui sera l'Etablissement d'Obock, puis la Côte française des Somalis et enfin, à partir de 1967 le Territoire français des Afars et des Issas (avant d'accéder à l'indépendance en 1977 sous le nom de République de Djibouti). L'offre ? ... trouver un lieu de détention proche pour les condamnés des cours de justice des comptoirs de l'Inde, de la Réunion et de Sainte-Marie. L'ancienne factorerie Paul Soleillet, seul bâtiment en dur de l'embryon de ville qu'est alors Obock, est aménagé pour accueillir les transportés dont le nombre n'excédera pas 200. Ils sont affectés à différents travaux, mais leur garde par manque d'effectif est plus assurée par le désert environnant et la mer que par les hommes. Les évasions ne sont cependant pas rares et les décès fréquents.
Mais la décision de transférer le chef-lieu de la colonie sur la rive sud du golfe est bientôt prise. La nouvelle ville, Djibouti, sera reliée par un chemin de fer à Addis-abeba et équipée d'un port fréquenté. La surveillance de détenus serait dès lors trop aléatoire. À partir de 1891 des mesures sont prises pour transférer les bagnards survivants en Guyane. Les bâtiments du bagne seront toutefois plus tard utilisés comme lieu de détention civil ou militaire.
Le but de cette communication est, sur la base de travaux déjà publiés, de signaler ce bagne colonial peu connu et peu étudié.


B – Les appareils

Nicolas Bancel (Univ. Strasbourg II/Univ. Lausanne)
Transmission de l'appareil policier de l'État colonial aux exécutifs territoriaux en 1957 en AOF
L'évolution institutionnelle et politique de l’Afrique occidentale française (AOF) au milieu des années 1950 témoigne d’un changement de cap radical de la gouvernementalité coloniale. Après la défaite d’Indochine, sur fond de guerre d’Algérie et d’incertitudes au Maroc et en Tunisie, des réformateurs coloniaux – tels H. Teitgen puis G. Defferre –, réalisent l’urgence de penser une solution politique qui évite, autant que possible, l’usage de la force militaire.
En effet, à ces facteurs extérieurs s’ajoute la congruence d’une série de crises qui attestent de l’évolution politico-sociale très rapide de la fédération. Crise, d’une part, de la fonction publique africaine, désormais encadrée syndicalement, et qui se solde par plusieurs mouvements de grève où les mots d’ordre corporatistes le dispute à une rhétorique nationaliste de plus en plus présente. Crise également dans la jeunesse urbaine et lettrée – étudiants en France et à Dakar, scolaires dans toute l’AOF –, dont la radicalisation politique inquiète fortement les services de police et de renseignements. Crise budgétaire enfin, maintenant prévisible grâce aux premières projections budgétaires réalisées au début des années 1950.
C’est dans ce contexte que vont être promulguées les réformes décisives de la loi-cadre en 1956-1957, qui reconfigurent complètement le paysage institutionnel de l’AOF, redéfinissent les rapports de pouvoirs entre la métropole et la fédération, et modifient en profondeur l’adossement du pouvoir colonial à certains groupes sociaux d’AOF.
C’est le triomphe du principe d’association, longtemps évoqué mais jamais véritablement mis en œuvre dans la fédération. Celui-ci comprend des transferts de pouvoir non négligeable vers les nouvelles élites colonisées, et, dans ces transferts, sont compris les services de police territoriaux, désormais sous le contrôle des Conseils de gouvernement. Ce transfert est capital, dans le contexte troublé des années 1956-1957 car il place complètement en porte-à-faux ces élites désormais décisionnaires face à des mouvements sociaux dont ils ont parfois été les initiateurs… Le transfert de la violence légitime est donc une étape cruciale qui doit permettre, dans l’esprit des réformateurs coloniaux, de poursuivre la politique coloniale à nouveaux frais. Nous posons donc l’hypothèse que ce transfert de pouvoir inaugure en Afrique noire une articulation historique majeure, qui, avant les indépendances, transforme la politique coloniale en politique impériale.


Yoshiharu Tsuboi (Univ. Waseda, Tokyo)
La gendarmerie japonaise (Kenpei) et les répressions dans les régions colonisées – Mandchourie et Indochine – pendant la Seconde Guerre mondiale
La réputation de la Kenpei (gendarmerie japonaise) comme machine cruelle de répression est solidement établie en raison de ses exactions non seulement chez les populations colonisées et occupées, mais aussi à l'égard des simples soldats japonais. En s'appuyant sur les documents historiques, on tentera d'éclaircir les origines, les fonctions et le fonctionnement ainsi que les caractéristiques de cette Gendarmerie, comme corps de répression.


Joël Glasman (Doctorant Sedet) (contribution écrite)
Policer le «pays des 25 coups». Stratégies sécuritaires et police coloniale au Togo (1884-1939)
Le Togo colonial fut la «colonie modèle» (Musterkolonie) des Allemands, avant d'être un «territoire pilote» pour les Français. Pour les Togolais, cependant, il fut le "pays des 25 coups". Cette contribution se propose d'analyser les stratégies policières coloniales sur une longue durée (1884-1939), c'est-à-dire à cheval entre la période allemande et française, afin d'étudier les continuités et les ruptures des discours et des pratiques répressives coloniales.
L'échelle privilégiée est ici celle de l'"État colonial", afin de comprendre comment s'articulent les discours élaborés dans les ministères métropolitains d'une part, et, d'autre part, les impératifs et inerties administratives locales. Le Togo est d'abord caractérisé par une pénétration coloniale relativement rapide – à la différence de ses voisins l'Ashanti et le Dahomey- et d'un contrôle policier efficace – épargnant aux colonisateurs allemands les expériences traumatisantes du Sud-Ouest africain (Namibie). Cela fut le résultat de stratégies pourtant tâtonnantes et d'une série de réactions ad hoc par une puissance coloniale allemande sans expérience coloniale préalable et sans vision à long terme. L'ordre colonial stable et le coût relativement bas de l'occupation coloniale alimenteront ainsi le mythe de la "colonie modèle". De même, le Togo restera relativement calme (si l'on excepte la révolte de Lomé en 1933) dans l'entre-deux guerre, alors que le nouvel Etat mandataire, la France, qui, à l'inverse de son prédécesseur, s'appuie sur une longue expérience coloniale, doit composer avec le contrôle (bienveillant) de la Société des Nations.
Malgré la rupture radicale affichée par la propagande française, les stratégies policières semblent largement se perpétuer d'une période à l'autre. Celles-ci se déploient en effet, pour les deux puissances, dans une même tension entre la nécessité de monopoliser la violence légitime d'une part, et les limites budgétaires, d'autre part. Paradoxe colonial permanent, la police doit vivre des taxes dont elle garantie elle-même le prélèvement. Les limites budgétaires imposant de s'appuyer sur des troupes africaines réduites , la question centrale pour le colonisateur reste, qu'il soit français ou allemand, celle de la loyauté de ses troupes. Mais les similitudes vont plus loin. Loin de réinventer des stratégies sécuritaires à partir des principes dont elle se proclame le garant, la France coloniale semble reprendre à son compte nombre d'idées et de pratiques allemandes. Les « races guerrières » (martial race) recrutées en priorité, de l'idée selon laquelle certains groupes ethniques seraient par essence plus aptes à la pratique des armes, restent sensiblement les mêmes : Hausa, mais surtout sociétés "sans-Etat" du nord, en particulier le groupe Kabiyé. Cette remarquable continuité s'expliquant probablement autant par une insertion économique inégale (nord/sud) du Togo dans l'économie coloniale que par la transmission des «savoirs coloniaux» . Au-delà du recrutement, le problème de distribution des policiers sur le territoire en fonction de leur appartenance ethnique (policiers de l'ethnie X pour dominer efficacement les Y afin d'éviter les accointances ou au contraire X pour X et Y pour Y pour accroître l'efficacité ?) reste, tout au long de la période coloniale, l'équation insoluble à laquelle le prisme ethnique condamne les dominants. La formation des policiers enfin, même si elle évolue considérablement au cours de la période, et quand bien même on ne saurait à première vue imaginer de domaine plus éloigné entre le modèle français et le modèle allemand (Invocation de valeurs opposées, système du « concours » à la française, importance donnée à la langue, etc.), semble trahir de nombreuses continuités entre l'avant et l'après-Première Guerre mondiale. La formation est centrée sur l’apprentissage de techniques policières (en particulier le tir) mais surtout sur l’acquisition, au quotidien, des codes, des règles, des postures imposées par des puissances coloniales qui cherchent d'abord à isoler ce groupe professionnel en construction du reste de la société. Le pas cadencé, la parade, la musique militaire, tout cela contribue à forger le groupe policier tout en rendant visible l’ordre colonial. L’encadrement reste sauf exception, et jusqu'à la seconde guerre mondiale, réservée aux Blancs.
Au final, la présente contribution cherchera à déterminer, à travers l'exemple du Togo, certaines des stratégies policières liées à l'organisation des forces de l'ordre, les héritages et les inerties d'un système répressif, ainsi que les possibilités de son changement.


Samuel Sanchez (Doctorant Sedet)
Escarmouches, prises d’otages. Stratégies de conquêtes et de soumission dans les petites colonies françaises de Madagascar et des Comores (1818-1885)
Les petites colonies françaises de l’océan Indien occidental (Sainte-Marie, Nosy Be, Mayotte) sont caractérisées, au début du XIXe siècle jusqu’à la première guerre franco-malgache (1883-1885) par le faible poids des administrations coloniales. Dans les périodes où la domination coloniale se concentre autour de ports-points d’appui, la gestion des périphéries et des campagnes, théoriquement sous contrôle, est assez lâche. Les maigres moyens mis à la disposition des établissements ne pouvaient permettre aux colonisateurs d’exercer une domination incontestée sur les habitants et les pouvoirs dynastiques locaux. Les colonisateurs, cantonnés dans les chefs-lieux (Dzaoudzi, îlot Madame, Hell-Ville) de ces colonies contrôlaient mal les environs proches.
Par quels moyens les colonisateurs conservent-ils le leadership sur des zones, aux portes de leurs villes, où leur présence reste sporadique ? Il apparaît que les colonisateurs ont fait usage de stratégies pragmatiques, parfois guerrières, mais surtout ponctuelles pour rendre durable leur autorité au sein même de leurs territoires. Trois modes d’action sont particulièrement notables et caractérisent le mode de coercition que les Français ont employé à Sainte-Marie, Nosy Be et Mayotte :
- la politique d’escarmouche ou la volonté de disperser les factions rivales, installées sur le territoire colonial mais obéissant à d’autres autorités que l’administration coloniale ;
- la politique de la prise d’otage effectuée contre les familles aristocratiques influentes ;
- la stratégie d’achat de la paix civile, passant par la corruption des notables les plus puissants.
Ces trois modes d’action sont révélateurs de la faiblesse de l’autorité coloniale dans ces comptoirs. Les colonisateurs sont obligés d’avoir recours à la ruse et à des modes détournés de répression pour affirmer leur présence ponctuellement, contre des groupes qui agissent en dehors de l’autorité coloniale.

Dominique Bois (Sedet)
La police à Diego Suarez
Nous nous proposons  de présenter les institutions et les techniques de maintien de l’ordre public pendant la période coloniale dans une ville portuaire  de Madagascar, Diego Suarez.
Capitale régionale, port de débarquement de migrants venues de tous les horizons de l’Océan indien, base militaire et navale de la métropole, Diego Suarez abrite une société cosmopolite dont le contrôle est confié à différentes institutions, civiles et militaires. En fonction des groupes, l’encadrement prend des formes particulières. C’est ainsi que Yéménites et Chinois sont organisés par l’administration en congrégations.
La police ne limite donc pas son activité à la surveillance de la «population indigène autochtone» elle s’informe également sur les réseaux « ransnationaux» dont les communautés migrantes  représentent les têtes de pont dans la capitale du Nord.
Etudier le travail quotidien de maintien de l’ordre, de renseignements effectué par l’administration coloniale à travers la littérature grise, la presse etc., c’est aussi mettre en lumière les lieux névralgiques de la sociabilité urbaine coloniale.


Naoyuki Umemori (Univ. Waseda, Tokyo)
De quelques caractéristiques du mode de gouvernement colonial japonais en Corée : les affinités entre Etat national et Etat colonial
La communication se donne comme point de départ le débat sur la punition par la flagellation qui agita les intellectuels japonais au début du XXe siècle. Au Japon, la flagellation fut un mode habituel de punition jusqu'à une époque relativement récente. Ce fut seulement en 1882 que le gouvernement de Meiji abolit la flagellation avec la promulgation de premier Code criminel d'inspiration occidentale. Cependant, la flagellation redevint un important sujet à portée politique lorsque les Japonais recoururent à ce type de punition à Taiwan et en Corée, récemment soumis à leur empire. Cela suscita un débat d'une portée considérable chez les intellectuels et fonctionnaires japonais, débat largement ignoré par les historiens et spécialistes de sciences politiques dont beaucoup pensent qu'il fut de peu d'importance. Mon intention est au contraire de le traiter comme un cas exemplaire offrant quelques intéressantes perspectives sur les traits caractéristiques du mode de gouvernement colonial japonais.
Au fil du débat, les implications de l'usage de la flagellation furent radicalement réinterprétées. Alors qu'elle symbolisait jusqu'alors l'arriération des mœurs japonaises, elle fut désormais présentée comme une punition civilisée et humaine, expression d'une administration dynamique et efficace. Quels furent les effets d'une telle redéfinition en Corée et au Japon ? Telle est la question théorique à laquelle je souhaite répondre. L'érudition conventionnelle présuppose que les sociétés non-occidentales, tels le Japon, se sont toujours modernisées en s'alignant sur les modèles occidentaux. Je souhaite pour ma part montrer combien les processus réels sont éloignés de cette interprétation commune de l'histoire. J'insisterai sur le fait que les colonies furent des lieux important d'élaboration et de contestation des institutions et des pratiques modernes, et que nous ne pouvons comprendre de manière pertinente la modernité du Japon et de la Corée sans analyser la nature du mode colonial de gouvernement.


Patrice Morlat (Sedet), et Charles Fourniau (Univ. d’Aix-Marseille)
Mouvement national et appareils répressifs en Indochine (1905-1925)
Cette communication traitera de la période insurrectionnelle et patriotique de la Ligue Duy Tan, dirigée par les deux chefs charismatiques que furent Pham Boi Chau et le prince Cuong Dê. Cette lutte contre le pouvoir colonial français en Indochine débute en 1905 et se termine au début des années vingt. Elle constitue, après celle du mouvement Can Vuong des débuts de la conquête, la seconde vague insurrectionnelle vietnamienne contre la présence française et, précède la dernière, celle des derniers mouvements révolutionnaires nationalistes et communistes de 1928 à 1954. Elle donne naissance à la mutation des mouvements mandarinaux traditionnels de résistance à la conquête en partis politiques modernes. Reposant à la fois sur les techniques nouvelles d’attentats à la bombe de type anarchiste mais aussi sur les plus anciennes de bandes armées venues de Chine du Sud, la ligue Duy Tan fera peser une réelle menace sur la présence française notamment après le déclenchement de la Première Guerre mondiale.
Le pouvoir colonial, après une période de tâtonnements comme celle de la mise en état de siège d’une partie de la colonie en 1914, y répondra, au milieu des années dix, par la mise en place d’appareils de répression modernes et civils comme la police de Sûreté indochinoise et la Direction des affaires politiques. La course de vitesse qui en découlera entre la répression et la révolution façonnera à jamais l’avenir de la colonisation française en Indochine.


