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études-coloniales
12 avril 2012

la Mosquée de Paris, victime d'un délire anti-"illuminati" (ajout du 20 avril)

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manipulation et délire :

sur un prétendu symbole "illuminati"

à la Mosquée de Paris

Michel RENARD

 

Il circule depuis quelques semaines une vidéo affirmant que le minaret de la Mosquée de Paris comporte un symbole "illuminati". Après avoir visionné cette vidéo, je suis choqué et en colère contre l'indigence intellectuelle de l'auteur et la manipulation à laquelle il a procédé...!

1) l'essentiel de cette vidéo est constitué de ma propre parole...! recueillie par interview dans le documentaire "Musulmans de France, de 1904 à nos jours" (France Télévisions, 2009) ; entretien accordé à Mohamed Joseph qui était venu  chez moi l'année précédente.

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J'y explique seulement le paradoxe POLITIQUE d'un projet de mosquée à Paris soutenu par le Parti radical, dont une bonne partie est effectivement affiliée à la franc-maçonnerie et fer de lance de la laïcité. Mais le président du conseil, Édouard Herriot, qui inaugure la Mosquée le 16 juillet 1926 n'a jamais été franc-maçon, lui...!

Je n'ai jamais parlé d'influence occulte dans le décor architectural de la Mosquée de Paris...! Pourquoi utiliser, à mon insu, mon propos pour me faire dire l'opposé de ma pensée ?!

2) le triangle n'est pas une forme géométrique ignorée du décor islamique, même s'il est rarement représenté seul. Sa symbolique hérite du nombre 3 et est à la base de la mesure de l'espace par le procédé de triangulation bien connu des mathématiciens et astronomes arabes au Moyen Âge.
Le triangle est l'une des trente-sept pièces à géométrie simple utilisé par les zelligeurs dans les décors de mosaïque.

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le triangle, une des figures géométriques des zelliges

 

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le triangle, une des figures géométriques des zelliges


Au Maroc, les pierres tombales des souverains saadiens, à Marrakech, sont constitués d'une dalle surmontée d'un élément à base triangulaire.

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Et dans le décor des muqarnas, la forme du triangle termine souvent une pièce modulaire.

On trouve aussi des triangles, à la Mosquée de Paris, sur le décor du minbar offert par la Tunisie à l'époque...

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minbar offert par la Tunisie

 

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en voilà des triangles...


Il faut arrêter la paranoïa qui voit des symboles "illuminati" partout...!

Michel Renard
termine un livre sur l'histoire de la Mosquée de Paris

 

- le tableau des figures géométriques est issu du livre Arabesques. Art décoratif du Maroc, Jean-Marc Castera, ECR Éditions, 1996, p. 114-115.

 

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critique et réponse

Il m'a été répondu, le 14 avril : "Ce triangle a le sommet séparé du reste donc rien à voir avec votre description."

Voici ma réplique (15 avril) :

La comparaison de ce motif décoratif inséré dans le creux du mur du minaret de la Mosquée de Paris et l'image figurant sur le billet d'un dollar américain est infondée. Pourquoi ?

L'image reproduite sur le dollar n'est pas une pyramide dont le sommet serait séparé par le halo des rayons d'une lumière irradiante. En réalité, il y a deux éléments distinctifs : une pyramide tronquée dont la tridimensionnalité est signifiée par la vision de deux faces de l'édifice, et un triangle qui ne peut être le sommet de cette pyramide parce qu'il n'est pas tridimensionnel. C'est une figure triangulaire plate enfermant l'œil de la connaissance.

Sur le minaret de la Mosquée de Paris, on distingue deux éléments. À la base, ce n'est pas une pyramide, parce que se combinent deux types de lignes : des lignes obliques et des lignes verticales. Or, une pyramide ne comporte pas de lignes verticales.

Par ailleurs, le triangle supérieur ne peut, lui non plus évoquer le sommet d'une pyramide parce qu'il ne comporte aucune tridimensionnalité. On dirait plutôt une toile de tente canadienne…

Reste la question de savoir ce que signifie cette insertion en creux dans la pierre… Cela ne semble pas redevable d'une nécessité fonctionnelle. Seulement d'une intention décorative. Mais laquelle ?

Je continue à chercher. En tout cas, l'interprétation "symbole illuminati" est réduite à néant. La comparaison avec l'image du dollar ne tient pas debout. Il s'agit d'une sur-interprétation, d'un abus analogique.

Michel Renard
après discussion avec Jean-Marc Castera
auteur de Arabesques. Art décoratif du Maroc, ECR Éditions, 1996.

