Publicité
études-coloniales
11 octobre 2007

Que faire de l'Annam ? (Onésime Reclus)

Diapositive1

 

Que faire de l'Annam ?

Onésime RECLUS, 1889 - commentaire : Claire VILLEMAGNE



15_tbl_3Cette «colonie» qui n’en est pas une, est celle qui a le plus enthousiasmé les Français ; pourtant sa nature est telle, qu’elle aurait dû les enthousiasmer le moins. Prendre un grand pays, un fleuve illustre, sept à huit cents lieues de côtes, quinze à vingt millions d’hommes, c’est moins que rien si l’on ne peut tourner ce peuple à vous ressembler par l’esprit, l’âme et la langue. Ce qui condamne tout aussitôt deux espèces de colonies : celles qui sont densément peuplées : cas du Tonkin et de la Cochinchine ; et celles qu’éclaire un soleil hostile, sous un climat où l’on ne peut se perpétuer qu’à la longue, à la très longue, lorsque déjà les arrière-petits-fils des conquis ont rempli toutes les places vides : et tel est le cas de l’Annam.

DAFANCAOM01_30FI108N028_P
"Les gracieux méandres du canal de Phu Cam" (source Caom)

Encore si l’Annamie était une île ainsi que Madagascar, isolée dans la mer, n’ayant aucun recours contre l’envahissement des conquérants sept fois supérieurs par les armes, par l’énergie puisée à la source éternelle du climat froid, tempéré tout au moins, par la force de l’ambition, par le génie, par le cœur, la tête, le verbe. Mais justement, l’Annamie touche au plus stable des empires, au plus grouillant des peuples, à l’idiome le plus parlé, encore qu’il soit presque indigne de la voix humaine. On a même dit que cet empire, la Chine, absorbera le monde. Jamais, quand même elle garderait longtemps encore l’avantage du nombre ; tout lui fait défaut de ce qui donne l’ascendant pour de courtes années ou bien pour de longs siècles. Il lui manque ce qui est jeune, spontané, noblement inquiet, sainement viril, et qu’elle a surabondamment tout ce qui est sénile, y compris le calcul, la prudence, la sagesse et l’impuissance finale. Les Jaunes, certes, ne mangeront pas les Blancs. Il y a dans le Slave, l’Allemand, l’Anglais, le Français, le Péninsulaire, le Romain, le Franco-Canadien, le Yankee, l’Argentin, dix fois la jeunesse, la force, le vouloir, l’orgueil qu’il faudra, si vient enfin le jour de la lutte, pour faire du monsyllabophone de l’Extrême-Orient le domestique payé des fils poilus d’Europe et d’Amérique, voire leur esclave, au cas où l’esclavage, renaîtrait sous une forme nouvelle : car qui peut dire comment tournera l’histoire ?

Mais ici, tout à côté de la Chine, l’attraction du «Vénérable Empire» a bien plus de force que la nôtre. Sagement nous devons craindre que Cochinchinois, Tonkinois, Annamites ne voient toujours en elle un soleil levant, jamais  un soleil couchant ; et surtout que l’action des colons chinois, cent fois plus nombreux que les nôtres, n’amène de jour en jour à la «chinoiserie» des peuples plus qu’à demi chinois déjà par l’origine, l’être intime, les idées de derrière la tête, les mœurs, les usages, le parler ; en un mot par toute la civilisation. Car bien certainement les Giao-Chi confinent aux Chinois ; d’abord physiquement, puis par l’esprit et par la conscience.

Onésime Reclus, La France et ses colonies, tome second Nos colonies,
Paris, Librairie Hachette et Cie, 1889, pp. 488-490

 

DAFANCAOM01_30FI115N063_P
Groupe de paysans de l'Annam (source Caom)


_____________________________________________________

 

Contexte

Onésime Reclus (1837-1916) est le frère d'Elisée Reclus, le grand géographe. Il servit dans un régiment de Zouaves en Algérie et voyagea beaucoup en Afrique et en Europe. Il écrit articles et ouvrages de géographie, mais son œuvre est également politique. Si Onésime analyse la géographie de la France, il se montre aussi fervent partisan de l'expansion coloniale française, notamment en Afrique. Il crée le terme de "francophonie" vers 1880 et promeut à la fois les caractéristiques géographiques de son pays, "le plus beau royaume sous le ciel", et le destin colonial français comme participation à la confrontation internationale. Dans ce jeu des puissances, le facteur linguistique lui paraît essentiel. Il décrit avec un lyrisme patriotique les paysages et les populations de France, après que Jules Michelet, sur le même mode, en eut exposé l'histoire. Mais sa conception de l'expansion coloniale ne sort pas des thèses mercantilistes ni raciales. Elle est géographique, linguistique, démographique. L'argumentation d'Onésime Reclus est attachée à l'idée d'influence du milieu et au rôle de la langue qui cimente empires et civilisations.

Commentaire

L'auteur est partisan d'abandonner les colonies d'Asie afin que la politique coloniale française se concentre sur l'Afrique : cette zone géographe est plus proche et la colonisation lui paraît plus aisée. La mise sous tutelle passe par l'imposition de la langue métropolitaine, d'où l'importance de la francophonie dans sa vision politique en matière coloniale.
On retrouve dans le texte un dédain profond concernant les langues chinoise et vietnamiennes, qualifiées de "monosyllabophones". Ce mépris pour ces langues d'Asie imprime toute la pensée d'Onésime Reclus : les Asiatiques en peuvent être que les domestiques des Européens, voire leurs esclaves. L'auteur ne développe pas une théorie raciale : il récuse l'existence de races, les hommes s'étant mêlés depuis l'origine du monde. Par contre, "c'est la langue qui fait le peuple", d'où son combat pour la francophonie et la domination de la langue française sur le monde.

Claire Villemagne

LES5FRRE
les cinq frères Reclus, de g. à d. : Paul, Élisée, Élie, Onésime, Armand



- retour à l'accueil

Publicité
Publicité
Commentaires
études-coloniales
  • Ce site édite une revue en ligne qui encourage les savoirs et les recherches consacrées à l’histoire coloniale et post-coloniale, à l'histoire des constructions mémorielles et des immigrations d’origines coloniales
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Publicité
Derniers commentaires
Archives
Newsletter
473 abonnés
Publicité
Publicité