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études-coloniales
21 août 2014

droit de réponse d'Armelle Mabon

Armelle Mabon couv

 

 

Commentaires sur la lettre ouverte

de Julien Fargettas au président

de la République (4 juillet 2014) ayant pour

objet le 70e anniversaire de la tragédie

de Thiaroye

(Sénégal, 1er décembre 1944)

 Armelle MABON

 

Le 6 juillet 2014, Julien Fargettas, chercheur associé à l'unité de recherche «Croyance, Histoire, Espace, Régulation politique et administrative» (CHERPA) de l'Institut d’études politiques d'Aix-en-Provence, m'a transmis un retour sur «la synthèse sur le massacre de Thiaroye» du 27 mai 2014. Il m’a prévenue qu'il avait également écrit au président de la République, sans me transmettre toutefois une copie de ce courrier. C'est par hasard que je l'ai découvert ce jour sur le site internet Études Coloniales.

Dans ma synthèse, j'ai fait état de mes travaux sans attaquer quiconque. Julien Fargettas, dans sa lettre publique, s'autorise à violemment dénigrer mon travail d'historienne. Je souhaite, par la présente, apporter quelques commentaires pour défendre tout à la fois mon travail et mon métier.

Julien Fargettas fait-il allusion à ses propres travaux quand il affirme que «L'Histoire scientifique n'a pu que très sommairement s'emparer du sujet » (sic) ? Pour ma part, j'ai bénéficié d'un congé pour recherche de six mois, consacré presque exclusivement à des investigations sur Thiaroye.

J'avais déjà mené des recherches préalables, reprises par mes soins après la publication de mon livre Les prisonniers de guerre "indigènes" : visages oubliés de la France occupée (Paris, La Découverte, 2010). J'ai, ensuite, publié un article sur Thiaroye, «Le massacre des ex-prisonniers de guerre coloniaux le 1er décembre 1944 à Thiaroye (Sénégal)», dans l’ouvrage collectif Nouvelle histoire des colonisations européennes (XIXe-XXe siècles) : sociétés, cultures, politiques, dirigé par Amaury Lorin et Christelle Taraud (Paris, presses universitaires de France, 2013). J'ai, depuis, inlassablement poursuivi les fouilles d’archives, collecté et recoupé le plus d'informations possibles dans des divers fonds, en France et à l’étranger.

 

archives consultées

Je considère, dans ces conditions, que je ne me suis pas emparée de ce sujet «sommairement» (sic). C'est la raison pour laquelle je me suis sentie autorisée à alerter le président de la République et les ministres concernés sur les nombreuses et fâcheuses erreurs entourant Thiaroye. Il est faux de déclarer que j'ai saisi le président de la République en octobre 2012 : je l'ai fait en mai 2014 après un patient travail de longue haleine. Mise à part une circulaire retrouvée par les archivistes du Service historique de la Défense (SHD), aucune pièce n'a été mise à ma disposition. J'ai dû demander au bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC) les dossiers individuels qui m'avaient été signalés par le ministre de la Défense lui-même.

Julien Fargettas mentionne l'omission d'autres archives, sans préciser lesquelles. Outre les archives du SHD, j'ai consulté, en France, les Archives nationales d’outre-mer (ANOM) ; le dépôt central des archives de la Justice militaire (DCAJ) ; les archives de l'Assemblée nationale ; les Archives nationales ; plusieurs fonds d'archives départementales ; et les archives de l'Académie des sciences d'outre-mer. J'ai également interrogé le Centre d’histoire et d’étude des troupes d’outre-mer (CHETOM). Ces recherches archivistiques en France ont été complétées, à l’étranger, par des recherches auprès des Archives nationales sénégalaises et des Archives nationales britanniques. J'ai, en outre, consulté de très nombreuses archives privées. Je poursuis actuellement les investigations auprès des Archives nationales américaines et du Centre des archives économiques et financières (CAEF).

En revanche, si je me réfère aux notes du chapitre consacré à Thiaroye dans l'ouvrage Les tirailleurs sénégalais : les soldats noirs entre légendes et réalités (1939-1945) de Julien Fargettas (Paris, Tallandier, 2012), seules les archives du SHD et des ANOM sont référencées à partir de la note 104, avec un doute sur la côte 5D302 et les «Ibid.» qui suivent.

Il est particulièrement étonnant de constater qu'un historien prétendant travailler sur Thiaroye n’ait pas consulté par exemple le carton DAM 3 aux ANOM, contenant la cruciale enquête Mérat et d'autres informations indispensables pour comprendre Thiaroye. Il existe également des données importantes dans les centaines de télégrammes échangés, dès lors que l’on veut bien prendre le temps de les dépouiller.

Quant à mes prétendus «conclusions hâtives» (sic) et autres «raccourcis incohérents» (sic), ainsi que ma supposée «partialité» (sic), il conviendrait, avant de se permettre de formuler des jugements aussi graves, de prouver que je n'ai pas confronté les sources, base méthodologique du métier d’historien. J'ai mené ce travail minutieusement, en sollicitant des personnes ressources si nécessaire, qui peuvent d’ailleurs en témoigner le cas échéant.

En octobre-novembre 2006, dans un article publié dans la revue Vingtième siècle, revue d'Histoire, Julien Fargettas jugeait : «Le travail d'Armelle Mabon semble aujourd'hui le plus complet. [...] Certaines interrogations s'apparentent toutefois à des prises de position et contribuent à nuire à l'indéniable qualité de ce travail».