Amadou Ba (Doctorant Sedet)
Le rôle des tirailleurs sénégalais dans la répression dans l’Empire colonial français
L’armée coloniale française qui a conquis et pacifié la grande île africaine, était composée d’éléments issus de la métropole mais surtout dans les colonies : Kabyles, Ouest-Africains, Comoriens, ressortissants de la côte française des Somalis, Réunionnais et même des Malgaches  etc. Si les éléments de l’AOF était assez peu représentés au début de la conquête (1 bataillon de tirailleurs haoussas et 500 conducteurs sénégalais), ils deviendront de plus en plus important après la prise de Tananarive et la pénétration dans le Sud avec l’arrivée du Général Gallieni. Après la chute du royaume merina, des troubles et des actes de banditisme secouèrent la plus grande partie du pays (le centre, l’ouest, et sud notamment) en gênant considérablement l’implantation des Français. Appelé au secours à cause de son expérience dans le Soudan et le Tonkin, le Général Gallieni décida dès son installation de faire appel aux éléments de l’AOF qu’il connaissait bien.
Connus sous la dénomination de «tirailleurs sénégalais», les recrues ouest-africaines furent utilisées comme des «pacificateurs» mais surtout comme éléments de répression (surveillants de prison, chargés d’exécution des rebelles, police urbaine et rurale, etc.) Ils furent sollicités dans les régions les plus troublées comme l’Ouest et le Sud. Cette utilisation reste encore visible à Madagascar comme l’atteste ce dicton local « soanagaly nahaizu baiko » = (agir comme un Sénégalais qui reçu des ordres). Aujourd’hui encore, une sorte de mythe ou de légende circule sur les Sénégalais à Madagascar. Ils sont perçus comme des violents et des méchants.
À travers des documents d’archives (archives nationales du Sénégal, archives de la République de Madagascar, archives de l’armée de terre et de la marine à Vincennes et archives d’Outre-mer à Aix-en-Provence), des sources orales, iconographiques et des anecdotes qu’on m’a racontées lors de mon voyage dans la Grande île en avril et mai 2006, je vais essayer de montrer qui sont réellement ces Sénégalais ? Pourquoi et comment les a-t-on utilisés dans la répression ? Quelles conséquences cela a entraîné ?


C – Législation

Laurent Manière (Docteur - Sedet)
Code de l’Indigénat en AOF (1887-1946)
Le système colonial français reposait sur la distinction fondamentale entre sujets indigènes et citoyens français. Le code de l’indigénat – encore appelé régime de l’indigénat ou indigénat- s’appuyait sur cette différenciation. Il fut introduit au Sénégal par le décret du 30 septembre 1887 puis étendu à toute l’AOF.
Elaboré en marge du régime judiciaire, l’indigénat permettait aux administrateurs coloniaux de réprimer d’une peine de 15 jours de prison et/ou d’une amende de cent francs toute une gamme d’infractions spéciales aux sujets indigènes telles que le «manque de respect envers un représentant de l’autorité française» ou le «non-paiement des impôts et non-accomplissement du travail obligatoire». En outre, des peines exceptionnelles donnaient aux gouverneurs la possibilité d’interner tout individu suspecté de menacer la sûreté de l’Etat colonial pour une durée de dix ans.
Le dialogue qui s’établit sur le terrain colonial entre la stratégie définie dans les textes réglementaires et les tactiques mises en œuvre par les agents d’exécution du pouvoir administratif et les sujets indigènes témoigne de l’extrême vivacité du régime qui joua un rôle coercitif majeur et contribua largement à l’insertion des sociétés colonisées dans l’économie de marché.
En l’absence de contre-pouvoir judiciaire régulier, de nombreux abus d’autorité furent dénoncés au cours des vingt premières années. La concurrence de la justice indigène et l’évolution de la politique coloniale rendirent des ajustements nécessaires. Des efforts furent donc déployés pour réglementer et adoucir les rigueurs du régime mais les administrateurs, qui dépendaient étroitement de leurs pouvoirs répressifs, continuèrent d’appliquer le régime avec sévérité : la crise économique de 1932-1934 constitua un pic répressif exceptionnel.
L’indigénat, plus âprement contesté en France par certaines personnalités métropolitaines et en Afrique par les «évolués», continua de s’émietter jusqu’à disparaître en 1946, en même temps que le statut d’indigène.


Pierre Ramognino (IHTP)
La répression en AOF et dans les colonies françaises restées sous l’autorité du régime de Vichy (1940-1943)
De 1940 à 1943, l’Afrique occidentale française, comme d’ailleurs la plupart des colonies françaises, reste sous l’autorité du régime de Vichy. Dès la fin de 1940, le gouvernement général, dirigé par Pierre Boisson, met en place un système de contrôle de la société de plus en plus répressif que l’on peut assez précisément étudier grâce aux nombreuses archives conservées aux Archives d’outremer (Papiers Boisson) ou aux Archives nationales (archives de la Haute cour de justice de la République).
En s’appuyant sur cette documentation et en comparant la situation de l’AOF avec les autres colonies restées sous le contrôle de Vichy (principalement l’Algérie, l’Indochine et les Antilles), notre contribution tentera de dégager les caractéristiques et les spécificités de la répression dans les colonies françaises à cette époque en montrant en quoi ces caractéristiques éclairent à la fois l’histoire et la sociologie du système colonial et celle du régime de Vichy.



3) Violences coloniales et sociétés locales

A – Culture et religion

Faranirina Rajaonah (Sedet)
Histoire exclue, histoires revisitées. Enseignement et autres apprentissages de l’histoire à Madagascar de 1916 à 1951
Après «la découverte» de la société secrète Vy Vato Sakelika (Fer, Pierre, Ramifications) en 1915, le gouvernement colonial supprime l’histoire des programmes de l’enseignement indigène jusqu’en 1951. Il s’agissait de limiter l’impact subversif d’une discipline ayant vocation d’entretenir  ou de forger un sentiment national. Mais il était impossible de bannir complètement l’histoire que les élèves découvrent désormais à travers des textes de lecture en français ou en malgache dans lesquels l’annexion de l’Île est assimilée à la Révolution de 1789. Toutefois, il restait possible à des jeunes Malgaches des villes (et plus particulièrement de la capitale) d’accéder à leur histoire par la fréquentation de cercles  rattachés à des églises, par la lecture de périodiques confessionnels où la connaissance se transmet  souvent dans leur langue. Ainsi, la jeunesse  citadine a tout de même pu trouver des espaces de liberté et profiter des limites de la surveillance coloniale, sinon d’une politique qui ne pouvait viser à l’acculturation des populations  soumises.


Didier Nativel (Sedet)
Ségrégation, répressions politiques et culturelles à Lourenço Marques (des années 1940 à 1975)
Après 1945, de Mafalala (quartier africain) à Polana (partie aisée de la ville blanche) existaient des formes d’opposition au système ségrégationniste et au salazarisme, que la PIDE (la police politique portugaise) voulait réduire au silence. Après une phase de relative accalmie à la fin des années 1950 (le régime est isolé diplomatiquement et tente d’améliorer son image), la répression (surveillance constante, censure, arrestations, torture) s’accentue à la suite d’insurrections en Angola (1961) puis dans le nord du Mozambique (1964). Le contrôle de la capitale, où ont été formés les cadres du FRELIMO, devient alors un enjeu majeur pour les Portugais.
Cette contribution se propose d’analyser les modes d’action de la puissance coloniale dans le cadre urbain, véritable laboratoire identitaire. Furent particulièrement touchés, la presse, le monde associatif, les cercles intellectuels et littéraires, les milieux musicaux. Le cas de prisonniers politiques emblématiques (Virgílio de Lemos, José Craveirinha et Luís Bernardo Honwana ; des intellectuels blanc, métis et noir) sera par ailleurs abordé et contextualisé.


Abdelmadjid Merdaci (Univ. de Constantine)
Constantine et son double, les territoires de l'autre et de l'interdit
Plus que dans toute autre agglomération algérienne l'érection et le développement de la «ville européenne» de Constantine sont concomitants de l'affirmation et de la puissance coloniales. Dans l'opposition à la médina originelle d'un urbanisme différent, la construction de la ville de l'altérité  européenne dessine par sa centralité, ses symboles, sa toponymie, les territoires des interdictions de séjour, une ségrégation culturelle, sociale et ethnique. En s'appuyant sur l'histoire de l'urbanisme colonial constantinois notre communication s'attachera à questionner des formes plus souterraines de violences quotidiennes.


Isabel Castro Henriques (Univ. de Lisbonne)
Dynamiques africaines d'autonomisation en situation coloniale : l'exemple angolais
Cette communication veut mettre en évidence les permanences et les changements des hégémonies africaines dans le cadre angolais de la fin du XIXe siècle jusqu'aux années 1930, permettant aux africains d'affirmer leur originalité culturelle et de devenir des acteurs fondamentaux dans le processus historique de la construction de l'Angola moderne.


B – Presse, cinéma et médias

Odile Goerg (Sedet)
Cinéma et censure en Afrique coloniale française
Dès le début du XXème siècle, le cinéma connut un succès en Afrique. Il faut toutefois attendre les années 1950, dans la majorité des colonies, pour que ce nouveau média touche un public large et diversifié. C’est dans ce contexte que se pose réellement la question de la censure. L’élargissement de la diffusion, le choix entre diverses salles dans les grandes villes mais aussi l’existence d’un public aguerri aboutissent à une situation paradoxale ; d’une part l’urgence de la mise en place d’une censure effective, de l’autre, la difficulté d’imposer une gamme restrictive de films dans le contexte des revendications indépendantistes. Contrairement à une vision schématique, la mise en place de système de censure fut laborieuse et complexe, marquée par des hésitations et un empirisme certain, dans les colonies françaises où la volonté de centralisation administrative se heurte constamment aux soucis d’autonomie locale. Il faut donc largement nuancer la vision d’un contrôle total de la distribution et d’une censure stricte des films en circulation. S’établit en fait un jeu complexe, entre les désirs des spectateurs et des acteurs culturels diversifiés et la volonté de contrôle de la part des autorités coloniales, missionnaires ou patronales mais aussi d’interlocuteurs africains (intellectuels, nationalistes, parents) qui s’engagent activement dans le débat sur l’impact des images. Tous les acteurs politiques ou sociaux s’accordent en effet pour attribuer aux images des vertus ou des vices importants mais le pouvoir qu’on leur suppose est ambigu : d’un côté visées pédagogiques, et partant civilisatrices (sic) ou éducatives, de l’autre potentiel subversif ou lénifiant.
Cette proposition se propose de faire l’historique des mesures législatives de censure, d’en mesurer l’impact concret ainsi que d’exposer les débats qui ont opposé les divers acteurs aussi bien sur les critères de censure (consensuels ou conflictuels) que sur leur application


Lucile Rabearimanana (Univ. d’Antananarivo)
Censure de presse et répression du mouvement nationaliste après l’insurrection de 1947 à Madagascar
Le mouvement indépendantiste gagne des couches de plus en plus nombreuses de la population malgache au lendemain de la seconde guerre mondiale. Mais il est victime d’une répression multiforme qui vise à le faire taire voire à l’abattre à partir du 2ème semestre 1946, au fur et à mesure que les nationalistes et surtout le parti qui cristallise les aspirations de bon nombre d’entre eux, le Mouvement Démocratique de la Rénovation Malgache, parviennent à remporter un succès foudroyant et que le régime colonial est de plus en plus remis en question par la plupart des Malgaches. La répression coloniale des activités politiques nationalistes doit donc être examinée en fonction du contenu des aspirations de la population et des comportements de celle-ci à l’égard du régime colonial. Elle dépend aussi de la politique de la IV République à l’égard de l’Union française, que nous examinerons à travers ses manifestations locales. Elle sévit partout dans l’île, notamment après divers incidents survenus à travers le pays, et se renforce par suite de l’éclatement de l’insurrection le 29 mars 1947.
Nous analyserons alors d’abord les différentes formes de la répression des insurgés comme des nationalistes «là où il ne s’est rien passé», et ensuite les réactions des populations malgaches face à une politique coloniale immobiliste et cantonnée dans des mesures négatives. Sources écrites officielles comme enquêtes de terrain permettent de cerner l’évolution des comportements des Malgaches provenant de milieux géographiques et sociaux différents avant et après l’insurrection. La violence de la répression coloniale influe sur les manifestations du nationalisme mais ne parvient pas à le mâter.


Jamaa Baïda (Univ. de Rabat)
La presse écrite sous le Protectorat français au Maroc : un régime d’état de siège
L’instauration du régime du Protectorat au Maroc en mars 1912 a empêché un processus national de réformes, certes assez timide, d’aller jusqu’à son terme. Le projet de constitution de 1908 avait bien laissé présager un Maroc nouveau au sein duquel «chaque Marocain a le droit de jouir de sa liberté individuelle à condition qu’il ne porte pas atteinte à autrui et à la liberté d’autrui […] la liberté d’expression existe à la condition de respecter l’ordre public» (articles 13 et 14).
C’est donc un pays dépourvu d’un régime de la presse que Lyautey a trouvé lorsqu’il a été affecté au Maroc comme premier Résident général de France. Il ne tarda pas à promulguer le dahir du 27 avril 1914 pour pallier cette lacune, mais surtout pour contrecarrer toute propagande hostile émanant de l’intérieur du pays comme de l’étranger. Ledit dahir s’inspirait bien de la loi française du 29 juillet 1881, mais sur bien des points elle était moins libérale ; à l’égard de la presse arabe et hébraïque, c’est-à-dire autochtone, elle était carrément discriminatoire. Un haut fonctionnaire de la Résidence, chargé des affaires de la presse et de l’information, Eugène Margot, ne cachait d’ailleurs même pas ses convictions intimes à ce propos, puisqu’il enseignait aux futurs officiers des Affaires Indigènes :
«La presse […] est une arme dangereuse dans les mains des gens inexpérimentés. Bienfaisante à divers titres chez les nations civilisées, elle convient peu aux peuples qui en sont encore au premier stade de leur évolution, surtout aux peuples arabes et berbères si facilement impressionnables».
Trois mois après la promulgation de la loi portant réglementation de la presse au Maroc, c’est l’instauration de l’état de siège (2 août 1914) sous les impératifs de la Grande Guerre. Désormais, le champ de liberté d’expression et de publication était devenu quasiment nul. Cet état de siège devait normalement être levé après la guerre, mais ce ne fut pas le cas. Malgré les protestations de la Ligue française des droits de l’Homme, Lyautey avait trouvé divers prétextes pour le reconduire, entre autres les opérations de «pacification» et la guerre du Rif. Plus tard, sous les successeurs de Lyautey, d’autres raisons étaient évoqués : la montée du mouvement national, la seconde Guerre Mondiale, la crise franco-marocaine, etc. En somme, le Maroc a vécu sous l’état de siège de 1914 à 1956, date de son indépendance. Il s’agit dans la présente communication de voir comment cette violence coloniale a été vécue par la presse écrite et au-delà par la population marocaine et les ressortissants français du Maroc.