 

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ajouts interprétatifs

J'ajoute (17 avril) que le motif du triangle entaillé dans la pierre du minaret peut se trouver sur certaines mosquées au Maghreb, par exemple sur celle de Nédroma (Algérie). On ne pourra invoquer une prétendue symbolique "illuminati" ni franc-maçonne puisqu'elle fut édifiée en 1145 et le minaret en 1348 par l’architecte Muhammad al-Sîsî certainement influencé par le style des Almohades (source).

Michel Renard

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Nouvel ajout (18 avril) : on trouve sur la mosquée turque de Divrigi un dispositif décoratif géométriquement similaire à celui relevé sur le minaret de la Mosquée de Paris. À la base, une porte dont la partie supérieure est formée de lignes obliques et qui se poursuit vers le bas par des lignes verticales. Au-dessus, un empilement de quatre lignes horizontales portant des dessins et des calligraphies. Enfin, plusieurs triangles dont celui qui est au centre a le sommet exactement situé dans le prolongement des lignes obliques du haut de la porte.

Michel Renard

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mosquée de Divrigi (Turquie)

 

 

Nouvel ajout (20 avril) - Je reçois aujourd'hui de précieux renseignements de la part de François Gruson, architecte très compétent et spécialiste de "l'architecture maçonnique" ("pour autant que celle-ci existe", comme il dit) que j'avais sollicité à la recherche d'informations techniques et symboliques.

François Gruson écrit, à propos du minaret de la Mosquée de Paris : "il s'agit visiblement d'une réinterprétation d'un arc en tas de charge avec une traverse intermédiaire, comme cela se pratique avec les techniques de pisé (tas de charge en terre sèche et tirant en bois). Je pense que vous pourriez trouver cela entre le sud-marocain, le Mali ou la Mauritanie". C'est exact.

J'ai découvert deux exemples de ce type d'agencement. D'abord celui de la mosquée de Chinguetti, en Mauritanie, considérée par les fidèles comme le septième lieu saint de l'islam. Elle fut construite au XIIIe siècle… la franc-maçonnerie n'existait pas…! Le motif de décoration triangulaire y est traditionnel. En architecture, un arc en tas de charge désigne une assise de pierres à lits horizontaux que l'on place sur un point d'appui, ; là, apparemment on le place au-dessus d'une ouverture.

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J'ai déniché également une figure décorative, certes un peu différente, mais présentant des apparentements avec les précédentes. Il n'y a pas l'ébauche de lignes pyramidales mais la distribution entre une base, une travée la surmontant puis un triangle coiffant le tout est la même.

Il s'agit de la mosquée de Gaya au Sénégal, lieu de naissance d'el-Hadj Malik Sy (1855-1922), leader de la tariqa Tijaniyaa au Sénégal au lendemain de la conquête française.

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rien de maçonnique sur le minaret de la Mosquée

Enfin, François Gruson est formel : "Si je ne suis pas spécialiste de l'architecture islamique, je crois au contraire bien connaître l'architecture maçonnique, pour autant que celle-ci existe. Je puis affirmer sans réserve que le motif qu'on voit au pied du minaret n'a rien de maçonnique".

Il ajoute : "Un de vos contradicteurs dit que la franc-maçonnerie emprunte ses symboles à d'autres traditions : il a raison et c'est particulièrement vrai du triangle et de l'oeil, symbole cher à la contre-réforme (cela s'appelle une Gloire en termes iconographiques), et qu'on peut voir notamment sur le maître-autel de la chapelle royale du château de Versailles, lieu bien peu maçonnique s'il en est (à moins qu'on ne soit plus à un anachronisme près !).

C'est également particulièrement vrai du pentagone concave, ou pentagramme, qui est un symbole présent en franc-maçonnerie... comme en l'Islam : nos paranoïaques de service pourraient filmer toutes les étoiles à cinq branches qui figurent dans les mosquées et les balancer sur le net en parlant de symboles maçonniques ! Encore faudrait-il pour cela s'intéresser à ce qu'est réellement la franc-maçonnerie et ses symbole !

Votre contradicteur a également raison quand il affirme qu'en franc-maçonnerie "tout est symbole", à condition toutefois de comprendre ce que le terme de "symbole" signifie, et de ne pas le confondre, comme il le fait et comme c'est le plus souvent le cas, avec les notions de signe ou d'emblème. Comme vous le dites, cela nécessite un peu de culture, notamment dans la sémiologie, qui est la science des signes. 

Le plus amusant dans l'affaire, est d'imaginer de prétendus francs-maçons truffer leurs édifices et les villes de soit-disant symboles ! Dans quel but ? N'ont-ils que cela à faire ? Ne leur reproche-t-on pas, au contraire, de se consacrer à d'autres chantiers bien plus impactants pour la société ? "

Merci à François Gruson de son érudition et de toutes ces précisions.

Michel Renard

 

 

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