Colonies : ni tabou ni repentance (Georgette Elgey)
Trois ouvrages apportent un nouvel éclairage
sur l'histoire infiniment complexe des relations de la France
avec son empire colonial
Colonies :
ni tabou ni repentance
Georgette ELGEY
Les deux premiers essais concernent les «soldats indigènes», leur place, leur rôle et leur importance dans l'armée française. Héros de Tunisie, un récit événementiel classique qui retrace plus d'un siècle d'histoire tunisienne et française, commence en 1837, bien avant que la France ait établi son protectorat sur ce pays, et se termine en 1957 quand celui-ci recouvre son indépendance. La Force noire a une autre ambition. Il se présente sous la forme de près d'une centaine de notes brèves, sur les sujets les plus variés : loin de se limiter aux questions militaires, elles traitent aussi bien la genèse du célèbre slogan publicitaire de l'entre-deux-guerres «Y'a bon Banania», que du mythe du barbare guidé par la mère patrie vers le progrès. Ainsi, à travers cette évocation qui justifie pleinement le sous-titre du livre Gloire et infortunes d'une légende coloniale, c'est tout un tableau de l'évolution des mentalités françaises qui nous est offert. Une iconographie très riche, le plus souvent inédite, contribue à l'importance de ces deux publications.
Le troisième ouvrage est d'une tout autre nature. Son auteur, Daniel Lefeuvre, spécialiste reconnu de l'Algérie coloniale, est un universitaire - il enseigne à Paris VIII - qui, en aucun cas, ne peut être classé parmi les défenseurs du colonialisme ou les nostalgiques de «l'Algérie française». Comment définir son dernier livre ? Bien que son titre Pour en finir avec la repentance coloniale indique nettement que l'auteur n'est pas neutre, ce n'est en rien un pamphlet. On pourrait plutôt l'apparenter à une mise au point, extraordinairement vivante et précise. En 230 pages, aussi passionnées qu'étayées par des faits indiscutables, Daniel Lefeuvre met à mal les «informations» qu'au nom d'une soi-disant vérité historique et dans le souci supposé de dévoiler notre passé «honteux», certains chantres de l'anticolonialisme répandent aujourd'hui avec la complaisance de bien des médias. Ceux-là même qui n'osent les contredire, par ignorance ou par crainte d'apparaître comme les défenseurs des crimes français. L'exaspération ressentie par Daniel Lefeuvre devant l'imputation à la France de tous les péchés ne le conduit par pour autant à la moindre complaisance envers notre pays. S'il lui paraît incontestable que l'armée française, même dans ses pires excès envers les Algériens, n'est pas mue par le racisme, c'est tout simplement qu'elle a eu des comportements tout aussi scandaleux dans des conflits européens, que ce soit au Palatinat, en Espagne, ou même dans son propre pays lors de la guerre de Vendée.
Que la France ait commis des atrocités en Algérie, c'est certain - ne s'est-on pas indigné à la Chambre des pairs en 1845 contre l'effroyable enfumade des grottes de Kabylie, qui se solda par plus de cinq cents victimes ? Mais voir dans ces horreurs une sorte de préfiguration des crimes nazis, établir une filiation entre la conquête de l'Algérie et la Shoah, constitue «un parallèle ignominieux, qui ne repose sur un aucun fondement...». L'objectif de la conquête n'était pas l'anéantissement des populations, mais leur domination, vérité «qu'il faut répéter inlassablement tant la confusion est entretenue». À juste titre, l'auteur souligne les conséquences perverses que peuvent avoir sur l'esprit public les déformations historiques assenées comme la révélation d'une vérité cachée : «Il y a quelque chose de profondément malsain, dans cet acharnement à faire de la conquête coloniale un laboratoire du nazisme, contre toute vérité historique. Il y a aussi quelque chose de dangereux, pour les fondements mêmes de la République, à poser ainsi les bases artificielles d'une guerre des mémoires...»
Chacun des chapitres apporte un éclairage, souvent nouveau, toujours scientifique et difficilement contestable, sur des sujets d'actualité. Par exemple, les rapports de la France avec l'immigration, ou l'islamophobie, dont l'auteur note qu'elle n'est en rien une survivance d'une culture coloniale plutôt islamophile : «Sa construction est récente. Elle est d'abord le produit de l'ignorance. Elle est, surtout, une réaction de crainte - pas totalement injustifiée au demeurant - alimentée par la violence des fondamentalistes et autres talibans et jihadistes.» Une lecture indispensable pour tous ceux que l'histoire de notre pays intéresse.
Georgette Elgey
* illustration : Saint-Arnaud. Au XIXe siècle, les militaires furent les premiers à revendiquer les horreurs de la guerre qu'ils menaient en Algérie. Faire croire aujourd'hui que cette histoire a été occultée, c'est de l'ignorance... ou de la manipulation.
- Pour en finir avec la repentance coloniale, de Daniel Lefeuvre, Flammarion, 230 p., 18 E.
- La Force noire. Gloire et infortunes d'une légende coloniale, d'Eric Deroo et Antoine Champeaux Editions Tallandier, 222 p., 29 E
- Héros de Tunisie. Spahis et Tirailleurs d'Ahmed Bey Ier à Lamine Bey, 1837-1957, d'Eric Deroo et Pascal Le Pautremat, Cérès éditions, 173 p., 37
source : Historia