C – Travail et migrants

Pierre Brocheux (Sedet)
Indochine française : la répression dans le monde du travail
Infractions à l'ordre et/ou la loi dans les campagnes, les sites industriels et les services urbains (atteintes à la propriété privée,  ruptures de contrats de la main d'œuvre, grèves, manifestations et occupations des lieux de travail). L'installation du système capitaliste français s'inscrit dans le contexte de la domination coloniale avec deux conséquences: 1) l'identification ou la confusion des mouvements sociaux à caractère professionnel avec les mouvements politiques de résistance et /ou de rejet du régime colonial 2) la surveillance et la répression du monde du travail évoluent en  fonction de l'évolution politique dans la métropole colonisatrice  avec un tournant en 1936-1937 lorsqu' apparait le front populaire en France.


Eric Guerassimoff (Sedet)
Répression des activités politiques des émigrés chinois à Singapour et en Malaisie
entre les deux guerres

Les immigrés chinois installés à Singapour et en Malaisie depuis le début du XIXe siècle ont renoué des liens politiques avec leur pays d’origine ou de naissance à partir de la fin du siècle. Cette contribution examinera l’attitude du colonisateur anglais à l’égard de cette progressive prise de conscience politique de fractions de plus en plus importantes de la population chinoise vivant sur les territoires qu’il administrait ; elle exposera les différents facteurs qui conduisent l’autorité coloniale à glisser rapidement de l’indifférence à la répression, et s’efforcera de mettre en lumière l’évolution de la réaction des immigrés chinois. Cette approche de la répression coloniale dans un contexte migratoire tentera de souligner l’intérêt d’une démarche historique dans l’appréhension de notions actuellement objet de l’attention des politologues et géographes, telle que celles de territoire et de citoyenneté transnationale.


Anissa Bouayed (Sedet)
Répression et presse : faire état de la répression syndicale, une prise de risque
Dans l’Algérie de l’après deuxième guerre mondiale, les rapports sociaux sont marquées par le durcissement du face à face colonial à partir du 8 mai 1945. «Date de non retour», «le jour où le monde a basculé», «le début de la Guerre d’Algérie»… toutes ces formules disent l’impact sur les deux camps de l’immense répression du 8 mai.
Le syndicalisme aussi est un bon observatoire de l’accélération et de la massification de la répression après cette date. Comment le sait-on ?
Les militants, la presse syndicale, politique, le journal du PCA Liberté et au jour le jour, les comptes-rendus d’Alger Républicain. Dans le reste de la presse algérienne  l’absence de l’écho des luttes syndicales et des mesures coercitives prises contre les organisations relèvent du déni d’existence… sans doute pour maintenir la légende dorée de la bonne entente, d’un Alger bon enfant…, de campagnes tranquilles, de travailleurs dociles.
Premier point : Avoir un état des lieux des luttes, de la répression par le patronat local, et par les institutions métropolitaines, c’est aller de l’autre côté du miroir : agissements de la police, de la gendarmerie, de l’armée pour les territoires du sud, de la justice… relais dans la presse : les mots pour le dire. Ceux de la presse coloniale, ceux d’Alger Républicain.
Deuxième question, autour du lien répression/stratégie : quel rôle joue la répression dans le choix d’une ligne syndicale ou politique, comment la valide ou l’invalide-t-elle ? Ainsi ne pas abandonner les organisations syndicales à la dureté du rapport colonial fut longtemps un argument pour ne pas autonomiser la centrale cégétiste en Algérie.
Troisième point : L’abus d’autorité, le primat à la criminalisation de l’action sociale sont à étudier aussi dans le champ des représentations, comme autant de manifestations phénoménologiques de la Force Publique, de l’Autorité. Le Surveiller et Punir se conjuguent ici au présent et au quotidien. Quelle image du pouvoir, de la métropole, de ses institutions en ressort, quelle figure alors de cette abstraction politique qu’est la France ?
En conclusion, peut-on y voir aujourd’hui un avant-goût amer des pratiques de la Guerre d’Algérie ?


Issiala Mandé (Sedet)
Violences coloniales, violence au quotidien : le travail forcé en AOF
La France s’enorgueillit, à la fin du XIXe siècle, d’avoir supprimé l’esclavage et de mener la lutte contre les négriers en Afrique occidentale. Mais en imposant le régime colonial, elle a juridiquement établit un système inégalitaire dans lequel les colonisés, sujets français, sont astreints de manière arbitraire à des travaux d’intérêt commun. L’apostolat du travail forcé se justifiait par «l’éducation des colonisés». Mais la perversité du système est la dépendance du colonat à la main-d’œuvre indigène recrutée de force et convoyée sur les chantiers et les conditions de vie des travailleurs assimilées à du demi-esclavagisme par le gouverneur Latrille en 1944.
Ce régime de travail dit obligatoire ou forcé peut être appréhender d’après le régime juridique du colonisé (code de l’indigénat, code du travail outre-mer…), la masse documentaire résultant des rapports périodiques ou de synthèse des administrateurs coloniaux contraints de lever par la cœrcition les contingents de travailleurs tout en ayant conscience que ces populations seraient maltraitées et les différents régimes des travailleurs.
Cette communication explore les fondements, les formes du travail forcés et les moyens mis en œuvre pour son éradication en 1946. Elle s’appuiera sur une importante iconographie.


Jean-Michel Mabeko-Tali (Howard University)
Nkayi, ou la mémoire de violence : la corvée du transport fluvial dans le Nord Congo, sous la colonisation française
«Nkayi» signifie la rame ou pagaie. Dans la mémoire collective des populations du Nord Congo, ce nom invoque également la corvée du transport fluvial, sous la colonisation française. Chaque année, tout homme valide pouvait être réquisitionné à n’importe quel moment, toutes affaires cessantes et pour une durée indéterminée, pour transporter l’administrateur ou le commandant blanc, ou son auxiliaire africain. Et cela pouvait arriver à une même personne et une même famille, et autant de fois que cela plaisait à l’administrateur colonial, et surtout, à son auxiliaire africain, et au chef local désigné par l’administration coloniale, et pouvait durer de quelques semaines à de longs mois. Tout refus, signifiait le châtiment physique, la prison et la déportation, voire la mort pure et simple du contrevenant. Cette réquisition signifiait donc, pour tout petit village, la paralysie partielle, ou totale de toute activité économique, et donc des périodes de disettes pour des familles entières. En se basant sur le cas concret de la localité d’Enyellé (Département de la Likouala, dans l’extrême nord de la République du Congo) et contrées riveraines de la Libenga et de l’Oubangui, mon texte cherchera à revisiter la mémoire collective, les histoires vécues de certains survivants de cette période. Il s’agira de voir, en l’occurrence, d’une part, comment fonctionnait le système à ce niveau, de la part de l’autorité coloniale, et d’autre part, les réactions, formes de résistance et d’organisation des familles touchées par la longue absence du chef de famille.  Il s’agira également de  travailler sur toute la mythique créée autour de cette expérience par les générations qui l’ont vécue.


Chantal Chanson-Jabeur (Sedet)
Conflit syndical et répression brutale : le 5 août 1947 à Sfax (Tunisie)
En janvier 1946, naît la première centrale syndicale tunisienne d'après -guerre  (UGTT) sous le regard bienveillant des autorités coloniales, qui entendaient ainsi compromettre  et freiner l'essor de la centrale cégétiste, laquelle bénéficie d'un capital positif au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Deux expériences syndicales  autonomes avaient préalablement vu le jour en 1924 et 1936, mais ces expériences s'étaient soldées rapidement par une dissolution à la suite de mesures coercitives et répressives de la part des autorités coloniales. A priori, les conditions étaient donc différentes.
Cependant, la jeune Centrale syndicale tunisienne se retrouve rapidement exclue  de la Commission des salaires en 1947. Malgré les appels à engager un dialogue émis par la direction centrale de l'UGTT à Tunis, et notamment son Secrétaire général et leader, Farhat Hached, l'Union Régionale de Sfax ugététiste envisage de déclencher une grève le 4 août 1947 et appelle la population tunisienne à suivre ce mouvement. Le droit de grève est un droit reconnu en Tunisie et pourtant, la répression sera brutale et en ce jour du 5 août 1947 à Sfax, le bilan sera lourd : 49 morts, des dizaines de blessés et emprisonnés.
La communication se propose de revenir sur un des évènements les plus tragiques de la période coloniale en Tunisie et de revisiter le contexte et les différents éléments qui ont amené à cette forme extrême de la répression dans le monde du travail.


Daouda Gary-Tounkara (docteur Sedet)
Violences coloniales, migrations des sujets de l’AOF et représailles des résistants. Les peuples de la zone forestière face à la «pacification» de la Côte d’Ivoire (1903-1915)
Au début du XXe siècle, la Côte d’Ivoire constituait déjà un des territoires les plus prometteurs sur le plan économique de l’Afrique occidentale française (AOF) en raison de l’étendue de sa zone forestière et de l’abondance de ses matières premières (bois d’acajou, huile de palme, noix de cola). Pourtant, la colonie fut tardivement «pacifiée» ou conquise de 1903 à 1915 par le pouvoir colonial et ses auxiliaires africains (tirailleurs sénégalais – soldats de l’armée coloniale –, marchands de colas – Dioula –, travailleurs migrants).
Plusieurs raisons peuvent expliquer l’intégration tardive de la Côte d’Ivoire à l’AOF : le désir des premiers gouverneurs de capter l’allégeance des populations locales (Baoulé, Abbey, Bété) par le biais des échanges commerciaux, le manque persistant de tirailleurs et surtout la résistance de populations déterminées à résister à l’introduction de l’impôt de capitation, aux prestations et à l’indigénat. Cette résistance armée aux opérations de police lancées par les administrateurs en poste en zone forestière affecta indirectement les migrants originaires du reste de l’AOF que les groupes autochtones assimilaient à des alliés d’un pouvoir agressif et méprisant : restriction de la circulation des marchands, ouvriers du rail et porteurs descendant du Soudan, représailles et exécutions sommaires…
La présente communication analyse les rapports entre les administrateurs de la Côte d’Ivoire, les groupes de la zone forestière et les migrants originaires du reste de l’AOF dans le contexte de la « pacification » de la Côte d’Ivoire de 1903 à 1915. Elle montre que les migrants, sujets de fraîche date et en quête de débouchés professionnels, se retrouvèrent pris en otage par les opérations de police et les troubles politiques opposant le pouvoir colonial aux résistants locaux.



4) Décolonisation : discours et aspects contemporains de la répression coloniale


Alessandro Triulzi (Univ. de Naples)
Les silences de l’outre-mer : les pièges de la mémoire coloniale italienne
Ces dernières années, le débat sur le passé colonial du pays a été enrichi et inquiété non seulement par les résultats de nouvelles recherches des historiens sur la violence meurtrière de ce passé, mais aussi par les évènements quotidiens qui troublent nos sociétés aussi que celles de l’Italie coloniale. L’arrivée des migrants africains en particulier des ex-colonies (Somalie,Libye, Erythrée) ou de l’Ethiopie en guerre avec ses voisins ont ré-ouvert le dossier colonial italien avec son long cahier de doléances: la répression de la résistance en Libye et en Ethiopie, l’usage des gaz dans la conquête et la pacification de l’empire (AOI), la déportation des nomades en Libye dans les camps de concentration, les décimations des intellectuels et des clercs éthiopiens après les attentats au Général Graziani préparent le terrain et ouvrent la voie au racisme ouvert et accepté des lois raciales introduites par la Fascisme en 1937-38. La violence répressive des italiens ‘braves gens’ est rappelée et renouvelée aujourd’hui par les silences de la mémoire coloniale, une mémoire jadis supprimée et aujourd’hui sublimée du passé national, qui s’exprime dans le rapport contradictoire envers les nouveaux sujets/migrants post-coloniaux et dans le refus de reconnaître le lourd héritage que la violence coloniale a laissé sur place et dans la conscience de la nation.


Monique Chemillier-Gendreau (Sedet) (communication écrite)
La colonisation au regard du droit international
Trois périodes ont divisé l'histoire du droit international au regard de l'entreprise de colonisation. La première ouverte avec le début des "Temps Modernes" et l'affirmation de la souveraineté des États, a été celle de d'un colonialisme autorisé. En effet, s'affirme alors la doctrine de la souveraineté des États. Celle-ci se définit par un ensemble de fonctions régaliennes dont la plus importante est le droit de faire la guerre, et notamment la guerre de conquête. Cette doctrine sera tempérée par les interrogations sur la guerre juste. Mais celles-ci relèvent du débat entre théoriciens (le plus souvent théologiens), mais n'entraîne pas de conséquences juridiques.
La seconde période est celle de la mise en cause, puis de la condamnation du colonialisme par le droit international. Inspiré par les luttes de libération nationale, ce mouvement conduira en 1960 à une condamnation du colonialisme par l'Assemblée générale des Nations Unies, condamnation ensuite relayée dans divers textes, y compris les Pactes Internationaux des droits de l'homme qui affirment avec force le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Cela conduira les Nations Unies à créer un Comité de la décolonisation en charge de veiller à la marche vers l'indépendance de tous les peuples colonisés.
La troisième période est la période contemporaine, marquée par une certaine confusion idéologique. D'une part, des mouvements réactionnaires tentent de revaloriser a postériori le colonialisme et ses œuvres. D'autre part, les opprimés ou anciens opprimés tentent de faire reconnaître la colonisation comme un crime contre l'humanité. Cette tension dialectique est à replacer dans les difficultés à penser la mondialisation (dont le colonialisme a été un formidable accélérateur) dans le respect de valeurs affirmées (en même temps que non respectées) à propos de l'égale liberté de chacun.


Alain Ruscio
L'image fausse de la décolonisation « pacifique » de la Tunisie, 1950-1956
Il est fréquent, dans l'historiographie dominante, d'opposer les tragédies des guerres d'Indochine, puis d'Algérie, aux décolonisations "sages", "harmonieuses" des Protectorats du Maghreb - en particulier de la Tunisie - ou des colonies d'AOF et d'AEF.
S'il est évidemment hors de question de mettre sur un même plan les indicibles souffrances des colonisés "indochinois" et algériens et les drames vécus par le reste de l'Empire (rebaptisé Union française), il ne faut pas tomber non plus dans l'angélisme.
Si l'on s'en tient à la seule Tunisie, on constate que des procédés violents furent utilisés par le colonisateur : assassinats, ratissages, emprisonnements de militants nationalistes. En 1952-1954, le mot "fellagha" fait son apparition dans la presse française ; certains évoquent même une "guerre de Tunisie" qui commence. La sagesse de Mendès-France, par son discours de Carthage, fut d'éviter cette issue (même si ce discours ne fut pas l'annonce de la décolonisation, comme une certaine légende mendésienne l'affirme aujourd'hui).
À travers l'analyse du discours politique et journalistique, il sera souligné que la violence ne fut pas absente du processus de décolonisation tunisien.


