trois ouvrages sur le Maroc entre 1830 et 1912 (Daniel Rivet, 1985)
trois ouvrages sur le Maroc
entre 1830 et 1912
Daniel RIVET (1985)
L'essentiel de ce que les Marocains ont été, de ce qu'ils ont dit et de ce qu'ils ont fait durant le long répit qui s'accumule sur près de trois quarts de siècle, entre la conquête de l'Algérie et 1912, a été cerné et mis en lumière dans trois ouvrages surtout, sans l'appui desquels les pages qui suivent n'eussent jamais été écrites.
Vingt ans après sa parution, le Maroc et l'Europe de J.-L. Miège continue de s'imposer comme une sorte d'encyclopédie du Maroc au XIXe siècle, rythmée - avec une précision parfois surchargée de micro-histoire - par le double récitatif, souvent entrecroisé, de l'événement et de la conjoncture économique.
Les Origines sociales et culturelles du nationalisme marocain d'A. Laroui constituent un point de passage obligé pour comprendre comment s'articulait, avant d'entrer en crise à partir de la seconde moitié du siècle, un "système marocain". Sans doute l'analyse philologique du discours de l'élite par l'auteur, inspirée de Benedetto Croce, tend-elle à s'essouffler au fil de la démonstration. mais sa morphologie des groupes sociaux, influencée par le concept wébérien, d'idéal-type, est éblouissante d'intelligence. On ne peut plus dessiner le canevas de la société marocain précoloniale sans s'adosser à ce schéma. Même si on lui reproche de privilégier l'élite urbaine au détriment des profondeurs rurales du pays et de négliger du coup l'apport des anthropologues anglo-saxons, en premier lieu E. Gellner et Clifford Geertz.
Parce qu'il débrouille, avec un art du raccourci et un sens de la synthèse exemplaires, la trame des événements qui s'enchaînent entre 1860 et 1912 et qu'il caractérise avec beaucoup de finesse le divorce qui s'accuse entre l'État et la société marocaine, le Prelude to Protectorate in Morocco. Precolonial Protest and Resistance, 1860-1912 d'Edmund Burke III complète, nuance, enrichit l'éclairage de Laroui sur la trajectoire du Maroc au XIXe. S'impose en particulier son approche de la révolte contre le makhzen, non seulement fronde des privilégiés ou fureur paysanne mais mouvement composite à plusieurs étages et temps sociaux, voué par conséquent à la négation plutôt qu'à l'affirmation et donc à l'éclatement rapide.
D'autres ouvrages (1) contribuent à diversifier notre vision de ce long XIXe marocain dont le bruit et la fureur reçoivent une signification nouvelle à partir du moment où on n'y voit plus seulement la préhistoire annonciatrice du Protectorat, mais une période de transition au sens mêlé, confus, incertain : un moment historique non plus univoque mais pluridéterminé. Cette longue période de réaction à la "précolonisation" cristallise en effet des "lignes d'orientation, des zones de filtrage" (Laroui) à partir desquelles les Marocains se détermineront sous le Protectorat qui ne s'imprime pas à la surface de la société colonisée comme sur une page blanche.
Daniel Rivet, Lyautey et l'institution du Protectorat français au Maroc, 1912-1925
[thèse 1985], tome 1, éd. L'Harmattan, 1996, p. 83-84.
(1) Cf. en particulier J. Berque, L'intérieur du Maghreb, Gallimard, 1978 ; G. Ayache, Études d'histoire marocaine, Société marocaine des éditeurs réunis, Rabat, 1979 ; P. Pascon, Le Haouz de Marrakech, 2 T., Larose et Maisonneuve, 1978.
Fez, intérieur de l'Arsenal ; Le Maroc Illustré, 1913