 

télégramme sur les soldes de captivité

En effet, je m'interrogeais alors déjà sur l'absence, dans les archives, d'un télégramme du 18 novembre 1944 sur les soldes de captivité. Avec la découverte de la circulaire du 4 décembre 1944, faisant croire a posteriori que les rapatriés avaient perçu avant l'embarquement l'intégralité de leurs soldes, on comprend mieux, dès lors, pourquoi ces documents officiels ont disparu des cartons d'archives dédiés à Thiaroye au SHD, la spoliation des rappels de solde pouvant apporter une explication au massacre.

À aucun moment, dans ses travaux publiés sur Thiaroye, Julien Fargettas n'a émis le moindre doute sur la  véracité des informations contenues dans les rapports, courriers et télégrammes déposés aux archives. Être historien, c'est pourtant questionner la source et son statut, ainsi que les circonstances et les conditions de sa production.

Quant à la demande opportuniste de créer un comité pour «faire le point sur les sources, les traiter, les analyser» (sic), je regrette de signaler qu'une grande partie de ce travail a déjà été accompli par plusieurs historiens.

Que faut-il comprendre, enfin, par «la volonté de s'affranchir des controverses qui, jusque-là, n'ont pas permis à la connaissance de l'événement de s'établir» (sic), si ce n'est, précisément, le refus de Julien Fargettas de voir la réalité de la spoliation, des falsifications, des mensonges, du massacre et du procès mené à charge ?

Arrivée au terme de cette longue recherche et après avoir étudié en détail l'instruction du procès, ce que n'a pas fait Julien Fargettas alors que ces archives sont accessibles, j'ai pu clairement établir le doute sur la culpabilité des condamnés. C'est pourquoi il me paraît judicieux que la commission de révision de la cour de Cassation soit saisie à l’occasion du 70e anniversaire du massacre de Thiaroye en décembre prochain. C'est par ce chemin honorable que la France parviendra à faire œuvre de justice pour ces ex-prisonniers de guerre venus d’Afrique défendre la France.

Armelle Mabon
Maître de conférences des Universités en Histoire contemporaine
Université de Bretagne-Sud
Centre de Recherches historiques de l'Ouest, CERHIO CNRS UMR 6258
28 juillet 2014

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nouvhistoirecolo

 

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Commentaires
S
Bravo à Armelle pour tous ses travaux. <br /> <br /> Ne vous laissez pas détourner de la vérité. Résistez à ceux qui voudront vous imposer le conformisme, l'histoire décrétée et immuable. <br /> <br /> souaibou
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D
Que soit honorée la mémoire du Dr Laribere et celles de tous les Européens qui se sont rangés du côté d'un peuple qu'on avait dépouillé de sa souveraineté sur sa terre ancestrale. Le temps fait toujours justice à chacun et pèse à chacun son dû.
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P
RABCORD RABCORD JE CONFIRME;<br /> <br /> <br /> <br /> En ce qui concerne le systeme de communication d’avec les services d’intelligence russes,les communistes pieds noirs en algerie quand ils appartenaient a l’elite soit par leur statut social ou bien encore par leur intrusion dans la vie politique nationale en algerie possedaient des moyens de communication sophistiques(’systeme radio <br /> <br /> hartzien) qui abondaient en informations les milieux sovietiques,extremement interesses par l’evolution des evenments en algerie.<br /> <br /> <br /> <br /> Le DocteurLaribere d’oran connu pour sa fameuse clinique etait un agent d’influence important connu pouir son engagement pro FLN possedait un tel materiel.Je tiens<br /> <br /> cette information de source sure puisqu’appartenant a un de mes proches.<br /> <br /> L’oas le suicida en le jetant du haut de son etablissement hospitalier.<br /> <br /> Sa fille lucette Laribere vient de deceder recemment,mariée a un arabe et enterée je vius le donne en mille??? ààà...NiceCapitale des pieds noirs et haut lieu dece qui en sont revenus.. de leurs desillusions.
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A
Très bien à Paya de remettre les pendules à l'heure le parti communiste par ses corréspondants militants détenant un code individuel (rabcord du russe rabotchi corrésp) était informé dans les moindres détails de ce qui se passait dans les villes ,villages, administrations ;armée ;à toutes fins utiles sous couvert d'alimenter la presse du parti ce qui permettait d etre informé du moindre incident sur le térritoire nationa et dans les colonies .
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J
Commentaires sur Thiaroye, novembre-décembre 1944, Sénégal<br /> <br /> la question déja posée sur ce site le 04 Mai 2012 reste valable et montre les raisons<br /> <br /> de l'occultation <br /> <br /> "Qui était au pouvoir en France ?<br /> <br /> Passionnant on découvre des éléments de notre histoire tabous et enfouis mais question naive : <br /> <br /> Qui était au pouvoir en France à la libération ? <br /> <br /> Un certain Charles De gaulle avec un parti communiste puissant qui" le plus prés des masses " <br /> <br /> avait des ramifications partout (rabcords) et des liaisons internationales; supérieures à <br /> <br /> tous les autres/ Intéréssant de voir les réactions où les occultation de la presse en majorité issue de la résistance sur ce sujet passionnant <br /> <br /> Merci à Armelle Mabon pionnière indéniable sur ce dossier <br /> <br /> Posté par JF Paya, vendredi 04 mai 2012 |
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