Anne Marchand
Légitimes, illégitimes ? Les violences coloniales sous le regard de la presse française : le cas du Maroc (1950-1956)
Les manuels scolaires n'hésitent pas à séparer l'indépendance de l'Algérie de celles du Maroc et de la Tunisie. Si la première fut obtenue au terme d'une guerre (qui n'a dit son nom qu'en 1999), les deux autres auraient été "accordées" par la France, au terme de quelques "négociations" avec les leaders indépendantistes.
C'est omettre l'aspiration des peuples marocains et tunisiens à mettre un terme à la tutelle coloniale, fut-elle nommée "protectorat". C'est omettre leurs capacités d'organisation et de résistance, la force de leur mouvement d'indépendance, les formes de lutte qui furent les leurs, impossible à réduire à "quelques années de trouble". C'est surtout gommer la répression et les offensives militaires  dont ils firent l'objet.
La presse française des années cinquante, en se faisant l'écho des "événements marocains", a largement témoigné de la violence de cette période : celle des "rebelles" et des "terroristes" qui assassinent "sauvagement", "étripent", "égorgent", "dépassent" des victimes françaises innocentes mais celle aussi du pouvoir colonial, de la justice et de son arbitraire, des "Ultras", des militaires qui recourent à la torture, aux opérations de représailles… Les lignes éditoriales évoluent d'ailleurs au fur et à mesure de leur gravité jusqu'à,  par peur que "la France n'y perde son âme" (Le Monde), appeler de leurs vœux la restauration rapide du sultan sur son trône. Quitte à fermer les yeux lorsque le souverain chérifien prend ensuite le relais du pouvoir colonial pour balayer des pans entiers d'une armée de libération nationale décidée à poursuivre sa lutte jusqu'à "l'indépendance totale".


Jacques Weber (Univ. Nantes)
La répression coloniale au Bangladesh en 1971
On oublie parfois que la colonisation, loin d’être un fait historique des époques moderne et contemporaine, loin d’être le fait de l’Occident, commence avec les premières sociétés. Avant la colonisation grecque de l’Antiquité, les Indo-Européens colonisèrent, au sens propre du terme, les immenses espaces s’étendant de l’Atlantique aux bouches du Gange. Avant les Espagnols et les Portugais, les Hollandais, les Britanniques et les Français, il y eut les Arabes. Lorsqu’ils font irruption en Afrique et en Asie, les Européens interrompent des processus, en cours, de domination et de colonisation. Leur départ, dans les deux décennies qui suivent la Seconde Guerre mondiale, libère ces impérialismes régionaux longtemps contenus. Tandis que certains Etats, comme la Chine au Tibet, vassalisent leurs voisins, d’autres sont déchirés par les méfaits de la colonisation interne. C’est le cas au Soudan, où le Sud, noir, animiste et chrétien, livre une longue guerre de libération au Nord, arabe et musulman. C’est également le cas au Pakistan oriental, qui a obtenu son indépendance en 1971 au terme d’une guerre de décolonisation, ce que les observateurs de l’époque et les historiens n’ont pas suffisamment souligné.
Lorsque, en mars 1971, Mujibur Rahman lance le mouvement de désobéissance civile, le Pakistan oriental est, depuis près d’un quart de siècle, une colonie d’exploitation. Pour le numéro 2 de la Ligue Awami, Tajuddin Ahmed, «une classe d’exploiteurs appartenant à la région de l’Ouest a sucé le Bengale oriental». Mais plus que d’être «la vache à lait» des Sindhi et des Pendjabi, le futur Bangladesh souffre de la colonisation culturelle et de la guerre que les dirigeants de l’Ouest livrent à sa langue et à sa civilisation.
Le conflit qui oppose en 1971 les résistants bengalis, les Mukti Bahini, aux troupes pakistanaises de Tikka Khan, le «boucher du Baloutchistan» devenu «le boucher du Bengale», a marqué toux ceux qui ont aujourd’hui plus de cinquante ans. Il fut l’un des pires désastres humains de ce XXe siècle émaillé de tant de drames et de génocides. Dès le 31 mars, Indira Gandhi qualifie de «génocide» la répression qui s’abat sur les membres de la Ligue Awami, les journalistes, les étudiants et les défenseurs de la culture bengalie. Les victimes se comptent par centaines de milliers, par millions peut-être, la Ligue Awami avançant le chiffre de trois millions de morts. L’intervention de l’armée indienne, en décembre 1971, met un terme à ce que le journaliste Paul Dreyfus considère comme «l’une des plus affreuses boucheries de l’histoire». Tandis que l’Inde consolide, au nom de la défense des droits de l’homme, ses positions politiques dans sa région, les grandes puissances, guidées par leurs intérêts géostratégiques, sont avant tout préoccupées soit d’avancer leurs pions, soit d’empêcher le bloc adverse de le faire.


Marion Libouthet (Doctorante Univ. Nantes)
La répression coloniale au Tibet depuis 1950
S’adressant aux membres du Parlement européen, Tenzin Gyatso, l’actuel quatorzième Dalai Lama, déclarait en 1996 que la question du Tibet est «une question de domination coloniale : il s’agit de l’oppression du Tibet par la République populaire de Chine et de la résistance du peuple tibétain à celle-ci.» C’est en octobre 1950, au moment même où les dirigeants des pays non-alignés condamnaient avec force toutes formes de colonialisme, que Mao Tse-toung ordonnait à ses troupes de marcher sur le Tibet afin de libérer le peuple tibétain de l’impérialisme étranger et de la féodalité de leur société. Abandonné par ses anciens protecteurs, les Britanniques, et par l’Inde de Nehru fraîchement indépendante, le Dalai Lama fut rapidement dans l’obligation d’accepter l’ «Accord en 17 points» signé en mai 1951 sous la contrainte par les délégués tibétains à Pékin. Le sort du Tibet allait désormais être scellé par cet accord. Après avoir joui d’une indépendance de facto depuis 1913, le Toit du monde rejoignait la République populaire de Chine  qui depuis maintenant plus de cinquante ans exerce sur le  Tibet une  politique coloniale dont l’un des aspects les plus marquants réside dans la violente répression exercée à l’encontre du peuple tibétain,  répression ayant entraîné d’après les chiffres généralement donnés la mort de 1,2 millions de Tibétains. S’il est délicat de parler de génocide, comme certains observateurs de la question tibétaine le  font,  il apparait néanmoins de façon claire que la politique  répressive de Pékin à l’égard du Tibet a entraîné la mort de centaines de milliers de Tibétains et la quasi-destruction de leur identité culturelle. Tandis que l’exploitation économique du Tibet au profit de la Chine ne cesse de se développer et que le transfert massif de colons chinois s’intensifie, la violation des droits de l’homme du peuple tibétain n’est contesté que de façon symbolique par la communauté internationale qui pour des raisons stratégiques et politiques a fait le choix en 1950 de sacrifier le Tibet.






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3 juin 2007

Corps et société en Guadeloupe (Harry Mephon)

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Corps et société en Guadeloupe

un livre de Harry MEPHON

 

- Corps et société en Guadeloupe, Harry Mephon, éd. Presses universitaires de Rennes, mars 2007.

 

Présentation de l'éditeur

De manière générale, les catégories pour penser les pratiques corporelles et sportives invitent à la perception d'un univers consensuel qui échappe aux aléas du monde social ordinaire. Ce livre opère une rupture, tout d'abord en fondant rigoureusement les rapports des activités corporelles avec les autres pratiques économiques, politiques et culturelles, ensuite en les enracinant dans une histoire de longue durée.
Ainsi, il ne s'agit plus de situer le fait sportif dans l'histoire supposée connue de la Guadeloupe mais de la repenser dans sa globalité à travers le prisme des pratiques corporelles. Le fait de privilégier le corps comme entrée pour étudier les rapports sociaux éclaire l'histoire d'une société d'abord soumise avec l'esclavagisme aux pires formes d'asservissements corporels.
L'étude des formes d'une culture incorporée permet de comprendre les rapports de domination mais aussi les résistances et les révoltes qu'ils suscitent. La genèse des pratiques sportives fonde les liens entre trois espaces de réalité historiquement constitués par celui de la culture somatique et respectivement par ceux du sport de masse et du sport de haut-niveau.
Par un retournement de sens, le corps outil de domination devient par l'excellence des champions guadeloupéens le moyen le plus visible d'une affirmation identitaire confrontée aux rapports de force établis par la métropole.

Biographie de l'auteur

mephon_harry Harry P. Mephon est docteur en Sociologie et professeur certifié d'Education physique. Ancien athlète de haut niveau, il est entraîneur d'athlétisme, prépare et entraîne un grand nombre de sportifs de haut niveau. Il intervient au SUAPS de l'université Antilles-Guyane.

 

 

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- Presses universitaires de Rennes : commander le livre

 

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Guadeloupe, Saint-Claude, allée du stade Ducharnoy

 

article de Harry Mephon

- "Le premier sélectionné olympique guadeloupéen : Maurice Carlton", Bulletin de la Société d'histoire de la Guadeloupe (Bull. Soc. hist. Guadeloupe), 2000, no124-25, pp. 13-19.

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Maurice Carlton (né en 1913),
sélectionné aux Jeux Olympiques de 1936 à Berlin

- Maurice Carlton

L'aventure olympique des sportifs guadeloupéens ne commence pas avec les champions récents. Alors que les sportifs guadeloupéens d'avant-guerre sont tombés dans l'oubli, même dans la mémoire insulaire, l'auteur tente de présenter l'élite sportive guadeloupéenne dans le contexte des revendications des années trente. Après une brève introduction sur la constitution et la transformation du champ sportif guadeloupéen, il décrit l'attitude de la France coloniale dans le contexte de la légitimation sportive des Noirs des années trente. Si les exploits de Maurice Carlton ouvrent la voie de la reconnaissance d'un capital sportif au niveau olympique, ce capital se vit à l'époque sans aucune volonté institutionnelle de le rentabiliser.

source

 

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Société des artistes antillais. 1er salon 1924.
Pointe-à-Pitre du 15 au 31 janvier ; auteur : Casse Germaine, 1924

(source, Caom)



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16 septembre 2006

Tribune sur les enjeux du passé colonial et les usages publics de l'histoire (Claude Liauzu)

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Sous le casque, Roland Dorgelès, 1941

 

tribune sur les enjeux du passé colonial

et les usages publics  de l’histoire

Claude LIAUZU

 

La Société française d’histoire d’outre-mer (SFHOM) et l'association Études Coloniales ont accepté l’ouverture d’un débat sur leur site sur le thème des enjeux du passé colonial et des usages publics de l'histoire

Vous trouverez ci-dessous le texte engageant ce débat, qui a bénéficié de lectures de Myriam Cottias, Gilles de Gantès, Gilbert Meynier, Jean Marc Regnault, Colette Zytnicki en particulier. Merci de le faire connaître et de participer aux échanges qu’il souhaite favoriser 

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Les mines du roi Salomon,
Rider Haggard, 1951

 

Tentative de procès en négationnisme contre Olivier Pétré Grenouilleau sous le prétexte de la loi Taubira dénonçant l’esclavage comme crime contre l’humanité, loi du  23 février 2005 imposant d’enseigner le «rôle positif» de la colonisation, insultes du maire de Montpellier contre les «trous du cul d’universitaires», du ministre des Anciens Combattants contre les «prétendus historiens», stèles à la gloire de l’OAS de Nice à Perpignan, procès de la France «Etat colonial» par les Indigènes de la République («la gangrène coloniale s’empare des esprits») : ces quelques péripéties récentes en disent long sur les enjeux actuels du passé colonial.

Il est important de ne pas s’enfermer dans les confins exotiques et marginaux de «l’histoire de France», donc de rappeler qu’il ne s’agit pas là d’une exception, mais d’un problème général de la discipline. Il y aurait tout intérêt à comparer avec d’autres réalités (Vichy…), avec d’autres situations internationales. Cela permettrait de faire ressortir des aspects spécifiques dans le «nouveau régime de mémoire». Après une longue  amnésie officielle, qui a favorisé les guerres de mémoires de minorités, les interventions  de l’Etat (reconnaissance de la réalité de la guerre d’Algérie en 1999, commémorations, mémoriaux…), parfois désordonnées, se multiplient. Ces usages et mésusages publics de l’histoire ont soulevé les inquiétudes et la colère des historiens, que plusieurs pétitions de défense et illustration de la discipline ont exprimées. Mais les difficultés, le désarroi des profs du secondaire dans certaines situations demeurent le plus souvent non dits ou font l’objet d’amplifications partisanes.

Alors que les spécialistes s’accordent sur les faits majeurs - sinon sur leur interprétation du moins sur les règles du débat -, la tyrannie des mémoires (et des amnésies) implique les historiens, qu’ils le veuillent ou non. Or ils n’ont pas assez réfléchi à ces réalités. Comment fonctionnent les mémoires ? Pourquoi leurs variations ? Quels rapports entre mémoires et histoire ? La multiplication des «initiatives mémorielles» de l’Etat, des collectivités locales, des associations, des médias, – auxquelles les chercheurs sont invités à participer comme experts - pose aussi le problème des relations avec les politiques. Problème consubstantiel de la discipline, mais qui se pose en termes nouveaux : nous ne sommes plus dans le monde de Michelet et Lavisse, des nations conquérantes.

Ces questions ne concernent pas que l’Hexagone, mais aussi les sociétés autrefois colonisées et leurs pouvoirs, et donc les rapports des historiens français avec leurs partenaires. Le président algérien a fait de l’exigence de repentance par Paris un cheval de bataille. La surenchère victimaire, comme le refus de toute histoire critique du fait national ou colonial, nient des enjeux tels que la pluralité, les métissages, le passé à partager. Il n’y a pas de rue Hô Chi Minh, ni Abd el-Kader, ni même Senghor  à Paris, et Saint-Augustin ou Camus ne sont pas membres à part entière dans l’histoire de l’Algérie. Ce passé pluriel du Maghreb fait l’objet aussi de guerres de mémoires. Les drames du Rwanda, du Cambodge, du Proche Orient, les crises du tiersmonde impliquent les spécialistes.

Mais il y a un décalage entre des besoins d’histoire criants et leurs moyens. Le contraste entre les sollicitations dont est l’objet le passé colonial et sa marginalité institutionnelle et professionnelle est évident.


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Ébènes et ivoires,
Louis-Gérard Adinau, 1955

Ce décalage entre histoire «savante», histoire enseignée et besoins sociaux est l’une des causes du développement des initiatives extérieures à la profession, dont certaines sont de grande qualité, comblent des lacunes dues à l’académisme, et qu’on ne saurait traiter par le mépris ou des réactions corporatistes. Bonnes ou mauvaises, elle mettent fin au monopole de l’historien de métier : interventions des acteurs refusant le statut de simples «témoins» et revendiquant leur vérité, de journalistes d’investigation, interventions d’associations se réclamant des groupes sans passé, qui se comptent par millions (immigrants d’origine coloniale ou postcoloniale et leurs descendants, rapatriés, originaires des DOM TOM, réfugiés, harkis, anciens soldats…), interventions - militantes ou non - d’entrepreneurs de mémoires instrumentalisant souvent le passé. Les médias imposent leurs codes et leur rythme, la «docu-fiction» applique les recettes de l’histoire spectacle, du récit romancé jouant de l’émotion. L’air du temps, les goûts d’une partie du public favorisent des vulgates affirmant des certitudes – éloge ou procès de l’oeuvre coloniale - qui ont un impact important aux dépens de «l’histoire problème» de Marc Bloch et d’une vulgarisation de qualité.

Ces faits de mémoire nouveaux – et durables- appellent des interventions des historiens. Ils rappellent qu’ils ont une fonction sociale. L’ambivalence qui prédomine dans la société,  mêlant nostalgie du bon vieux temps, chauvinisme, mauvaise conscience, rancœur et souffrances empêche le partage d’un devenir commun postcolonial entre ceux qui constituent la société française, comme entre les sociétés liées par ce passé. Connaître ce passé, réconcilier ceux qui en sont les héritiers  est une des conditions de l’élaboration d’une identité cohérente pour le XXIe siècle.
Une telle constatation conduit à réfléchir aux conditions d’élaboration des savoirs et de leur nécessaire diffusion. Ce qui prédomine actuellement est un extrême émiettement – preuve d’élargissement et de renouvellement -, mais dont la rançon est la difficulté de fournir des vues synthétiques et des réponses assurées.

Cet ensemble de problèmes justifie l’organisation d’un lieu de débat.
Ce débat ne doit pas s’enfermer dans un cadre français dont les limites sont évidentes. Des comparaisons avec d’anciennes puissances coloniales (Grande-Bretagne, Italie, Japon), avec les études américaines s’imposent.
Les questions  ne peuvent pas non plus  être posées et moins encore résolues dans un dialogue des historiens occidentaux avec eux-mêmes, le colonisé d’hier demeurant objet du débat. C’est une histoire croisée de la situation coloniale, de ses héritages et prolongements qui s’impose, avec les écoles nationales qui ont accumulé des connaissances souvent ignorées au Nord. Avec aussi des passeurs de rives de plus en plus nombreux, des diasporas que les histoires nationales laissent sans passé, comme on dit sans papiers.

Claude Liauzu

 

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D'héroïsme et de gloire, Jean d'Esme, 1959

 

 

* iconographie : Amigos de Mocambique (Édouard Vincke)

 

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5 juillet 2022

Jean Monneret : allocution du 5 juillet 2022 au Quai Branly

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Jean Monneret au micro, le 5 juillet 2022

 

Jean Monneret :

allocution du 5 juillet 2022 au Quai Branly

 

Réunis ici en ce jour de deuil pour rappeler les victimes du massacre du 5 juillet 1962 à Oran et toutes celles du conflit algérien, je me permets de souligner quelques faits qui illustrent les progrès accomplis, nos progrès.

1°) Nous avons eu beaucoup de difficultés initialement à faire simplement reconnaître ces drames et nos victimes. Le contexte était très défavorable. La vision anticoloniale la plus sommaire commençait à se généraliser et les victimes de cette guerre dite de «libération» par certains, mais qui était pour nous une guerre civile, n’étaient tout simplement pas censées exister.

Si cette situation aujourd’hui a changé, c’est parce que nous avons mené pour cela une lutte inflexible et pendant 60 ans.

2°) L’aide reçue dans ce combat vint pour l’essentiel, et c’est dans l’ordre des choses, des familles des proches de personnes victimes du terrorisme du FLN, des personne enlevées et de personnes toujours portées disparues.

Nous avons également reçu l’aide de personnalités parlementaires et politiques Très parcimonieusement au début, puis plus nettement au fil des ans, localement d’abord puis nationalement ensuite. Nous les remercions toutes, à tout niveau.

Des militaires ont été sensibles à nos épreuves ce qui est également dans l’ordre des choses. On nous permettra de distinguer parmi eux, nos amis, les généraux Maurice Faivre et François Meyer récemment décédés. Tous deux, jadis, s’efforcèrent de sauver leurs compagnons d’armes harkis. Ils ont ainsi à leur échelle, avec leurs moyens, contribué à sauver l’honneur militaire et national. Nous ne les oublierons jamais.

3°) D’entrée, il est apparu que notre combat avait besoin du soutien d’historiens. Là aussi les débuts furent difficiles puis, en trois décennies, le cercle de nos amis parmi eux s’est élargi. Ceci fut capital. Certains sont des universitaires prestigieux et ils sont toujours avec nous aujourd’hui, à l’exception hélas, de Daniel Lefeuvre et de Jean-François Mattei dont le souvenir ne nous quitte pas.

4°) Pour finir comment ne pas formuler une crainte : depuis quelques années, l’idéologie dite Woke, largement importée des États-Unis, menace de submerger nos universités et les milieux intellectuels.

Nous ne pourrions que regretter que la discipline Histoire soit «déconstruite» pour alimenter de douteuses démarches politiciennes.

L’Histoire nous a toujours enseigné que pour étudier une période, il faut comprendre avant de juger. Ceux dont je parle jugent, ils ont déjà jugé, bien avant de comprendre quoique ce soit à la période coloniale.

Nous sommes bien placés nous, pour savoir que ces méthodes totalitaires conduisent à une vue hémiplégique des choses, ne tenant compte pour ce qui est du conflit algérien que d’une catégorie de victimes, celles causées par l’Armée française dans le camp indépendantiste.

Nous savons bien nous, qu’il y eut des victimes dans tous les camps et dans toutes les communautés.

C’est pourquoi nous continuerons à le dire. Aussi longtemps que la liberté de pensée, de tout temps chérie par le peuple français, existera.

Merci de votre attention.

Jean MONNERET 

 

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8 décembre 2021

la mort d'Omar Carlier (1944-2021)

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la mort d'Omar Carlier

(1944-2021)

 

L'historien, professeur honoraire à Paris VII, et spécialiste en science politique, Omar Carlier est mort le 22 octobre 2021. Je suis triste. C'est une perte pour le savoir sur l'Algérie coloniale. C'est une perte humaine car Omar Carlier était d'un abord facile, attentif et pertinent conseiller.

Sa disparition me touche personnellement car à la fin des années 1990 quand j'ai envisagé de m'inscrire en thèse de doctorat et que j'étais étudiant à la Sorbonne, je suis allé voir les professeurs responsables de ce domaine de la recherche, à commencer par Daniel Rivet.

Celui-ci, plutôt mobilisé sur le Maroc, m'avait dit : "c'est Omar Carlier qu'il faut rencontrer sur ce type de sujet". J'ai donc discuté avec lui et me suis aperçu de sa connaissance profonde du tissu religieux dans l'Algérie coloniale et contemporaine.

À l’époque où Omar Carlier commence ses investigations, les analyses les plus courantes, sur l’Algérie, privilégient les notions de rupture, de coupure, de retour dans l’ordre politique et mental : rupture avec l’étatisme, coupure entre camp laïque/occidental et camp islamiste/musulman, retour du religieux et de l’identitaire…

Omar Carlier installe ces notions en amont de l’histoire algérienne tout à fait contemporaine (1954-1962). Il les identifie dès la première moitié du XXe siècle. Et les repère dans l’ordre social et anthropologique en insistant particulièrement sur les continuités reformulées, réinvesties, reconfigurées dans une évolution pluri-décennales. Ces valeurs politico-religieuses procèdent, selon lui, de ce qu’il appelle le «vieux modèle de parité entre les frères» ou encore le «vieil idéal maghrébin d’égalité et de justice».

Omar Carlier était contemporain de la guerre d'Algérie et de la décolonisation qu iont produit de nombreux de philo-musulmans (ou d'islamophiles sans dogmatisme), persuadés que les nouveaux peuples en libération libéreraient en même temps le vieux monde de ses tares mutiples.

Omar Carlier se prénommait, à l'origine, Jean-Louis. Il a épousé Rahmouna. Et a eu trois enfants avec elle : Soraya, Yacine et Mehdi. Ces derniers, avec leurs conjoints, ont donné naissance aux petits-enfants d'Omar Carlier : Louise, Léna, Axel et Pauline. Nous nous associons à leur peine.

Michel Renard

 

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Omar Carlier

 

 

lettre d'Omar Carlier, 15 octobre 1998

Cher Michel Renard,

Je suis content d'avoir des nouvelles. Pour être franc, je me demandais si vous n'aviez pas été submergé par le cumul des tâches (enseignement, la revue [Islam de France] ; je sais d'expérience à quel point pont c'est lourd, et avec ça, encore un peu de vie personnelle !).

Il n'en est rien. Bravo ! Apparemment la pêche a été bonne. Ce dont je ne doutais pas vu des ipressions et réminiscences des dossiers, rapports, cotes, etc. consultés toutes ces années à Aix... même si votre sujet se rapporte à l'islam de France.

Pour les dérogations, cela devrait aller me semble-t-il, à condition d'aller pas à pas, par petits lots. Les récipendaires n'aiment pas qu'on demande des dérogations par grands listings.

Pour le reste, Mme Durand-Évrard [alors directrice des Anom à Aix] est une dame très bien, très ouverte. J'ai avec elle les meilleurs relations. Elle me connaît, ça peut aider, si je peux aider ! Surtout sur un sujet comme le vôtre, par principe considéré comme "sensible" !

Bon courage. À bientôt 

je vous envoie le papier après-demain quand le passerai au bureau.

Omar Carlier

Omar Carlier lettre 15 oct 1998

 

 

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* un séminaire d'Omar Carlier en 2007 : lire iici

* publications d'Omar Carlier (Cairn.info) : lire ici

 

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2 mai 2021

les enlevés-disparus en Algérie (1954–1963)

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Pour prendre concrètement conscience

de l’ampleur du problème des enlevés-disparus

en Algérie (1954–1963)

 

Pour réaliser l’ampleur du traumatisme que représentent les enlèvements de Français en Algérie de 1954 à la fin de 1963, il est utile de la matérialiser. Pour cela, rapportons les chiffres de disparus à la population française de l’époque (1962 -63) en métropole. Les chiffres des enlevés-disparus sont ceux qu’ont donné les investigations du Groupe de Recherches des Français Disparus en Algérie dans les archives des ministères intéressés, celui des Affaires Etrangères en particulier, dans les dossiers de la Croix Rouge Internationale à Genève et par l’examen des dossiers des familles de disparus.

Au recensement du 7 mars 1962, la France comptait 46.530.000 habitants (1).

Au 1er Janvier 1960, la population non musulmane d’Algérie (les FSE : Français de Souche Européenne par opposition aux FSNA : Français de Souche Nord-Africaine) s’élevait à 1.075.000 personnes (2).

Le rapport de ces deux chiffres montre que la population métropolitaine était 43.3 fois plus nombreuse que la population non musulmane d’Algérie.

Ainsi en prenant les chiffres de Madame Ducos-Ader, membre du GRFDA, le nombre de personnes enlevées depuis le début de la guerre d’Algérie est de 4.366 dont 530 militaires et de 3.920 à partir du 19 mars 1962.( statistiques de 2010)

Les travaux entrepris par la commission Disparus, émanant de la Mission Interministérielle aux Rapatriés sous la conduite de l’historien Jean-Jacques Jordi, ont permis de faire une classification plus affinée et de comptabiliser les personnes libérées.

Le nombre des disparus définitifs de 1954 et jusqu’au moins, au 31 décembre 1962 s’élève à ce jour à 1706 civils enlevés portés disparus (0,16% de la population non musulmane d’Algérie) soit une perte rapportée à la population métropolitaine de 74.448 personnes

Notons que ne sont pris en compte pour les calculs d’équivalence que les non musulmans. Pour un tableau complet des enlèvements et des disparitions, il faudrait y intégrer les nombreux «Français musulmans» (FSNA) fidèles à la France, dont le recensement est difficilement possible.

Mise à jour Avril 2021

Alain Lardillier
5, rue Pierre Lassalle
33110 Le Bouscat
Docteur en Histoire Moderne et Contemporaine
Université Paris IV Sorbonne

 

 

1. - Robert PRESSAT, «La population Française au recensement de 1962» in revue intitulée Population, 17ème année, n°4, 1962, p.627-644. L’auteur signale que les chiffres donnés dans l’article sont tirés du Supplément du Bulletin hebdomadaire de l’I.N.S.E.E. du 3 novembre 1962 .

2. - Service de la Statistique générale en Algérie : Tableaux de l’économie algérienne en 1960, pp.19-20.

 

civils enlevés

 

tranche d'âge

 

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5 janvier 2023

Musulmans d'Algérie et Français : leurs droits - Jean Monneret

Pascal Praud et Algériens

 

Musulmans d'Algérie et Français : leurs droits

Jean MONNERET

 

L"émission de Pascal Praud est intéressante et je la regarde souvent. Toutefois, il m'a énervé hier soir [mercredi 4 janvier] en affirmant, pour la énième fois, qu'en Algérie française les Algériens n'avaient pas les mêmes droits que les Français. Cette formule mériterait plus que des nuances mais baste... J'ai envoyé à l'intéressé ce petit SMS dont j'ignore même s'il lui parviendra.
Jean Monneret.
Cher Monsieur,
Je vous ai entendu maintes fois sur CNews dire qu'en Algérie Française les Musulmans n'avaient pas les mêmes droits que les Français. Ceci est vrai et faux à la fois.
Permettez-moi une précision : dans le groupe des gens disposant de la pleine citoyenneté française, il y avait de très nombreux Musulmans. Tel était, par exemple, le cas de Ferhat Abbas et de plusieurs dirigeants indépendantistes.

Les Musulmans n'ayant pas la pleine citoyenneté française disposaient d'un statut de droit local, en fait de droit coranique. Ils pouvaient très simplement accéder à la pleine citoyenneté en la demandant au greffe d'un tribunal proche.
La majorité d'entre eux ne le fit pas. Par attachement au droit coranique et à l'Islam pour les uns, par crainte des représailles des partis nationalistes pour les autres.
Telle est la vérité. Elle vous laissera peut-être sceptique. Elle n'en est pas moins exacte et d'ailleurs, facilement vérifiable.

Meilleures salutations,
Jean Monneret, Historien

  

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18 février 2021

les historiens réagissent au rapport de Benjamin Stora

mémoire France Algérie
crédits : Hocine Zourar, AFP

 

les historiens réagissent

au rapport de Benjamin Stora

analyse et pétition

 

Comme d’autres historiens, nous avons reçu soit directement par Benjamin Stora, soit indirectement le rapport demandé par le Président de la République, Emmanuel Macron, sur l’état des lieux concernant l’histoire et les mémoires de la guerre d’Algérie. Après l’avoir lu, nous l’avons longuement étudié et nous en avons débattu, sans doute parce que nous en attendions beaucoup. Mais au final, nous sommes restés sur notre faim.

À une première partie générale sur l’état d’esprit de ce rapport, puis aux grandes lignes d’explicitation de ce que peut être un travail de mémoire et de réconciliation entre la France et l’Algérie, succède une série de préconisations relativement décevantes. Comme si la réconciliation n’était pas à chercher avec l’Algérie mais avec les mémoires qui s’affrontent sur le seul sol français. Pourtant, la science historique n’est pas une opinion. Les historiens ne peuvent pas se satisfaire d’un rapport qui relève davantage d’un texte politique que d’une réflexion historique. Nous en voulons pour preuve le choix des interlocuteurs choisis par Benjamin Stora, et les préconisations qui ne s’adressent qu’à la France.

Effectivement l’Algérie d’aujourd’hui ou à tout le moins le gouvernement algérien semble absent du rapport sauf à deux reprises où Benjamin Stora souligne l’accord préalable des autorités algériennes ou un «reste encore à discuter». On connaît la position constante de ce gouvernement concernant les Archives, les faits d’histoire subordonnés à une version officielle, la surévaluation massive des nombres de morts, et en conséquence on comprend que les mots excuses, repentance, crime contre l’humanité et réparations financières ponctuent les discours algériens.

 

Pour se réconcilier, il faut être au moins deux

Il s’agit là de postures sans doute, mais qui excluent toute réconciliation.

Pour se réconcilier, il faut être au moins deux et chacun doit être capable d’avancer vers l’autre. Or, l’Algérie s’est muée depuis longtemps en statue du Commandeur avec soit les bras croisés (fermés à toute initiative), soit avec un doigt accusateur et vengeur. Jusqu’à aujourd’hui, les autorités algériennes soufflent le chaud et le froid en espérant remplacer les Accords d’Evian par un aveu de défaite morale de la France.

De son côté, la France avec le président Chirac avait tenté une réconciliation qui n’a reçu aucun véritable écho en Algérie. Et les présidents suivants ont eux aussi tenté cette réconciliation, en vain. Il était donc normal que le Président Macron essaie lui aussi. Mais à chaque fois, la repentance, l’accusation de génocide, les excuses officielles de la France, voire une réparation financière évaluée aujourd’hui par certains auteurs à 100 milliards, sont pour les gouvernements algériens un préalable avant toute discussion. Or les Autorités algériennes ne sont nullement intéressées par la conclusion, soixante ans après les Accords d’Evian, d’un traité de paix ou d’amitié. On comprend alors que la marge de manoeuvre de Benjamin Stora ait été des plus étroites.

Si l’Algérie n’est pas la destinataire officielle de ce rapport, il s’efforce de prendre en compte les points de vue divergents des groupes porteurs de mémoires coexistant sur le territoire français.

D’un côté, des Franco-Algériens influencés consciemment ou non par la politique mémorielle algérienne, et des Français de gauche qui tendent à partager leur point de vue. De l’autre, des victimes françaises de la décolonisation (Pieds-noirs, harkis, militaires de carrière et de vocation) qui se sentent très minoritaires et incompris. Entre les deux, une majorité favorable à l’indépendance de l’Algérie pour mettre fin à la guerre, qui n’a pas cessé de se renforcer depuis 1962. Benjamin Stora leur accorde-t-il la même attention ? L’impression domine à lire son rapport qu’il penche davantage vers les premiers. Mais en Algérie, le reproche contraire lui est très souvent adressé.

En réalité, Benjamin Stora propose des satisfactions mémorielles à tous les groupes porteurs de mémoires, en espérant les satisfaire sans céder à la revendication de repentance que l’Algérie présente à la France depuis un quart de siècle. Mais il le fait sans donner les raisons les plus solides à l’appui de ce refus.

Le regretté Gilbert Meynier avait rédigé en 2007 (avec Eric Savarese et Sylvie Thénault) une pétition franco-algérienne, dans laquelle il déclarait nettement : «dépasser le contentieux franco-algérien implique une décision politique, qui ne peut relever du terme religieux de ‘repentance’. Et des ‘excuses officielles’ seraient dérisoires». Il aurait fallu aller encore plus loin en récusant formellement cette revendication, récurrente depuis mai 1995, et en expliquant qu’elle est incompatible avec les clauses d’amnistie réciproque sur lesquelles étaient fondés les accords d’Evian du 18 mars 1962.

Les préconisations

La longue liste des préconisations contenues dans la conclusion du rapport, même si elle peut contenir quelques idées utiles, nous inspire une réaction d’incompréhension : elles sont pour le moins décousues et ne sont pas à même de favoriser une quelconque réconciliation, moins encore un apaisement.

Par exemple, pourquoi panthéoniser Gisèle Halimi ? Excellente avocate et pionnière de la cause féministe, s’il faut la reconnaître, ce n’est pas au titre de la défense de membres du FLN, mais de son combat pour le droit des femmes. Ne faut-il pas lui préférer William Lévy, secrétaire de la fédération SFIO d’Alger assassiné par l’OAS et dont le fils avait été assassiné peu de temps avant par le FLN ?

Pourquoi vouloir faire reconnaître Emilie Busquant (épouse de Messali Hadj) par la France ? Elle n’a pas connu la guerre d’Algérie puisqu’elle est morte en 1953. Le fait qu’elle ait «confectionné» le drapeau algérien entre 1934 et 1937 suffit-il à ce que la France lui rende hommage alors que l’Algérie ne l’a pas reconnue comme militante de la cause nationale pour l’indépendance de l’Algérie ? Il y a tant de femmes que la France devrait reconnaître : celles qui composaient les EMSI (les équipes médicales), Mademoiselle Nafissa Sid Cara, professeur de lettres, députée d’Alger et membre du gouvernement Debré jusqu’en 1962, par exemple.

Pourquoi honorer les époux Chaulet, alors qu’ils ont pris la nationalité algérienne, sont reconnus comme moudjahids et honorés par l’Algérie ? Pourquoi ne pas leur préférer les époux Vallat, elle institutrice, lui maire de Thiersville, assassinés par le FLN ? Pourquoi la France devrait-elle reconnaître l’assassinat de Maître Ali Boumendjel (reconnu lui-aussi en Algérie comme martyr) plus que d’autres commis à la même époque ? Ne revient-il pas à la France de reconnaître en premier lieu les siens avant de reconnaître ses adversaires ?

Peut-on être héros et martyr algérien et en même temps héros français ?

Peut-on être héros et martyr algérien et en même temps héros français ? Non bien évidemment. Face au Manifeste des 121 de septembre 1960 intitulé Déclaration sur le droit à l’insoumission dans la guerre d’Algérie, à l’initiative de Dionys Mascolo et de Maurice Blanchot, signé par Sartre et par tous ceux qui soutiennent le réseau Jeanson, un autre manifeste, le Manifeste des intellectuels français pour la résistance à l’abandon, paru en octobre 1960, dénonçait l’appui que certains Français apportent au FLN, les traitant de «professeurs de trahison». Ceux qui signèrent ce manifeste étaient plus nombreux et portaient des noms prestigieux.

Nombre d’entre eux étaient de grands résistants. Que disaient-ils ? : «Considérant que l’action de la France consiste, en fait comme en principe, à sauvegarder en Algérie les libertés - et à y protéger la totalité de la population, qu’elle soit de souche française, européenne, arabe, kabyle ou juive, contre l’installation par la terreur d’un régime de dictature, prodigue en persécutions, spoliations et vengeances de tous ordres dont le monde actuel ne nous offre ailleurs que trop d’exemples, contre l’installation par la terreur d’un régime de dictature», ils taxaient le FLN de «minorité de rebelles fanatiques, terroristes et racistes» et déniaient «aux apologistes de la désertion le droit de se poser en représentants de l’intelligence française». Soixante ans après, la proposition de Benjamin Stora d’un colloque international dédié au refus de la guerre d’Algérie est donc un choix idéologique.

Pourquoi considérer le 17 octobre 1961 comme date à commémorer officiellement ? Que les historiens étudient cette manifestation, cela va de soi. Mais nous pouvons nous étonner qu’on l’on préfère les approximations du livre du journaliste Jean-Luc Einaudi aux éléments sérieux de celui de l’historien Jean-Paul Brunet. Qu’on en fasse une commémoration «nationale», cela dépasse l’entendement à moins de donner des gages au FLN. Ou alors, dans ces conditions, comment ne pas accepter une commémoration nationale pour la fusillade du 26 mars 1962 à Alger, une autre pour le massacre du 5 juillet 1962 à Oran, et demander que nul ne porte atteinte aux plaques et stèles érigées à la mémoire de l’OAS ? Cette préconisation est donc de nature à souffler davantage sur les braises qu’à apporter un apaisement. Les mémoires engagées ne sont pas l’histoire.

Sur les Disparus, même si «la mise en place d’une commission mixte d’historiens français et algériens pour faire la lumière sur les enlèvements et assassinats d’Européens à Oran en juillet 1962, pour entendre la parole des témoins de cette tragédie» ( p. 127) est une bonne proposition, il y a néanmoins un manque de discernement historique : le rapport parle de dizaines de milliers de disparus algériens, mais omet le nombre pourtant bien connu maintenant des 1700 disparus européens, des 5 à 600 militaires français disparus, inscrits d’ailleurs sur le Mémorial du quai Branly.

Dans le même état d’esprit, si les disparus d’Oran sont évoqués, rien n’est dit sur ceux d’Alger pourtant en nombre plus important. En revanche, un travail sur la localisation des sépultures des «disparus» est à faire. Sera-t-il rendu possible par l’Algérie ? Nous en doutons. Enfin, il y a sous la direction des Archives de France (dont le Service des Archives du Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères et le SHD) et l’ONACVG une commission qui a travaillé sur l’élaboration d’un guide sur les Disparus en Algérie qu’ils soient le fait de l’armée française, du FLN et de l’ALN. Préconiser une recherche qui existe déjà est problématique.

Concernant les ex-supplétifs et Harkis, le rapport les réduit à la portion congrue : il aurait fallu dire que même si la France les a abandonnés, c’est bien l’Algérie indépendante qui en a massacré ou laissé massacrer un trop grand nombre, en violation de clauses fondamentales des accords d’Evian.

Il faudrait donc faciliter les déplacements des harkis et de leurs enfants en Algérie, mais cela reste à «voir avec les autorités algériennes» ! On comprend le mécontentement exprimé par des représentants de harkis sur ces propositions. « Faire des quatre camps d’internement situés sur le territoire un lieu de mémoire » (p. 127) (Larzac, Saint-Maurice-l’Ardoise, Thol et Vadenay) rend hommage aux internés algériens tout en faisant de l’hébergement des réfugiés harkis, plus tard, dans les deux premiers un simple épiphénomène. Rappelons toutefois qu’existe déjà le Mémorial de Rivesaltes qui fait un excellent travail. Et d’autre part, à l’initiative d’associations de harkis ou de l’ONACVG, des plaques ont été posées sur les lieux des camps, des hameaux forestiers. Pourquoi ne pas proposer un guide de recherches sur les harkis piloté par la Direction des Archives de France ?

Une catastrophe pour la recherche

Sur les archives (p. 128), il faut dire ce qui est : leur rétrocession serait une catastrophe pour la recherche, car, d’une part, l’Algérie n’a pas les moyens humains et financiers de les accueillir (reconnu par l’archiviste algérien Fouad Soufi lors de la journée consacrée au Guide sur les Disparus du 4 décembre 2020), et d’autre part, si les gouvernements algériens ont réclamé ces archives, c’est pour que les historiens français ne puissent pas y trouver des éléments compromettant la doxa algérienne. Le maintien de la conservation et de l’accessibilité des archives doit être pour la France un impératif prioritaire par rapport aux revendications politiques de souveraineté exprimées par Abdelmadjid Chikhi.

Bien sûr, des pas ont été accomplis en France depuis 1999 par les Présidents de la République française. Quels sont les pas accomplis par les gouvernants algériens ? Une réconciliation suppose que l’on soit au moins deux et qu’on soit disposé à avancer l’un vers l’autre. Nous craignons que cela ne soit pas le cas et qu’une nouvelle fois, nous soyons aveuglés par notre désir de réconciliation. On ne peut plus considérer que la France reste encore coupable et surtout comptable de la situation de l’Algérie d’aujourd’hui.

Dans ces conditions, l’idée d’un «nouveau traité d’Alliance et de Vérités» à signer en 2022 nous paraît utopique. Au contraire, la proposition d’une commission «Vérité et réconciliation» à la française nous semble pouvoir être une très bonne idée, à condition que sa composition soit clairement définie en fonction de son programme et celui-ci clairement exposé.

Il ne peut s’agir en effet de réconcilier l’Algérie et la France (au risque de soumettre la seconde à la première), ni de réconcilier toutes les mémoires qui s’expriment sur notre sol entre elles, car leur seul point commun est leur mécontentement de ne pas être assez entendues. L’objectif d’une telle commission ne pourrait être que de faire évoluer les mémoires conflictuelles vers un dialogue constructif, et vers la reconnaissance de l’autorité de l’histoire au-dessus des mémoires.

En revanche, il convient de réaliser un travail de recherche sur les conséquences des essais nucléaires français au Sahara (p. 127), dont les premières victimes ont été des soldats français exposés en première ligne, ainsi que sur l’achèvement du déminage des frontières.

Donner à des rues, places et autres boulevards des noms de personnes issues de l’immigration et de l’outre-mer, de médecins, enseignants artistes d’origine européenne, pourquoi pas, mais lesquels ? Ceux qui sont déjà inscrits sur le monument aux Martyrs d’Alger ne peuvent pas légitimement trouver leur place en France. Pour les autres, qui ont prouvé leurs talents en Algérie ou après leur retour en métropole, il n’y a que l’embarras du choix.

Quant à «l’OFAJ» (Office franco-algérien de la jeunesse) calqué sur le modèle de l’OFAJ (Office franco-allemand de la jeunesse), cette proposition nous semble contrefactuelle et passéiste. L’OFAJ «allemand» a été créé en 1963 et il se trouvait des jeunes gens de moins de vingt ans qui avaient connu la Seconde guerre mondiale. Créé en 1970, l’OFAJ «Algérien» aurait pu marcher mais aujourd’hui, il faut être naïf pour le croire.

La «création d’une ‘collection franco-algérienne’ dans une grande maison d’édition» (p. 129) ne relève pas du rôle de l’État.

En revanche, et plus que symboliquement, pourquoi ne pas proposer aux grandes villes de France comme aux grandes villes d’Algérie une action commune qui reviendrait en Algérie à nommer une rue Albert Camus débouchant sur une place Mouloud Feraoun, et en France une rue Mouloud Feraoun qui arriverait à une place Albert Camus ?

La commémoration ne garantit pas l’apaisement

Même sur des périodes plus reculées, la commémoration ne garantit pas l’apaisement. Par exemple, Benjamin Stora propose : «La création d’une commission franco-algérienne d’historiens chargée d’établir l’historique du canon Baba Merzoug - ou «La Consulaire» - et de formuler des propositions partagées quant à son avenir, respectueuses de la charge mémorielle qu’il porte des deux côtés de la Méditerranée» (p. 130). Mais ce prudent euphémismes camoufle un enjeu de discorde majeur, puisque ce canon qui a servi à riposter aux bombardements d’Alger par les flottes françaises dans les années 1680 a également servi à pulvériser de nombreux otages attachés à sa gueule (dont le père Levacher, religieux lazariste et consul de France en 1683).

Autre exemple encore plus frappant : «La construction d’une stèle, à Amboise, montrant le portrait de l’émir Abd el-Kader, au moment du soixantième anniversaire de l’indépendance de l’Algérie en 2022» (p. 126). Cette proposition qui semblait pouvoir recueillir une très large approbation a été repoussée avec indignation en Algérie par une pétition soutenue par son arrière-petit-neveu et président de la Fondation Emir Abdelkader : «Nous nous opposons à cette tentative de nouveau détournement de notre symbole et notre patrimoine par un État français dont les actions envers l’Algérie ont toujours des relents coloniaux. Nous, signataires de cette pétition, nous nous élevons de la façon la plus ferme et la plus déterminée pour dénier à cet Etat de jouer encore avec la haute figure de notre Émir. Nous demandons de la façon la plus énergique à notre propre Etat de se positionner clairement contre cette manœuvre néocoloniale et de peser de tout son poids pour refuser ce crime supplémentaire contre notre mémoire nationale».

Ce rapport n’est donc pas à même d’apporter une réconciliation des mémoires ni avec l’Algérie, ni entre les «communautés» coexistant en France. Laissons donc travailler les historiens et non les «mémoriens». Mais agissons pour que le public puisse enfin comprendre la différence entre les mémoires et l’histoire, et préférer celle-ci à celles-là. Telle nous paraît être la seule orientation réaliste, puisque les acteurs et les témoins de la guerre d’Algérie auront tous disparu d’ici vingt ou trente ans.

Conclusion

Près de quatre semaines après la remise du rapport Stora, ses conséquences commencent à apparaître. Si son accueil a été plutôt favorable en France, il l’a été beaucoup moins en Algérie. L’association des Anciens moudjahidin puis celle des enfants de Chouhada l’ont fermement condamné, et une pétition a été lancée par des députés algériens pour réclamer une nouvelle fois la criminalisation de la colonisation française.

Après que le directeur des archives nationales algériennes, Abdelmadjid Chikhi, ait réclamé à la fin décembre 2020 la restitution de presque toutes les archives emportées par la France, le porte-parole du gouvernement algérien, Ammar Belhimer, a déclaré le 8 février 2021 regretter le refus de la France de reconnaître ses «crimes coloniaux».

Selon lui, l’épais dossier de 150 pages vient camoufler la vérité historique de la colonisation et de la guerre d’Algérie, rapporte le journal algérien TSA : «le criminel fait tout pour éviter de reconnaître ses crimes. Mais cette fuite en avant ne pourra pas durer» (cité par l’AFP le 9 février et dans Courrier international du 10-2-2021).

Les dirigeants algériens qui n’ont pas cessé depuis 1995 de relancer cette revendication de repentance oublient simplement que les accords d’Evian du 18 mars 1962, qui ont - trop lentement - mis fin à la guerre, étaient fondés sur l’amnistie générale et réciproque des deux belligérants. Refuser cette amnistie pour une seule des parties en cause, c’est relancer la guerre sous la forme d’une guerre des mémoires.

Ainsi, des conclusions se dégagent nettement :

  • Le rêve d’un traité d’amitié franco-algérien analogue au traité franco-allemand de 1963 a été une nouvelle fois démenti.
  • Les diverses mémoires qui s’expriment concurremment en territoire français ne sont pas spontanément portées à la réconciliation, comme l’a prouvé la condamnation de la proposition de panthéonisation de Gisèle Halimi par 51 femmes et filles de harkis.
  • La seule proposition réaliste, bien que difficile à réaliser, est la création d’une commission «Vérité et réconciliation» à la française, visant à accélérer le passage des mémoires à l’histoire. À condition qu’elle soit entreprise avec une volonté d’impartialité [1] inébranlable, le rapport Stora aura été utile.

Jean-Jacques Jordi et Guy Pervillé

1] «S’agissant de drames récents dont la mémoire risque d’être transmise déformée aux jeunes générations qui n’ont connu ni ‘l’Algérie de Papa’, ni ‘l’Algérie des colonialistes’, les historiens ont le devoir d’être plus prudents encore que leur métier ne l’exige habituellement. Si l’objectivité est philosophiquement impossible, l’impartialité est une vertu que tout historien peut et doit s’imposer». Charles-Robert Ageron, 1993.

 

* Rédacteurs :

  • Jean-Jacques Jordi, historien
  • Guy Pervillé, professeur des universités

* Signataires (en cours) :

    • Elizabeth Cazenave, docteur ès-ettres, présidente de l'association Les Abd-el-Tif
    • Éveline Caduc, professeur honoraire de littérature, université de Nice
    • André-Paul Comor, maître de conférence honoraire IEP Aix-en-Provence
    • Gabriel Conesa, professeur honoraire de littérature à l'université de Reims-Champagne
    • Gérard Crespo, historien
    • Françoise Durand-Evrard, conservateur général du patrimoine, ancienne directrice des ANOM, Archives nationales d'outre-mer (Aix-en-Provence)
    • Christian Giraud, journaliste et historien
    • Alain Herbeth, historien
    • Joëlle Hureau, agrégée et docteur en histoire, a enseigné en classes supérieures à Paris
    • Alain Lardillier, historien
    • Marc Michel, africaniste, spécaliste d'histoire coloniale, professeur émérite, université de Provence
    • Jean-Pierre Pister, professeur honoraire de chaire supérieure en histoire
    • Jean Monneret, historien
    • Michel Renard, historien, directeur éditorial du blog Études Coloniales
    • Hubert Ripoll, professeur des universités d'Aix-Marseille I, psychologie
    • Yves Santamaria, agrégé et docteur en histoire contemporaine et en sociologie, maître de conférence à l'IEP de Grenoble et à Sciences-Po Paris.
    • Pierre Spitéri, professeur honoraire en Professeur émérite des Universités - Institut National Polytechnique de Toulouse - ENSEEIHT (mathématiques, numérique)
    • Roger Vétillard, historien

*Soutiens

  • Pierre-André Taguieff, historien et polititologue  (directeur de recherche au CNRS)
  • Jacques Frémeaux, historien, professeur honoraire des universités, Paris-Sorbonne, spécialiste de l'Algérie
  • Olivier Dard, historien, université Paris IV-Sorbonne
  • Denis Fadda, professeur de droit, haut fonctionnaire international, président de l'Académie des sciences d'outre-mer
  • Gabriel Martinez-Gros, universitaire, Paris-Nanterre, historien médiéviste, spécialiste de l'islam médiéval
  • Maurice Vaisse, professeur émérite à Sciences-Po, historien spécialiste des relations internationales
  • Pierre Vermeren, professeur d'histoire contemporaine, université Paris I, spécialiste du Maghreb

 

france-algérie

 

 

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19 novembre 2020

les mensonges du Canard Enchaîné sur le Rwanda

Canard enchaîné, 18 nov 2020 jpeg

 

 

les mensonges du Canard Enchaîné

sur le Rwanda

à propos de Julie d'Andurain

 

Sous la main l’article du Canard Enchaîné du 18 novembre 2020, intitulé «Commission impossible sur le Rwada (suite)», signé» par un mystérieux D.F (David Fontaine semble-t-il).

Il fait référence à une notice «L’opération Turquoise» publiée dans le Dictionnaire des opérations extérieures françaises de 1963 à nos jours, Nouveau monde Editions, Ministère des Armées, 2018, p. 270-275. Je me demande si le journaliste a lu le même texte que moi...

En réalité, l’article du Canard Enchaîné est une attaque en règle contre l’historienne Julie d’Andarain (université de Metz) : «cette historienne fana-mili y ravalait et le génocide des Tutsis au rang de massacres et de tueries ; sans compter de multiples erreurs factuelles

Et encore : … «d’éminents historiens spécialistes des génocides dénonçant fond de l’article de Julie d’Andurain». Annette Becker a ainsi répliqué à ses collègues le 6 novembre «Vous n’avez pas fait ce que nous enseignons à étudiants de première année : se référer au texte incriminé»

Or, j’ai sous les yeux le texte de la notice signée Julie d’Andurain dont elle dit elle-même qu’elle le réécrirait autrement. MAIS on ne peut dire qu'elle ne mentionne pas le génocide des Tutsis. Le terme figure au moins onze fois dans sa notice.

 

Michel Renard

 

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17 novembre 2020

au sujet du dernier livre de Raphaëlle Branche

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Complice des fellaghas nazislamistes

et la torture

à propos du dernier livre de Raphaëlle Branche, par Manuel Gomez

 

La radio Rance Culture, dont l’idéologie est bien connue depuis des années, ne pouvait que faire l’éloge d’un récent livre écrit par Raphaëlle Branche, née en 1972 à Paris, mais "spécialiste des violences en situation coloniale" et dont le titre de gloire est sa thèse sur «L’armée et la torture pendant la guerre d’Algérie. Les soldats, leurs chefs et les violences illégales».

Selon elle : «un silence entoure depuis 60 ans la guerre d’Algérie»… serait-elle sourde à ce point ? Toujours selon elle : «Les «appelés» étaient les petits-fils des combattants de 14/18 ».

Et encore selon elle : «Ce ne sont pas les obus qui ont décimé les «appelés» en Algérie», mais ce qu’ils ont vu ou fait. Ce qui fut enseveli, mais non pas digéré mais ravalé, avec les lois d’amnistie.

Rappelons qu’il y a eu environ 1 200 000 «jeunes appelés» qui ont servi en Algérie et Raphaëlle Branche a obtenu, après avoir expédié 300 questionnaires, les témoignages de 39 familles et sur ces 39 familles interrogées, 14 ont fournis des documents. Je peux comprendre que ces 39 «petits-fils »des combattants de 14/18, dont elle a recueilli les témoignages, « soient revenus abîmés par leur expérience de la mort, de la torture et de la violence » - quid du terrorisme barbare des fellaghas islamistes ?- .

Mais Raphaëlle Branche n’a pas «construit» son livre qu’avec les seuls témoignages (heureusement !) mais elle s’est référée à ces  chercheurs et chercheuses» qui se sont attaqués également à la puissance du déni qui a opéré pendant plusieurs décennies ». Par exemple : Benjamin Stora, Claire Mauss-Copeaux (également spécialiste de la torture !), Florence Dosse et surtout, mais surtout, Bernard W. Siggce psychiatre, militant marxiste, déserteur de l’armée française en 1961.

Il aurait, selon lui, «pris le large» et déserté en 1961 quelques jours avant d’être affecté à un poste de médecin «car il avait compris, avant même d’y aller, que sa tâche aurait été de maintenir en vie, après des séances de tortures, des combattants de l’indépendance, nos ennemis mais pas les siens». En revanche, il n’a pas manqué de donner la parole aux appelés organisés et aux déserteurs militants qui risquaient la prison (et qui auraient été fusillés lors des deux premières guerres !).

L’un de ces 39 raconte le souvenir obsédant « d’un ruisseau devenu rouge (rouge du sang de qui ? de soldats français ? de Harkis ? de civils français ? de terroristes islamistes fellaghas ?). Certains lui ont dit «leur honte», certainement ce fils qui a envoyé une carte à ses parents, leur écrivant : «qu’avec son groupe ils avaient «étrillé» un village arabe et «pris toutes les femmes» mais que «sinon, ça va».

Qui pensez-vous convaincre, Raphaëlle Branche ? Vos amis (es), vos lecteurs habituels le sont depuis longtemps, ils partagent votre idéologie .Contrairement à vous « la société française, dans sa majorité, n’est pas sourde, et si elle est traumatisée, ce n’est certes pas par ce que vous écrivez et ce que vous déclarez, vous et les vôtres, les Stora, Moss-Copeaux, Dosse, et les autres, qui avez pris la suite des Sartre, Franz Fanon, Einaudi, Alleg et compagnie, mais parce qu’elle subit, aujourd’hui, les traumatismes que vous avez défendus.

Manuel Gomez, novembre 2020

 

 

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27 mai 2020

Faits et chiffres de l'histoire coloniale : chaque donnée est SOURCÉE

27 juillet 2020

Honteux ! la réaction de Jean Monneret sur les rapports franco-algériens

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Honteux !

par Jean MONNERET

Ce qui se trame dans les rapports franco-algériens n’augure rien de bon. Emmanuel Macron a confié à l’historien d’extrême-gauche Benjamin Stora une mission «sur la mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie » Il s’agirait ni plus ni moins que de formuler des «recommandations pour la réconciliation entre les peuples français et algériens». Selon M. Macron cité par l’AFP, il s’agirait de créer la «possibilité pour notre jeunesse de sortir des conflits mémoriels». Pas moins !

De fait, Stora est considéré comme le «meilleur spécialiste de l’Algérie» Considéré par qui ? Par les media évidemment lesquels, depuis longtemps, lui donnent exclusivement la parole. Ses thèses, pourtant hautement biaisées, ne sont donc jamais contestées. Facile ainsi d’être le meilleur quand la concurrence est interdite.

Stora est connu pour avoir multiplié les écrits et les déclarations sur l’histoire de la France en Algérie. Il n’est pas excessif d’estimer qu’il se livre à un procès permanent et exclusivement à charge contre la colonisation, l’Armée Française et les Pieds-Noirs. Pour reprendre une expression de Jean Sévillia, «ses travaux ont épousé la relecture de la présence française par les mouvements indépendantistes. (Figarovox du 27/7/2020).

Stora, en opposition à Camus

Qu’on en juge : Stora a déclaré, en opposition à Camus, qu’il « n’y avait pas d’autre voie pour les Algériens (comprendre le FLN) que la violence révolutionnaire » (comprendre le terrorisme) Philosophie Magazine, Hors-Série N°) 06296. Quand on connait les méthodes du FLN, il y a de quoi s’indigner. Il a aussi affirmé à Bordeaux que la France avait perdu la guerre d’Algérie militairement. Et pour finir, il a dit aussi «qu’il ne fallait pas instrumentaliser (sic) les massacres d’Européens du 5/7/62 à Oran». Quand on sait la répugnante instrumentalisation qui est faite des morts du 17 octobre 61 à Paris, on ne peut que déplorer ce deux poids, deux mesures.

Bref, en matière de rapports franco-algériens, on voit mal ce qui oppose Stora au FLN au pouvoir à Alger, mis à part quelques légères nuances. Il est en fait, un des plus sonores hérauts de la repentance française envers l’Algérie. Cette repentance que Nicolas Sarkozy, un jour de grande inspiration, définissait justement comme « la haine de soi ».

Et du côté algérien ? Aurait-on choisi pour rencontrer Stora un interlocuteur point trop hostile à la France et capable de points de vue équilibrés ? Pensez donc! Il s’agit d’Abdelmajid Chikhi, responsable des Archives et de la Mémoire, personnage connu pour son intransigeance islamiste et sa hargne antifrançaise. Nommé le 29 avril, il a violemment attaqué la France 9 jours plus tard. Il a accusé Paris, je cite, de «livrer une lutte acharnée contre les composantes de l’identité nationale (algérienne)». Et depréciser : «la langue arabe, l’Islam et les coutumes ancestrales (sic)».

Dans ces conditions, craignons que les rencontres de cet individu avec Stora n’aboutissent à un nouvel aplatissement de la partie française, tandis que l’atmosphère expiatoire qui caractérise les échanges franco-algériens s’épaissirait encore. Comment ne pas être d’accord avec l’opinion de Jean Sévillia sur Benjamin Stora : «Il n’est pas le meilleur choix».

Jean Monneret.

 

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Abdelmajid Chikhi

 

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4 juillet 2020

l'influence du blog "Études Coloniales"

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l'influence du blog "Études Coloniales"

mentionnée sur la page d'accueil de Canalblog

 

Depuis plusieurs jours, l'article le plus consulté de la plate-forme Canalblog est celui qui retranscrit l'interview de Mohammed Harbi sur le blog Études Coloniales.

Il s'agit, bien sûr de la page d'accueil de tous mes blogs... mais les infos placées sur le côté droit ne font pas référence à ceux-ci. Elles sont édités par le staff de la plate-forme.

 

 

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page d'accueil de mes blogs sur Canalblog, le 5 juillet 2020

 

 

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5 novembre 2020

le général Maurice Faivre est mort

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la mort du général Maurice Faivre 

 

Chers Amis,

Une très triste nouvelle Le général Maurice Faivre n'est plus. Sa vie peut se résumer en trois mots : Français, Soldat, Chrétien. Français il aimait sa Patrie de tout cœur. Encore adolescent, engagé dans le scoutisme, il fut aux côtés de son père dans la Résistance.

Soldat, il combattit pour la liberté en Algérie contre le terrorisme islamiste et ensuite face au totalitarisme soviétique au sein de nos Services de Renseignements. Il s'efforça aussi de sauver ses harkis et de faciliter leur venue en France. Il fut indéfectiblement fidèle à l'honneur militaire qui commande de ne pas abandonner ses compagnons d'armes à l'ennemi.

Plus tard, historien militaire, il combattit la politique de la Repentance par laquelle certains cherchent à culpabiliser le peuple de France et à abaisser notre pays. Chrétien, il puisait en sa foi catholique l'énergie et la mesure indispensables à l'action.

Ainsi fut-il dans son secteur en Algérie de ceux qui interdisaient la torture, comme d'ailleurs 90% des cadres de notre Armée. Il montra ainsi que, d'une situation complexe, on peut toujours tenter de sortir par le haut. Sans donner de leçons, sans condamner quiconque, sans tapage ou mises en cause spectaculaires, quotidiennement et fermement, il donna l'exemple.

Un grand Monsieur nous a quittés ; il nous manquera beaucoup.

Jean Monneret 

 

 

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le général Maurice Faivre

 

 

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C'est avec beaucoup de tristesse que j'apprends la nouvelle
J'ai apprécié chez cet homme, la droiture de l'historien qu'il etait devenu.
Et aussi de son courage.
car en 2008, et alors que mon film ''Algerie, histoires à ne pas dire'' venant d'être interdit en Algérie, et qui dérangea aussitot le landernau ''anticolonialsite'', Georges Morin président de Coup de Soleil, organisa à la va vite un ''Débat''
Je n'acceptai d'y participer qu'avec la garantie que j'aurai un plus grand temps de parole, tous les autres présents à la tribune ayant des points de vue opposés au mien (Stora, Pierre Daum, Morin, Harbi) 
or Morin ne tint pas sa promesse et la salle était  bondée de ses partisans....
Maurice Faivre présent dans la salle, eut du mal à se faire entendre, face à une salle échauffée, mais il tint tête.
Il avait essayé d'opposer aux idées toutes faites, la simple réalité des chiffres.
Et je crois bien que notre estime mutuelle eut son baptême de feu ce jour là.
Jean-Pierre Lledo

 

 

 

Merci Jean Pierre de ton hommage à Maurice Faivre. Merci d'évoquer ce rude débat à l'Hôtel de Ville de Paris où des l'entrée dans l'édifice nous étions "pistés et encadrés " comme des présumés agitateurs voulant troubler" la sérénité " du débat ! !

Ce jour là Maurice Faivre calmement, avec le " sang froid" du combattant qu'il était avait distribué à tous les participants un papier qu'il avait rédigé pour d'emblée, poser certaines questions concernant le thème du débat. J'étais admiratif de le voir progresser dans la salle , chaise par chaise, pour poser son document où le remettre en mains propres même devant des réactions les plus hostiles de certains participants qui froissaient ses écrits,les jetaient à terre sans même les lire.

Je crois que ses seuls cheveux blancs ce jour-là l'avaient épargné des violences physiques et insultes que des "invités pacifistes"  voulaient lui exprimer.

Oui Maurice Faivre nous aura montré  qu'il faut se battre, tenir jusqu'au jour où la vérité des faits, notre objective vérité ne pourra plus être contestée par les mystificateurs, les menteurs patentés, les prétendus historiens des 17 octobre 61 et autres évènements qui les ont nourris avecleurs livres de  complaisance ! !

Ce qui avait fait partir B. Stora ce jour là c'était justement de révéler au public toute sa" vraie histoire" à Constantine personnelle et familiale. Il venait de dire plein d'aplomb que sa famille avait quitté cette ville "comme tous les pieds noirs en juin 1962 "  ...... alors que la connaissant bien, je savais qu'il était des septembre 1960 inscrit dans un lycée parisien((il n'avait pas 10 ans) et qu'elle l'avait rejoint début 61, comme indiqué dans le compte-rendu.


C'est de l'avoir enfermé dans ses mensonges que nous avons tous mis en doute ses vérités d'historien. On a su par la suite tout son cheminement idéologique au lycée de Saint-Germain-en-Laye où deux professeurs d'origine constantinoise ont été témoins de l'infiltration et de la propagande trotskyste, lambertiste dans ce lycée. 
Nous prions pour le repos de l'âme de Maurice Faivre, ce valeureux combattant.  
Bien cordialement,

Jean-Paul Spina

  

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24 mai 2020

attentats commis par le FLN en métropole : 1391 morts

Aurore, 3 avril 1961, attentats FLN
L'Aurore, lundi 3 avril 1961

 

 

attentats commis par le FLN en métropole

 

Une récapitulation générale des attentats commis par le FLN, au 31 décembre 1961, donne un total de 2 153, ayant fait 1 391 morts et 1 593 blessés (1). Ce sont les Algériens qui en sont les premières victimes, avec 1 269 morts et 1 296 blessés, devant les «civils» au nombre de 75 tués et 155 blessés, les policiers ayant compté 47 morts et 142 blessés dans leurs rangs.

«Des couvre-feux à Paris en 1958 et 1961 :
une mesure importée d'Algérie pour mieux lutter contre le FLN ?»,
Sylvie Thénault, Politix, 2008/4, n° 84, p. 167 à 185. [lien vers la publication]

1) archives de la Préfecture de police, Ha 44 (sous dérogation).

 

* voir l'article : «le nombre de victimes de l'OAS».

 

art Thénault 2008

 

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11 mai 2020

la guerre d'Algérie a-t-elle été une guerre de religion ? Charles-Robert Ageron (1988)

El Moudjahid, 8 juin 1959

 

 

la guerre d'Algérie a-t-elle été une

guerre de religion ?

Charles-Robert Ageron (1988)

 

Je voudrais pour ma part m'interroger sur une question fondamentale pour notre propos et que je formulerai ainsi : les chrétiens, les juifs et les musulmans d'Algérie ont-ils ressenti – ou non – la guerre comme ayant une dimension religieuse ?

Aujourd'hui il est, je crois, de bon ton de répondre par la négative. Mais le fait n'est pas aussi évident qu'on le dit. Une approche vécue et une étude historique posent le problème.

Du côté algérien il est affirmé que cette guerre de libération nationale n'eut aucune conno­tation religieuse et que le FLN, créé par quelques révolutionnaires nationalistes très laïci­sés, se prononçait "pour une démocratie ouverte à tous sur la base de l'égalité entre Algé­riens, sans distinction de race ou de religion". Cette phrase est une citation de l'éditorial du n° 1 du journal El Moudjâhid rédigé par Abbane Ramdane.

Pourquoi El Moudjahid (djihad) et non Al Mokâfih (combattant) ?

Mais précisément l'auteur dut s'expliquer devant l'opinion internationale sur le titre choisi pour le journal du FLN. Pour­quoi El Moudjâhid, le combattant de la guerre sainte, du djihâd ? Abbane Ramdane affirmait contre l'évidence que la notion de djihâd c'est "la quintessence du patriotisme libéral et ouvert" et, avec plus de vraisemblance, que "le nom glorieux de moudjâhid" est celui-là même que le peuple a attribué "avec bon sens" aux patriotes. À quoi l'historien peut objec­ter que si le FLN a retenu ce titre et non pas celui d'Al Mokâfih (le combattant au sens laïc du terme) – titre qui sera repris plus tard par un journal communiste marocain –, ce choix est déjà en soi hautement significatif. Il confortait d'ailleurs l'appel du 1er novembre 1954 qui parlait de restaurer "un État algérien démocratique et social dans le cadre des principes islamiques".

Abbane Ramdane entendait bien en réalité retrouver et réaf­firmer l'identité musulmane de son peuple et il n'ignorait pas que les fellahs luttaient pour leur foi en se battant pour la liberté. La preuve en est que, réserve faite pour les chrétiens "frères" (engagés dans le FLN), il s'opposait au maintien de la minorité chrétienne en Algérie ; ce qu'il avoua sans fard à quelques émissaires français dont Jean-Marie Dome­nach.

Pourquoi cette intransi­geance, sinon pour des mobiles religieux ? Faut-il rappeler que l'Islam fait devoir à ses fidèles de se soustraire à la sujétion des chrétiens fût-ce par l'exil et que pour lui la seule cohabitation tolérable est celle de chrétiens ou de juifs "sujets" (dhimmi) d'un pouvoir musulman ?

Autre exemple : on se leurre souvent en France sur la signification des expressions "nation algérienne", "Peuple algérien" dans les années 193O à 1960. En fait la Nation algé­rienne se définissait en [pages 27//28] termes de religion : elle s'arrêtait pour les gens du PPA-MTLD aux frontières de la communauté arabo-musulmane. Le premier journal natio­naliste ne s'appelait-il pas Al Umma (la communauté musulmane) avant d'être retraduit en fran­çais par "nation".

 

FLN, en prière (1)
membres du FLN en prière

 

l'intransigeance de Ben Bella et de Bentobbal

Mieux vaudrait aussi ne pas cacher qu'un leader comme Ben Bella, pré­senté comme un militant très laïcisé, a toujours insisté pendant la guerre d'Algérie sur le caractère islamique des futures institutions politiques, ce qui sous-entendait, pour tous les Musulmans, le refus d'y faire une place aux minorités chrétienne et juive. Aussi bien con­naît-on le discours tenu aux cadres du FLN et de l'ALN en mars 1960 par un autre leader, Lakhdar Bentobbal, alors ministre du GPRA : "le peuple algérien n'acceptera jamais de pla­cer un Européen ou un Juif au sein du gouvernement ou à un poste de responsabilité".

Vis-à-vis des Juifs d'Algérie, dira-t-on que le FLN, malgré les lettres qu'il adressa "à ses chers compatriotes algériens", les ait tenus pour des concitoyens à part entière ? Il apparaît bien plutôt qu'il espérait seulement désolidariser une partie de la communauté juive de la nation française. Pour lui, le décret Crémieux de naturalisation collective des juifs algériens en 1870 n'existait pas ; cette citoyenneté octroyée par la France était de nul effet.

Dans sa perspective, les Juifs demeuraient une communauté religieuse et raciale et une minorité au même titre que les étrangers d'origine européenne (400.000 disait-il) et que les Français d'origine (également au nombre de 400.000) le Moujâhid ne reconnaissait comme juifs "algériens" que ceux qui n'avaient jamais renié leur origine algérienne en se proclamant Français ou sionistes. Tous les autres étaient des "traîtres".

Bien entendu ce langage impolitique et menaçant n'eut pas les résultats escomptés. Les Juifs d'Algérie ne renièrent pas la France et lorsque l'heure de vérité sonna aux accords d'Évian, le FLN ne parla plus des droits éventuels de ses "compatriotes juifs". II ne fut ques­tion que de la minorité française".

Quant aux Européens d'Algérie, réserve faite pour les groupes de chrétiens "engagés", leurs réactions d'ensemble pendant la guerre vis-à-vis des Musulmans (ou des "Arabes") furent en grande partie celles du rejet d'une communauté tenue pour ennemie du nom chrétien. Les prétendues "fraternités franco-musulmanes" furent une trouvaille de l'Ac­tion psychologique, non une réalité. De vieux Français d'Algérie expli­quaient aux "Francaouis" ("métropolitains naïfs") que ces soi-disants Algériens nationalistes défilaient depuis la fin des années 1930 l'index (châhad) levé comme dans la profession de foi islamique (cha­hâda) et que dans les douârs, ils allaient voter en groupe en psalmodiant des versets cora­niques. [pages 28//29]

À leurs yeux ne pouvaient être tenus pour Français que les convertis au christianisme et les naturalisés volontaires, c'est-à-dire ceux qui avaient renoncé au statut musulman.

Pour la plupart des Français d'Algérie, la guerre d'indépendan­ce et la Révolution algé­rienne n'existaient pas : il y avait seulement des "terroristes téléguidés par la Ligue arabe ou les leaders du panarabisme et des moudjahidines fanatiques qui chargeaient en criant "Allah Akbar".

 

FLN, en prière (2)
membres du FLN en prière

 

le sentiment que la guerre était une guerre de religion

Bien sûr, je ne dis pas qu'ils avaient raison de croire que cette guerre était essentielle­ment une guerre de religion, mais tel était leur sentiment au plus profond d'eux-mêmes. D'où leurs réactions indignées lorsqu'ils entendaient dire que des Chrétiens, voire même des évêques, pouvaient pactiser avec les fellaga et les panislamistes.

Chrétiens traditionalistes, peu informés de la position de l'Église vis-à-vis de la décoloni­sation, ils croyaient que les buts du FLN, c'étaient la destruction totale de tout ce qui était européen, la conversion forcée à l'Islam des survivants, l'instauration d'un État théocra­tique et raciste, d'un "totalitarisme médiéval", comme le leur affirmait le gouver­neur géné­ral Jacques Soustelle.

Ainsi s'explique sans doute la peur immense qui s'empara, en 1960, des Chrétiens et des Juifs auxquels le FLN proposait certes en 1961 de devenir Algériens, mais seulement "sur la base d'un patriotisme homogène et unificateur". Comment auraient-ils pu accepter de communier dans ce patriotisme fondé sur la personnalité arabo-musul­mane, dès lors surtout que leur était obstinément refusée la garantie de sauvegarde d'une double nationalité française et algérienne ?

Faut-il s'étonner que la conscience populaire des masses algériennes ait confondu natio­nalité et appartenance religieuse dès lors qu'inconsciemment peut-être la même identifica­tion inspirait à l'époque la grande majorité des Juifs et des Chrétiens d'Algérie ? Certes la Révolu­tion algérienne n'a pas été d'abord un jihâd, ni la guerre des Français une croisade.

Cela dit, la connotation religieuse de la guerre d'Algérie ne peut pas être évacuée par l'historien. Elle explique en partie l'exode massif des Juifs (les premiers à partir, dès 1961) et des Chrétiens. Elle explique aussi les débats de l'Algérie en 1963 sur le code de la natio­nalité et vingt ans après l'adoption d'un code du statut personnel qui interdit par exemple le mariage d'une Algérienne avec un non-musulman. Bref les idéologies meurent alors que les religions demeurent.

 

Charles-Robert Ageron : Une guerre religieuse ?
in : La guerre d'Algérie et les chré­tiens, sous la direction de François Bédarida et Étienne Fouilloux,
Cahier de l'Institut d'Histoire du Temps présent, n° 9 (octobre 1988), p. 27-29.
Merci à Jean-Jacques Jordi de nous avoir transmis ce texte.

 

 

sur cette question

 

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Une deuxième édition, augmentée et enrichie, du livre de Roger Vétillard va bientôt paraître.

 

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